Pas d’eau potable sans papiers d’identité

Russie • A Saint-Pétersbourg, plus de 60’000 personnes sans-abris survivent dans des conditions difficiles. Il leur est impossible d’accéder au nécessités basiques, parmi lesquelles l’eau potable, en raison de l’absence d’enregistrement de leur domicile dans leur passeport intérieur. Reportage sur place.

L’association Nochlezhka a distribué plus de 1’300 litres d’eau aux sans-abri de l’ancienne capitale impériale, enclenchant un mouvement large de solidarité des habitants. ©Pierre Jaccard

A Saint-Pétersbourg, la pollution de l’eau n’est pas qu’un slogan écologiste mais est connue de tout un chacun, puisqu’il est recommandé de bouillir l’eau sortant du robinet. Il suffit d’ailleurs de regarder les eaux huileuse couleur chocolat de la Neva et d’observer les multiples canaux aux teintes obscures qui parcourent la ville pour mesurer la gravité du problème.

Pas d’accès à l’eau potable
En de telles conditions, on imagine sans mal ce qu’absorbent les dizaines de milliers de sans-abris obligés de s’abreuver d’une eau saturée de chlore, de métaux lourds, où l’on trouve aussi des parasites intestinaux tel le Giardia Lamblia. En effet, les citoyens russes sans-papiers et sans-logis de Saint-Pétersbourg n’ont aucun accès à l’eau «potable» et les rares points d’eau publics leur sont, la majeure du temps inaccessibles, faute de papiers d’identité.

Rappelons qu’en Russie 5 millions de citoyens n’ont aucune existence légale du fait de l’absence, dans leur passeport intérieur, de l’enregistrement de leur domicile (propiska). La propiska est ce statut administratif que les citoyens russes acquièrent lorsqu’ils enregistrent leur lieu de résidence, très souvent lié à celui de la naissance. Dûment tamponnée dans le passeport intérieur, cette inscription est l’unique clé à une existence administrative et aux droits qu’elle procure. Si, pour une raison ou une autre, on perd sa «propiska», on perd tous ses droits civiques. Et très vite, un sans-papiers devient un sans-abri. A Saint-Pétersbourg, ils sont plus de 60’000 à survivre ainsi, dans des conditions très difficiles. Depuis 25 ans, une ONG leur vient en aide, Nochlezhka «un toit pour la nuit» en russe.

Pour souligner cette absence d’accès à l’eau potable et sensibiliser la population de la ville, Nochlezhka a lancé, au mois d’août dernier, une opération de distribution de bouteilles d’eau. Plus de 1’300 litres d’eau ont été répartis. Les médias pétersbourgeois se sont fait l’écho de la campagne, si bien que des citoyens ont spontanément apporté des bouteilles d’eau à l’ONG, permettant de la sorte de multiplier l’action. C’est lors de l’une de ces distributions que nous avons abordé Olga, la soixantaine, venue récupérer quelques bouteilles: «J’ai appris à économiser afin qu’une bouteille d’eau me serve plusieurs jours. Mais quand il fait chaud j’ai vraiment très soif. Parfois, n’y tenant plus, je m’abreuve dans un canal mais après je suis malade…», explique-t-elle.

Crever de soif
Sergueï, une quarantaine d’année, le visage buriné par la survie, nous parle du calvaire que représente la recherche d’eau potable. «Il y a seulement deux possibilités d’obtenir de l’eau propre. Gagner un peu d’argent et l’acheter, ou se rendre dans les toilettes du Macdonald. Mais si nos vêtements sont sales, difficile d’entrer et de boire l’eau aux toilettes. Parfois, nous choisissons parmi nous la personne dont les vêtements sont les moins sales et il va chercher de l’eau pour tous. Il y a des jours où je ne peux rien acheter à boire, où je crève de soif. Aujourd’hui, par exemple, je n’avais rien bu avant cette distribution!» Alors qu’il nous parle, il est 19h30.

La politique de l’absurde
Peut-on espérer que l’action de Nochlezhka sensibilise les autorités pétersbourgeoises? «C’est fort peu probable», nous répond Grigori Sverdline, directeur de l’ONG, qui ajoute que «depuis de nombreuses années, Nochlezhka demande aux autorités de réagir face à ce problème d’hygiène élémentaire et rien ne change.»
Et ce n’est pas avec le décret signé par Vladimir Poutine le 29 juillet dernier, qui ordonne la destruction systématique de tout aliment en provenance de  l’Union européenne, de la Norvège, du Canada, des Etats-Unis et de l’Australie, que l’on peut être optimiste. Le président russe semble préférer détruire des tonnes d’aliments étrangers plutôt que de les distribuer à ses concitoyens dans le besoin, et leur faciliter l’accès à l’eau potable…

L’association Nochlezhka Suisse Solidaire soutien l’ONG russe Nochlezhka, dont l’objectif est de permettre aux sans-papiers et sans-abri de survivre dans un premier temps, puis de retrouver une vie active. www.suissesolidaire.org