Egalité salariale: les femmes attendront 2133!

La chronique féministe • Quand il faut trouver de l’argent pour financer l’AVS, les responsables des autorités et des entreprises avancent, la bouche en cœur, l’argument massue de l’égalité entre femmes et hommes. On propose donc de reculer l’âge de leur retraite de 64 à 65 ans. Etape finale: il fut un temps où elles la prenaient à 62 ans... Mais quand il s’agit de leur donner un salaire égal pour un travail égal, les belles déclarations s’envolent.

Je suis furax. Comme toutes les féministes de ce pays et, probablement, une majorité de Suissesses. On en a marre, vraiment marre, du mépris avec lequel «nos» autorités nous traitent.

Quand il faut trouver de l’argent pour financer l’AVS, les responsables des autorités et des entreprises avancent, la bouche en cœur, l’argument massue de l’égalité entre femmes et hommes. On propose donc de reculer l’âge de leur retraite de 64 à 65 ans. Etape finale: il fut un temps où elles la prenaient à 62 ans…

Mais quand il s’agit de leur donner un salaire égal pour un travail égal, les belles déclarations s’envolent. On nous sort et ressort les sempiternels arguments de la liberté du commerce, du danger qu’un salaire égal ferait courir aux entreprises du pays, de la carotte préférable au bâton…

Ah oui? Constatant que l’égalité des salaires, inscrite dans la Constitution fédérale depuis 1981, reste un vœu pieux (les femmes gagnent toujours 20% de moins que les hommes, chiffre qui s’accentue quand on monte dans la hiérarchie), Simonetta Sommaruga avait proposé, en 2009, un «dialogue sur les salaires» avec les entreprises volontaires… il y en eut 50 sur plus d’un million à répondre présentes! On peut applaudir la volonté des patrons à faire avancer la cause.

Le Conseil fédéral a donc décidé d’agir. Mais les propositions sont tellement douces, tellement minimalistes qu’elles ont de quoi désespérer les plus modérées des féministes.

Voyons plutôt: Les «mesures» ne concerneront que les entreprises de plus de 50 employé-e-s, soit entre 6000 et 7000. «Il ne s’agit en aucun cas d’instaurer une police des salaires», a souligné Simonetta Sommaruga. Ce serait dommage, en effet. Cette «révision» de la loi sur l’égalité ne prévoit ni contrôle étatique ni possibilité pour l’Etat de recourir en justice contre des entreprises peu coopérantes. Elle ne prévoit même pas de sanction! Mais le gouvernement propose une variante qui forcerait les organes de contrôle à dénoncer au Bureau fédéral de l’égalité les employeurs récalcitrants, qui seraient alors signalés sur une liste accessible au public. Comme c’est gentil! Il ne faut surtout pas brusquer les pourvoyeurs d’emplois, n’est-ce pas.

Je dois me pincer pour le croire. Enfin quoi, les femmes attendent depuis 1981, soit depuis 34 ans, qu’on rectifie l’anomalie et la profonde injustice que représente la différence salariale entre les sexes, et c’est tout ce qu’on leur sert? Inutile de préciser que si la discrimination touchait les hommes, il y a belle lurette que le problème serait réglé!

J’ai enseigné pendant 33 ans à l’école secondaire genevoise. Certes, j’aurais souhaité que les élèves se comportent comme les résidents de l’Abbaye de Thélème, utopie imaginée par Rabelais dans Gargantua. A Thélème, il n’y a pas de hiérarchie, les conflits sont inexistants, les femmes et les hommes sont vertueux, ont le sens de l’honneur, savent se gouverner eux-mêmes et œuvrent au bien commun. Rabelais postule qu’une société sans contraintes ni conflits est possible dès lors qu’on laisse s’exprimer la nature foncièrement bonne de l’humain. Deux siècles plus tard, Rousseau déclarera aussi que l’être humain naît bon. Mais au 20ème siècle, Freud démontrera le contraire. C’est l’éducation qui contribue à socialiser l’enfant, au départ égoïste et centré sur lui-même, et à le rendre altruiste.

Durant mes années d’enseignement, j’ai posé des exigences, puis j’ai contrôlé qu’elles soient respectées, et puni celles et ceux qui contrevenaient ou trichaient. Durant ma formation, j’ai lu avec intérêt des livres comme Libres enfants de Summerhill (Maspero 1970) de Alexander S. Neill, fondateur de l’école britannique qui recueillait les enfants dont plus personne ne voulait et appliquait la liberté d’apprentissage. Mais dans l’école publique et traditionnelle, il faut faire avec ce que l’on a.

Je ne vois aucun domaine où il suffit d’attendre le bon vouloir de ceux qui détiennent le pouvoir pour obtenir des résultats. Toutes les avancées sociales se sont faites à travers des luttes, des grèves, des affrontements qui provoquèrent souvent des morts parmi les contestataires. Si on avait laissé faire le patronat, on en serait encore à la semaine de six jours, à 15 heures par jour, sans précaution, vacances ni retraite.

Il ne faut donc pas laisser le patronat progresser à son rythme, mais prendre des mesures coercitives. Sinon, on en a jusqu’en 2133, selon les calculs du WEF (Forum économique mondial). Les femmes en ont marre d’attendre!
Voici les solutions pour remédier enfin aux écarts de salaire:

• Rendre obligatoire la transparence des salaires dans toutes les entreprises.
• Encourager les femmes à comparer leur salaire à celui de leurs collègues masculins et à dénoncer les inégalités.
• Mettre sur pied une commission qui recueille les plaintes.
• Donner le pouvoir à l’Etat (cantonal et fédéral) de contrôler les grilles salariales et de recourir en justice contre les patrons récalcitrants.
• Exclure des marchés publics les entreprises qui ne respectent pas la loi sur l’égalité.
• Mettre sur pied un congé parental qui permettrait aux pères de prendre leur part dans l’éducation des enfants (la commission sociale vient de renvoyer le congé paternité aux calendes grecques, alors que 80% de la population y est favorable!)
• Mieux répartir les emplois à temps partiel.
• Construire le nombre nécessaire de crèches, afin de permettre aux femmes de ne pas quitter le monde du travail.

Ainsi, nous construirions une société plus juste, où chacun et chacune aurait sa place. Ici, il ne s’agit pas de directive ni de règlement, mais de la LOI. Il serait temps qu’elle soit appliquée. Je préconise que toutes les femmes, et les hommes qui les soutiennent, refusent la révision de l’AVS aussi longtemps que des mesures coercitives n’auront pas été mises sur pied pour obtenir l’égalité de salaire. Nom d’une petite bonne femme!