Une cuvée modeste et amère

Elections fédérales • Avec un parlement plus à droite qui va s’atteler à accélérer le démantèlement de l’Etat social et après le triomphe de l’UDC xénophobe,des pistes sont à chercher, peut-être du côté de Neuchâtel.

On ne sabrera pas le champagne. Les résultats ne sont pas très bons. A Genève, où elle s’était reformée, la coalition Ensemble à gauche est en recul par rapport aux scores réalisés séparément par Solidarités, le parti du Travail et les Indépendants il y a quatre ans. Vaud enregistre également de mauvais scores. Seul Neuchâtel fait mieux que résister, avec la formidable élection de Denis de la Reussille et la liste POP qui progresse de 2% par rapport à 2011. La conquête d’un siège à Berne n’est cependant pas tout à fait une surprise, vu qu’il y a quatre ans, le magistrat loclois recueillait déjà plus de suffrages nominatifs que les élus PS et Verts au National. Pour résumer, les résultats globaux s’inscrivent dans le cadre du recul général de la gauche dans le pays et de la «droitisation» de l’électorat, que nous ont immédiatement expliqué les politologues. Devant un incontestable constat d’échec, certes rendu moins amer grâce aux Neuchâtelois, il paraît indispensable d’identifier les écueils auxquels s’est heurté le discours porté par les candidats de la gauche combative.

On ne manquera pas de mettre à nouveau en évidence les deux serpents de mer toujours fidèles au poste dès que l’on étudie le phénomène des élections fédérales en Suisse. En premier lieu, le fait qu’il manque à l’appel un électeur sur deux à la levée des scellés sur les urnes: on préfère vite remiser le sujet au placard passé la soirée des résultats et on compte sur les chercheurs pour chercher. A l’échéance suivante, on encourage les jeunes à aller voter avec des campagnes dans les médias du niveau de «amène un ami au bureau de vote et reçois un Ipad». C’est pourtant un drame en soi pour la légitimité de la démocratie, qui relègue au second plan une élection fondamentale. Elle ne serait pas suffisamment «mobilisatrice» en comparaison des votations populaires, censées servir d’instrument de correction de l’activité parlementaire et d’outil rendant à la population le pouvoir de légiférer. La gageure de gagner un vote sur une initiative populaire devrait faire réfléchir sur la pertinence de ce discours. Par ailleurs, tel que le souligne une étude récente de la Fondation suisse pour la recherche en sciences sociales (FORS), une part croissante du phénomène, évaluée pour l’instant à 20%, est constituée d’abstentionnistes chroniques, c’est-à-dire de citoyens qui se sentent exclus de la politique pour différentes raisons. Combiné, cela contribue à ce que l’on retrouve au Parlement la photographie d’une structure socio-économique fort différente (âge, formation, centres d’intérêts) de ce que l’on retrouve dans la réalité. C’est ainsi que les candidats ne finissent par s’adresser qu’aux citoyens déjà intéressés et concernés.

Qui paie gagne

C’est là que le second serpent entre en jeu. On «vend» une offre politique par le biais des dépenses de campagne là où il existe une demande, où l’on peut la créer. Serait-il cavalier d’établir une corrélation directe entre la progression des partis et l’importance de leur budget pub? Il n’empêche que l’ATS relevait déjà dans un article de 2010 que «la prépondérance de l’UDC dans les dépenses publicitaires va très largement au-delà de sa force relative au Conseil national, se situant même 25 points au-dessus de l’importance du parti mesurée en nombre de sièges». Pour le PLR, un budget augmenté d’un tiers et 40% des dépenses totales des partis: comme résultat, trois sièges en plus. Impossible ainsi d’affronter la superstructure bourgeoise dans un pays qui peine à considérer l’argent comme une arme de destruction massive et où il est quasiment irréalisable de légiférer sur le sujet. Il serait sans doute stimulant de pouvoir concourir enfin une fois à armes égales, mais ce déséquilibre pourtant abyssal (facteur 1 à 10 entre le PS et l’UDC, facteur 1 à 10 entre le PST-POP et le PS) n’est pas la dernière donnée à prendre en compte.

Tapis rouge pour la casse sociale

Un discours politique, matraqué ou pas, peut entrer à un moment ou un autre en résonance avec les préoccupations immédiates, avec le «zeitgeist» d’une période donnée. On ne peut que déplorer que cette prise de contact se transpose aujourd’hui en résultats électoraux par le truchement de l’ immédiateté émotionnelle et de l’efficacité d’une mémoire qu’on connaissait plutôt aux poissons rouges. En 2011, l’accident de Fukushima- et hop!- six mois plus tard, dix élus vert’libéraux en plus. En 2015, une crise des migrants en Europe – et hop! – trois mois plus tard, dix sièges en plus pour l’UDC. A l’arrivée, il n’y a désormais plus de majorité modérée pour ralentir le démantèlement de l’Etat social et la cannibalisation du monde du travail, déjà tous deux peu ménagés sous la législature précédente.
A l’absence d’horizon stratégique que produit une telle surémotivité réactionnelle au sein des masses, la réponse à donner ne peut s’inscrire que dans la patience et la prise de hauteur. La gauche de gauche doit finir par réussir à convaincre jusque dans ses tripes la majorité de la population que la dynamique actuelle conduit à un modèle social de ségrégation entre très riches, pauvres et très pauvres, et que la classe moyenne (et assimilés) a infiniment plus de chances de se retrouver parmi les plus pauvres qu’avec les très riches.