Le petit village lémanique qui résiste

Alternatiba • Durant trois jours, Genève, comme 80 autres villes européennes, a vécu au rythme des conférences et animations d’Alternatiba, initiative locale de résistance, de mobilisation et de propositions avant la conférence sur le climat de Paris en novembre. Reportage.

Alternatiba a été le rendez-vous des alternatives. Ici, un stand consacré à la présentation de la permaculture.

Philosophe, poète et pédagogue alternatif franco-grec à la carrure de colosse, Yannis Youlountas fait profiter toute la rue des Savoises de son expertise sur la Grèce et commente les élections hellènes, au micro de Libradio, radio anar, dont les haut-parleurs en extérieur résonnent dans toute la rue. A la question de savoir ce qu’il adviendra de ce pays, soumis à une cure d’austérité depuis 4 ans, le militant se montre optimiste. «Les luttes de base continuent d’exister et je crois en l’intelligence collective des Grecs pour sortir de la crise», pronostique celui qui vient de réaliser un film sur le marasme socio-économique grec et espagnol, Je lutte donc je suis, présenté en primeur suisse à Genève.

Mais l’expertise de ce témoin de terrain n’aura pas été le seul à rallier l’attention et les suffrages des participants d’Alternatiba. Les conférences de Serge Latouche, figure de la décroissance, ou de Ricardo Petrella, défenseur de l’accès universel à l’eau ont attiré des centaines de personnes à la Haute école de travail social ou à la salle communale de Plainpalais. Michel Bauwens, spécialiste de l’économie du partage, a aussi attiré la foule avec son intervention sur l’économie du commun. Il en a appelé à développer cette économie du partage entre pairs, bien différente des lucratifs phénomènes Uber ou Airbnb, «afin de créer un tissu productif qui soit durable, ouvert et juste et permette de se libérer de l’esclavage du travail et la captation de la valeur par des économies privées». «Ce modèle a des effets positifs sur la cohésion sociale et l’économie», a souligné le Belge. Au passage, il en a profité pour égratigner les syndicats, «qui se situent toujours dans une logique de plein-emploi et de salariat, et qui n’ont pas encore intégré celle de la démarchandisation de l’économie».

Produits locaux payés en Lémans

Sur la Plaine de Plainpalais, épicentre de la manifestation, de nombreux stands ont aussi proposé des produits issus de l’agriculture locale, ravissant les papilles des consomm’acteurs, munis des fameux Lémans, monnaie alternative locale, qui vise à renforcer l’économie de proximité, en encourageant la consommation de proximité. A côté d’un poulailler 100% plein air, la Confédération paysanne française et Uniterre rappellent l’importance de développer une agriculture tout à la fois bio et rémunératrice pour les producteurs et de lutter contre le modèle productiviste polluant et l’agro-business.

De nombreux stands d’informations égrènent les combats altermondialistes actuels. Membre des Amis de la Terre de Haute-Savoie, Patricia n’aurait manqué le rendez-vous pour rien au monde. «Il nous semble important d’être un maximum de gens à montrer que nous n’attendons pas grand-chose de la COP 21 de Paris et de faire comprendre qu’il existe un tas d’alternatives profitables à l’humanité et à la terre à la portée de tous. Nous informons sur les dysfonctionnements du système et proposons des alternatives pour créer plus de liens et moins de biens, en défendant une société humaine plutôt qu’inféodée aux multinationales», explique-t-elle.

Quelles sont les luttes actuelles de l’association? «Au niveau local, nous nous mobilisons contre l’implantation d’un grand centre de congrès qui va dénaturer les rives du lac d’Annecy et pour une amélioration de la qualité de l’air du bassin annécien. Nous dénonçons aussi les énergies que l’on refuse, nucléaire ou gaz de schiste, cette dernière étant une menace pour le Pays-de-Gex et défendons les énergies renouvelables. Notre travail est avant tout de sensibiliser les gens comme le font les différents collectifs Alternatiba en France, depuis leur lancement à Bayonne en 2013», souligne encore la militante.

Florian Reinhard est coordinateur de projets à l’Association pour le développement des aires protégées (ADAP), une association de terrain fondée en 1994 et défend le programme de son groupement. «Nos actions se situent principalement en Afrique sub-saharienne», précise-t-il. «Nous considérons que la conservation de la nature et le développement ne sont pas forcément antagonistes. En Tanzanie, nous travaillons en appui aux communautés locales pour la gestion des ressources naturelles. Nous aidons ainsi les apiculteurs à améliorer leur production en quantité et en qualité. Les producteurs sont ainsi passés d’une production d’environ 7 tonnes par années, leur rapportant 1’500 dollars de revenus, à près de 100 tonnes, pour des rentrées de 140’000 dollars. Dans le même temps, les populations locales – notamment à travers la formation de jeunes qui patrouillent contre le braconnage – agissent dans le sens d’une protection de la forêt. Sur les 850 km2 de notre zone d’action, on trouve en nombre près de 50 espèces protégées, soit plus que dans les parcs nationaux tanzaniens», explique Florien Reinhard, qui en profite aussi pour dénoncer l’accaparement (land grabbing) de terres africaines par des multinationales dans des buts de spéculation. «On assiste à une véritable recolonisation de l’Afrique par les entreprises», accuse-t-il.

Sérieux s’abstenir

Sérieux, s’abstenir: coiffé d’un casque de chantier aux couleurs d’une multinationale, Michel présente, à la salle communale de Plainpalais, les efforts de la Global Game Advantage Fondation pour réduire les menaces de réchauffement du climat. «Aujourd’hui, il n’y a pas plus de gauche et de droite et les multinationales sont à la pointe en matière de protection de l’environnement», professe, sans rire, le militant tout en présentant le projet de la Fondation qui sauvera le monde : un train solaire qui amènera directement le givre et la glace de nos frigos au sommet des montagnes pour lutter contre le dégel des glaciers!

Responsable communication d’Alternatiba Léman, Denis Bucher tire un bilan positif de la manifestation. «17’000 personnes ont découvert les initiatives locales pour le climat. The Meal, un repas pour notre avenir, a également fait le plein, puisque nous avons servi 1’055 personnes à Genève qui ont ainsi pris part au plus grand repas du monde dont les bénéfices sont reversés à une coopérative agricole de femmes au Bénin avec soutien à des jeunes défavorisés», précise-t-il.

Cheville ouvrière du forum genevois, Olivier de Marcellus, tire une leçon plus politique. «On sait que la COP 21 va être un four et qu’il est inutile d’en appeler aux Etats qui ne feront rien, il est donc indispensable que la société civile se mobilise, reprenne la main et il est important que cela se fasse au niveau local. Depuis des années dans le Sud, il existe des mobilisations paysannes, autochtones ou syndicales qui agissent, alors qu’ici, au Nord, on s’est longtemps contenté d’appeler à des manifestions. Ce qui ne suffit pas. L’important serait de mettre un programme politique explicite avec les acteurs locaux du changement», précise-t-il. S’avouant «super content», du déroulement et de la participation à Alternatiba, il en appelle aussi à redoubler les résistances. «Des projets comme la troisième réforme des entreprises (RIEIII) sont des attaques frontales contre l’Etat social. On sait qu’en Suisse comme en Europe, la droite veut abattre toutes les protections», conclut-il. Prochaine étape, une grande manifestation du 28 novembre prochain, qui se déroulera à Genève et ailleurs dans le monde, à l’occasion de la conférence de Paris sur le climat.