« Obligés d’être unis et de se battre ensemble »

30 ans du Jura • L'autonomie jurassienne n'est pas encore complète : il faudra encore lutter pour secouer le joug bernois

L’autonomie jurassienne n’est pas encore complète : il faudra encore lutter pour secouer le joug bernois

Pour marquer les trente ans de la naissance du Jura, une incursion à Moutier où Julien Loichat, jeune conseiller municipal à la culture donne des pistes sur la réunification. Un rêve qui reste réalisable.

Natif du Jura, Julien Loichat a traversé les Rangiers pour s’installer à Moutier il y a quelques années. Rencontre avec ce jeune syndicaliste, élu à l’exécutif de la ville de la machine-outil à l’âge de 19 ans.

Moutier, Hôtel de la Gare

Le rendez-vous est fixé à l’Hôtel de la Gare à Moutier, symbole de l’histoire contemporaine jurassienne. Durant les années de braise, ce fief des autonomistes fut le théâtre de plus d’une échauffourée entre ces derniers et les anti-séparatistes, parfois appuyés par la police bernoise. Aujourd’hui, si le souvenir de ces joutes reste vivace, on en trouve peu de traces visibles dans le chef-lieu du district.

Une ville marquée à gauche dont les autorités sont désormais majoritairement acquises au rattachement au canton du Jura. Bien sûr, des divisions subsistent sur la question jurassienne, à droite comme à gauche, où un Parti socialiste autonomiste (PSA) dispute les bancs du Conseil de Ville (législatif) au Parti socialiste du Jura bernois (PSJB). Toutefois, le temps du dialogue est en passe de supplanter celui de la discorde. « Depuis le début de la présente législature, la jeune génération du PSJB vient boire un verre avec nous après les séances du Conseil de Ville », explique Julien Loichat, conseiller municipal PSA.

D’Ajoie en Prévôté

Débarqué de son Ajoie natale (il a grandi à Fontenais) en 2000 pour suivre une formation de syndicaliste, Julien Loichat est élu deux ans plus tard à l’exécutif, à l’âge de 19 ans. Une intégration plus que réussie en Prévôté. « En venant ici, j’ai trouvé une région formidable avec des gens fantastiques. Il y a une chaleur humaine que l’on retrouve dans le Jura ».

En outre, il dirige le dicastère de la culture, un domaine étroitement en lien avec la question jurassienne. Un poste sur mesure pour ce farouche partisan du rattachement au Jura, dont il ne manque pas de vanter les mérites. « Jurassien de naissance et de cœur, je suis admiratif de ce canton pour son histoire, son aventure, les avancées qu’il a faites pour sa région et pour d’autres, les gens qui se sont battus pour prendre leur destin en main. C’est aussi la conviction d’une personne de gauche : chaque ouvrier doit prendre son destin en main. En revanche, je suis souvent déçu des positions du gouvernement jurassien, en particulier sur l’initiative « Un seul Jura », qui aurait pu être une avancée spectaculaire. »

L’autonomie en question

Pour lui, la résolution de la question jurassienne par le biais de l’Assemblée interjurassienne (AIJ – voir encadré) a du plomb dans l’aile. En dépit de quelques avancées, telle l’instauration d’une commission intercantonale de la culture, l’AIJ n’a pas été en mesure de répondre aux aspirations d’autonomie des Bernois francophones. « Beaucoup de résolutions ont été lourdées, soit par le Jura, soit par Berne. »

Quant à la création d’une région dotée d’un statut d’autonomie, Julien Loichat y est opposé. « Suite au rapport Widmer (mandé par la Confédération, cet expert estimait qu’à terme seule une redéfinition des frontières et un rattachement rapide de Moutier au Jura pourraient résoudre la question, ndlr), Berne a décidé de travailler sur le principe d’autonomie. Cela a débouché sur le projet de loi sur le statut particulier du Jura bernois (LStP), qui donne la possibilité de créer un parlement régional, avec une compétence : la gestion de tout ce qui a trait à la langue française, en particulier la culture. (…) Le problème de cette loi est qu’elle marque un retour en arrière. Les autorités bernoises avaient déjà refusé la résolution 44 (qui prévoyait d’aller plus loin qu’une collaboration institutionnelle, ndlr), en disant qu’il fallait attendre le projet de loi sur le statut particulier. En fait, elles entendaient faire traîner le sujet. »

Licenciements massifs

Au-delà de ses convictions politiques, Julien Loichat voit aussi en la réunification la seule planche de salut pour l’économie de sa région d’adoption, dont la situation s’est passablement assombrie durant les dernières années. « Aujourd’hui, c’est une question de survie. On est obligé d’être unis et de se battre ensemble. » Après sa formation au syndicat Unia à Moutier, il passe chez SIB en août dernier, où il tient la caisse de chômage. Un poste qui en fait un témoin « privilégié » du déclin de l’industrie locale. Il évoque notamment les licenciements massifs (plus de 800) dans l’entreprise de machines-outils Tornos, qui fut le poumon économique de la région. Et le manque de soutien de la part de la Berne cantonale dans les moments difficiles : « Les autorités bernoises ne se sont intéressées à nous seulement lorsque Tornos a annoncé les licenciements. Ils ont pensé à nous au dernier moment. Or, il y a eu un signe très fort : le canton du Jura nous a soutenus dans cette crise, alors qu’à ce moment-là, Berne n’avait encore rien fait. Bien sûr, il faut se poser la question : s’il n’y avait jamais eu d’ouvriers jurassiens chez Tornos, est-ce que le Jura aurait fait la même chose ? »

Cette interrogation ne bouscule en rien sa conviction de voir un jour le Jura historique réuni sous une même bannière.

Pour preuve de cette détermination, Julien Loichat a de tout temps conditionné son retour dans le Jura au rattachement de sa région d’adoption : « Quand je suis parti à Moutier, on me disait à Fontenais : reviendras-tu ? J’ai toujours répondu que oui, mais avec Moutier dans mes valises ! »

Survol d’histoire séparatiste

1793 : Rattachement d’une partie de l’ancien évêché de Bâle à la France. Elle devient le Département du Mont-Terrible.

1815 : Le Traité de Vienne attribue le territoire à Berne, contrepartie de l’indépendance vaudoise et argovienne.

1826 : Réunis dans les ruines du château de Morimont, Xavier Stockmar (préfet d’Ajoie), Louis et Auguste Quiquerez et Olivier Seuret jurent de se libérer de la tutelle bernoise.

1873-75 : Inspiré par Bismarck, Kulturkampf dans le canton de Berne. Les catholiques, majoritaires dans les trois districts du Nord, sont interdits de culte. Plusieurs religieux et laïcs sont emprisonnés.

1914-18/1939-45 : La mobilisation entraîne l’occupation du nord du canton de Berne.

1947 : Le parlement bernois refuse de nommer au département des Travaux publics le Jurassien Georges Moeckli. Début de l’ « Affaire Moeckli », qui aura de fortes répercussions dans les districts francophones. On fête en 1947 la première Fête du Peuple jurassien. Début des années 60 : Apparition de plusieurs organisations séparatistes (Groupe Bélier, Front de libération jurassien), qui multiplient les actions contre les symboles du canton de Berne et de l’armée.

1974 : Le 23 juin, le peuple des six districts francophones et du Laufonnais se prononce à une courte majorité pour la séparation. Dans les trois districts du Sud et le Laufonnais, le « non » l’emporte. Il faut voter à nouveau. Le 16 mars 1975, les sous-plébiscites confirment leur attachement à Berne.

1978 : Le 24 septembre, le peuple suisse accepte la création du nouveau canton à une très large majorité.

1979 : Entrée en souveraineté de la République et Canton du Jura.

1984 : L’affaire dite des « Caisses noires » éclate : émoi dans la population. Le gouvernement bernois a soudoyé des votes contre la séparation dans le Jura Sud.

1994 : Au 1er janvier, le district de Laufon est transféré du canton de Berne à celui de Bâle-Campagne.

1996 : A la suite d’un vote populaire, la commune de Vellerat est rattachée au Jura, après des années de lutte.