Une Suisse pas très «gay friendly»

manifestation • Le 13 juin, la traditionnelle Gay Pride se tiendra pour la deuxième fois en Valais, près de 15 ans après une première édition qui avait secoué le canton en 2001. Aujourd'hui, où en sont les luttes LGBT en Suisse? La Pride fait-elle encore sens ou est-elle devenue une simple grosse fête?

En 2014, la Pride a réuni 10’000 personnes dans les rues de Zurich. ©Pixxpower.ch

La Gay Pride, une bande d’excités semi-dénudés, déguisés et bariolés, qui défile sur des rythmes électroniques une fois par année, provoquant les délires d’ultra-réactionnaires un peu partout en Suisse? Pas tout à fait. Tout d’abord, on ne dit plus «Gay Pride» mais «Pride», corrige Sébastien Nendaz, porte-parole de la manifestation, ceci pour afficher la diversité de la communauté LGBT: lesbiennes, gays, bis, trans et intersexes. Ensuite, si la Pride est l’occasion de défiler et de s’affirmer comme les LGBT ne peuvent le faire le reste de l’année, elle vise également à montrer que, finalement, ce sont des personnes comme les autres, et surtout qui aspirent aux mêmes droits. «On essaie de casser les clichés stéréotypés qui collent parfois à la Pride, pour laisser voir que tout le monde peut être concerné par les problématiques LGBT. Un enfant, un proche, un collègue, un voisin…», poursuit le porte-parole. Sous ses airs de grande fête, l’événement est d’ailleurs porté par nombre d’associations dont le combat de longue haleine se déroule chaque jour, sur le terrain et auprès des instances de pouvoir. «La Pride est avant tout politique», rappelle Sébastien Nendaz.

Pour celles et ceux qui ne le sauraient pas, son origine remonte à 1969. Dans le quartier de Greenwich village à New York, la police effectue une descente au Stonewall Inn, bar connu pour être fréquenté par des gays et trans. Dans un climat de répression généralisée envers les homosexuels, ce type de raid était alors fréquent. Mais ce jour-là, les membres de la communauté se révoltent et les rues de New York connaissent des émeutes durant plusieurs jours. Las de se cacher, gays et trans s’affirment et se défendent. C’est là que le mouvement situe les origines de la Pride d’aujourd’hui. «La Pride, c’est affirmer la fierté, et non la honte, d’être soi-même. Le message, c’est que nous existons, nous faisons partie de la société et nous n’avons pas à nous cacher pour vivre. C’est aussi un espace de liberté. Le seul moment dans l’année où nous pouvons remettre en question, sans risque de punition, le carcan oppressif qui repose sur nos épaules en permanence. Pour certaines personnes cela implique de se tenir par la main, pour d’autres de sortir des clichés de genre de la façon la plus flamboyante possible», commente Annick Ecuyer, membre notamment du réseau suisse transgenre (TGNS) et de l’association 360. «La base est toujours la même, soit la lutte contre les discriminations et la revendication de l’égalité des droits, le fait de montrer qu’on existe et qu’on a les mêmes envies que tous les autres citoyens, mais la forme a évidemment changé», explique quant à lui Sébastien Nendaz. Et de préciser: «Chaque association vient avec ses propres thèmes. Il y a les familles arc-en-ciel, les groupes transgenres, ainsi que des partis et groupes politiques. Le côté festif favorise l’échange et le partage». En parallèle au défilé du 13 juin, une série de manifestations sont également organisées dans le cadre d’une «Pride-off», pour sensibiliser à la situation actuelle de la communauté LGBT: conférences, projections de films, débats, expositions.

Une Suisse très en retard
Car des combats, il y en a à mener, et particulièrement en Suisse. Delphine Roux, coordinatrice de la Fédération genevoise des associations LGBT, rappelle ainsi qu’en matière de droits des personnes LGBT, le pays se situe au 31ème rang sur les 49 pays européens étudiés par ILGA, faîtière mondiale des associations LGBT. Elle est donc «très en retard». Même son de cloche du côté de Sébastien Nendaz, qui voit la Confédération à la traîne par rapport à certains pays voisins.

«La loi sur le partenariat enregistré de 2007 représente une avancée positive, mais elle ne nous donne pas les mêmes droits que le mariage. Il y a même une clause qui interdit l’adoption! Par ailleurs, les personnes passant par un partenariat n’ont pas accès à la naturalisation facilitée. Il y a donc en Suisse un système d’union à deux vitesses», déplore Delphine Roux. Le partenariat enregistré n’étant ouvert qu’aux couples du même sexe, l’état civil qui en résulte se transforme en outre en étiquette dans les formulaires et autres registres, ce qui peut accentuer les discriminations vécues. «Ces personnes se retrouvent dans une situation de coming out permanent. Par ailleurs, cela peut poser problème dans le cadre de voyages dans des pays qui répriment ouvertement la communauté LGBT», poursuit Delphine Roux.

Comme dans d’autres pays européens, les LGBT suisses revendiquent l’accès au mariage civil, mais la partie n’est pas encore gagnée: l’initiative «non à la pénalisation du mariage» lancée par le PDC, qui vise à ce que les couples mariés soient imposés de façon égalitaire par rapport aux couples en concubinage, introduit également dans la Constitution la définition du mariage comme l’«union durable entre un homme et une femme». «Cela vise à bloquer le mariage pour les personnes du même sexe et représenterait un recul considérable!», s’insurge Delphine Roux. En réaction, les Vert’libéraux ont quant à eux déposé une initiative demandant l’accès au mariage civil pour tout-e-s.
La Suisse se situe également à la traîne au niveau des droits des familles fondées par un couple de même sexe. «Jusqu’à 30’000 enfants vivent aujourd’hui dans des familles arc-en-ciel, mais seul leur parent biologique est reconnu. Cela signifie qu’en cas de décès de celui-ci ou de séparation, il n’existe aucune garantie que l’enfant puisse rester avec le second parent», dénonce Delphine Roux. Là aussi, un projet du Conseil fédéral vise à permettre l’adoption, au bout de trois ans de partenariat, de l’enfant par le conjoint, mais on est encore loin de la filiation automatique, comme dans le cas des mariages hétérosexuels. Il y a quelques semaines à peine, le Tribunal fédéral rejetait du reste la demande de reconnaissance de paternité de la part de deux conjoints homosexuels pères d’un enfant né d’une mère porteuse aux Etats-Unis.

Rixe entre deux hommes ou agression transphobe?
Delphine Roux souligne finalement qu’une norme antidiscriminatoire «fait cruellement défaut». En Suisse, seul le canton de Genève interdit dans sa Constitution les discriminations liées à l’orientation sexuelle, mais pas celles liées à l’identité de genre. «Cette lacune touche particulièrement les personnes transgenres», explique Delphine Roux: «Si elles sont agressées en raison de leur transidentité et portent plainte, l’agression sera enregistrée par la police, mais pas son caractère transphobe. Par ailleurs, c’est le sexe de naissance de la personne transgenre qui sera enregistré. Ainsi, une agression transphobe d’un homme contre une femme transgenre se transforme en «rixe entre deux hommes»! La raison principale de l’agression, la transphobie, est entièrement occultée.» Annick Ecuyer, elle-même transgenre, dénonce également cette lacune. «Il n’y a actuellement aucune protection contre les violences et les discriminations basées sur l’identité ou l’expression de genre*, qui sont pourtant le quotidien de bien des personnes trans. Cette absence de protection s’accompagne d’une absence d’information. Les clichés circulant largement et le sujet n’étant jamais abordé auprès des enfants et adolescents en questionnement, la population trans est une des plus fragilisée socialement». Au niveau fédéral, deux initiatives parlementaires ont été lancées pour remédier à cette situation. La première, du conseiller national socialiste Mathias Reynard, demande à ce que l’homophobie soit punissable via le code pénal. La seconde, émanant du canton de Genève, veut que l’homophobie et la transphobie soient, en plus, inscrite dans la Constitution comme étant punissables au même titre que le racisme.

Les mêmes devoirs mais pas les mêmes droits
En Europe, c’est le Royaume-Uni qui gagne la palme des droits LGBT. Plus loin, le Canada est également présenté en exemple. Mais attention, «le fait qu’il y ait des lois progressistes ne signifie pas que l’homophobie et la transphobie ont disparu», rappelle Delphine Roux. Comment l’activiste explique-t-elle le retard suisse? Par «un système politique très lent». Une partie de la population serait pourtant prête à des avancées significatives: «Selon un sondage Isopublic réalisé en juin 2010 sur 1007 personnes, 86,3% sont favorables à une reconnaissance légale des enfants, 65,8% à une adoption de l’enfant du partenaire, et 53% à une adoption conjointe» souligne-t-elle. Restent les autres, qui n’ont pas manqué de s’exprimer en réaction à l’organisation de la Pride valaisanne. «Les termes utilisés à l’égard des LGBT sur certains réseaux sociaux sont encore très choquants et les discriminations encore nombreuses: sociales, professionnelles, ancrées dans les habitudes des gens, comme l’insulte  »sale pédé ». Cela prend du temps à effacer. Cela montre qu’une manifestation comme la Pride est nécessaire. Notre priorité étant de créer le dialogue, ce type de polémique permet cependant aussi d’ouvrir le débat», commente Sébastien Nendaz. Si la Pride de 2015 est dans l’ensemble accueillie de façon bien plus sereine que celle de Sion en 2001, qui avait provoqué bien des remous, il reste encore du chemin à faire. «Tant qu’il y aura de l’homophobie, tant que nous aurons les mêmes devoirs mais pas les mêmes droits que les autres citoyens, il y aura du sens à faire une Pride!», conclut quant à elle Delphine Roux.

*Discriminations liées au fait qu’une personne adopte des attitudes ou une identité «féminine» ou «masculine» qui ne correspond pas à son sexe de naissance.