La chanson politique française ne se rend pas (1)

La chronique de Jean-Marie Meilland • La chanson politique de gauche est bien vivante en France. Les Ferré, Ferrat ou Béranger ont de dignes héritiers. Elle utilise aujourd'hui d'autres véhicules musicaux, comme le reggae, le punk, le rap et le rock. Elle est aussi représentée par un certain nombre d'artistes issus de l'immigration.

Tant qu’on se bat c’est qu’on est debout
Tant qu’on est debout on lâchera pas

(HK et les Saltimbanks, On lâche rien)

La chanson politique de gauche est bien vivante en France. Les Ferré, Ferrat ou Béranger ont de dignes héritiers. Elle utilise aujourd’hui d’autres véhicules musicaux, comme le reggae, le punk, le rap et le rock. Elle est aussi représentée par un certain nombre d’artistes issus de l’immigration. Dans cette chronique, j’évoquerai certains groupes et chanteurs de la partie Nord du pays, sans prétendre honorer tous ceux qui le méritent et en prévoyant de traiter plus tard des musiciens du Sud (1).

La région de Lille est le berceau de plusieurs groupes de grande qualité. Le Ministère des Affaires populaires (MAP), actif depuis 2006, joue un rap éclectique, influencé par le raï et utilisant la langue ch’ti. Son nom veut montrer qu’il s’occupe lui-même des affaires négligées par les politiciens installés. Avec des idées altermondialistes ou proches de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), le MAP décrit sans complaisance les soucis des milieux populaires du Nord. Son appel est résolu: «Les ptit’s gens se cassent les reins pour gagner 3 cacahuètes, galèrent pour remplir leurs marmites avec leurs miettes, comptent la mitraille, flippent pour l’avenir d’la marmaille, s’caillent les miches et s’rechauffent en rêvant d’maille… Et si on changeait la donne, si on renversait la vapeur, si on cassait la baraque et yo dis moi qu’ta pas peur… Nous on rêve de changements de révolte et du grand soir, rejoins la lutte camarade si tu crois en la victoire…» (Salutations révolutionnaires).

HK et les Saltimbanks, formés la même année sous l’impulsion de Kaddour Hadadi (dit HK), un des chanteurs du MAP, est un groupe plus reggae. Engagés dès le départ, ils ont composé «On lâche rien», hymne de la campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2012, et qui a été reprise à Athènes. Face à la surconsommation, voici de leur part quelques fortes paroles: «Va faire un crédit Cétélem, pour t’payer la nouvelle BM, sors ton costume, faut qu’tu consommes, si t’as pas d’tune, t’es pas un homme, faut qu’t’assures, faut que tu dépenses, essaye d’sauver les apparences, va faire un crédit Cofidis, pour payer les Nike à ton fils» (Les Temps modernes).

De Lille, on citera encore Zone d’Expression populaire (Z.E.P.), qui propose un mix très réussi et très tonique de chanson populaire et de hip-hop. Le groupe, dont le chanteur Saïdou vient aussi du MAP, exprime sans concession l’autonomie et la dignité des habitants des quartiers voulant conserver leur double identité d’Arabo-musulmans et de résidents de France. Dans une interview, Saïdou évoque ainsi la démarche du groupe: «Je considère ma musique comme une musique de lutte. Je ne suis ni un prophète, ni un messager… Z.E.P. est une cellule artistique de la lutte… dans mon combat qui s’inscrit dans une lutte des classes, je combats et ne fricote pas avec les dominants… Je milite pour l’alternative et j’y crois fermement» 2. Un excellent extrait l’illustre: «Etre le meilleur dans la course à l’excellence, le mériter pour avoir la récompense, logiciel programmé depuis la petite enfance, compétiteur, formé pour blackbouler la concurrence, à l’école on m’a dressé pour être le premier, écraser les autres, aimer briser le dernier, y a pas de place pour les losers, les fainéants, les assistés, les faibles et les incompétents, le pays des lumières a une image à défendre, un prestige, un honneur à prétendre, et c’est pas avec des voleurs de poules, des clodos, des romanos et des bougnouls, qu’on pourra rivaliser avc les grosses puissances… J’ai le virus hexagonal, la fièvre coloniale, sexiste et libérale…» (Je me soigne). La Canaille a été fondée en 2003 à Montreuil. Dans une interview, le chanteur Marc Nammour s’exprime ainsi: «Le rap est né politique, il doit le rester. Il est là pour revendiquer une vérité sociale qui est propre aux prolos.  »Prolo », ce n’est pas un gros mot, c’est juste la classe la plus importante, beaucoup plus dénigrée que mise en avant.» 3 On trouve cette vérité sociale dans L’Usine: «Couper, séparer, jeter, c’est ça le boulot. Couper, séparer, jeter. Toute sa vie. Pour lui, l’compte à rebours s’est enclenché, à peine le plancher foulé. Huit heures à tenir et pas question d’flancher. Sinon c’est la porte. Des gars comme lui, y en a à la pelle. Profession: O.S. comme ils les appellent dans les boîtes d’intérim. Ouvrier spécialisé. Ferme-la et trime. L’exploitation est officialisée…»

Les Fatal Picards, actifs sous ce nom depuis1998, sont un groupe qui cultive spécialement l’humour, mais qui sait aussi traiter de sujets importants. Il s’est engagé pour le non au référendum de 2005 et participe aux fêtes du Parti communiste français. Le batteur Jean-Marc Sauvagnargues, tout en se plaignant de n’être pas invité à la grande fête de l’Huma, affirme: «Oui, à chaque fois que l’on nous invite pour les fêtes du PC, du journal La Marseillaise et les fêtes de l’Huma locales ou régionales, on y va! Puis il y a une ambiance vraiment particulière que l’on ne retrouve pas ailleurs!» 4 Ces lignes sont un bel hommage aux salariés licenciés: «Huit heures par jour vissé à ma machine, une vie transparente soudée à mon usine, la casquette de travers, j’avais la classe ouvrière, c’était toute ma vie, mon droit à la misère, jusqu’à cette lettre qui dit encore merci, c’est ça ou RMI dans un faubourg de Varsovie, j’ai rien contre la Pologne à part peut-être un pape ou deux, mais dans ma ville du nord le gris du décor est plus bleu, mais je me connais je lâcherai pas l’affaire, je vais piquet de grève comme on pique une colère, plus têtu que tous les vieil homme et la mer, pour que continue le combat ordinaire.» (Le Combat ordinaire).
Je laisse le mot de la fin à Ridan, dont le premier disque est sorti en 2004, et qui a soutenu Jean-Luc Mélenchon en 2012: «Si tu me dis droite je te dirai gauche, si tu me dis gauche je dirais l’extrême, je voterai pour ceux qui votent la vie, plutôt que pour ceux qui votent la haine, si tu me dis droite je te dirai gauche, si tu me dis gauche je dirais l’extrême, je voterai pour ceux qui votent la vie, plutôt que pour ceux qui foutent la merde.» (Partie de golf). Ces groupes et chanteurs sont souvent populaires, produisent nombre de disques et donnent nombre de concerts. Ils n’imposent pourtant pas la tonalité dans notre société. Ce qui est normal quand domine la culture commerciale néolibérale. Mais les graines qu’ils sèment avec talent et sans se lasser n’attendent que l’heure de germer.

1) comme Zebda et les Fabulous Trobadors (Toulouse), Massilia Sound System et Keny Arkana (Marseille), L’Homme parle (Nîmes) et Sinsemilia (Grenoble).
2) http://www.michelcollon.info/Entretien-avec-Z-E-P-Ma-musique.html
3) http://www.article11.info/?La-Canaille-Avec-un-prolo-du
4) http://www.lemusicodrome.com/archives/2013/10/05/28154276.html