Le silence est le lieu de tous les possibles

«Parce qu’à 14 ans j’ai entendu un soldat américain chanter  »Parlez-moi d’amour », je me suis juré qu’une fois la guerre finie je deviendrais compositeur!», racontait Toru Takemitsu, rencontré à Tokyo en 1987. Reconnu dans son pays et dans le monde entier comme une personnalité musicale marquante du 20ème siècle, il parlait sans craindre de longs...

Toru takemitsu a aussi signé des musiques de film, comme celle du dodes’kaden de Kurosawa.

«Parce qu’à 14 ans j’ai entendu un soldat américain chanter  »Parlez-moi d’amour », je me suis juré qu’une fois la guerre finie je deviendrais compositeur!», racontait Toru Takemitsu, rencontré à Tokyo en 1987. Reconnu dans son pays et dans le monde entier comme une personnalité musicale marquante du 20ème siècle, il parlait sans craindre de longs silences, le visage hiératique, calme, réfléchi, un peu mystérieux, ponctuant parfois ses propos de rires brefs.

Pratiquement autodidacte
Né à Tokyo, Takemitsu a vécu jusqu’à l’âge de sept ans en Mandchourie. Revenu au Japon, il est mobilisé en 1944 dans une base militaire. «Le gouvernement avait interdit la musique occidentale. Du coup nous, les jeunes, nous n’avions qu’une envie: l’écouter en secret! A l’époque, vu les moments épouvantables que nous avions traversés, je détestais tout ce qui était japonais et voulais être un compositeur de musique occidentale. J’étais particulièrement attiré par la musique française, spécialement Debussy. Je n’avais aucun antécédent musical; on ne pratiquait pas la musique dans ma famille. Je suis en fait un autodidacte même si j’ai bénéficié des conseils du compositeur Yasuji Kiyose. Ce n’est que dix ans plus tard que j’ai entendu par hasard de la musique japonaise traditionnelle: j’en fus profondément ému et je me suis mis à étudier la musique de mon pays. Si je suis un compositeur japonais faisant de la musique occidentale, je pense que mon sens du temps, de la durée, de la couleur, est différent de celui d’un compositeur occidental, de même que l’importance accordée au silence, qui n’est pas un vide, mais le lieu de tous les possibles. Je reste japonais et je vis plusieurs cultures.»

Concilier les diverses cultures

Toru Takemitsu a abordé tous les genres musicaux. Il a composé de la musique électro-acoustique, des pièces pour instruments japonais, de la musique de film, celle de Dodes’kaden et de Ran, d’Akira Kurosawa, par exemple. Il ne cherchait pas tant à faire une synthèse qu’à concilier les diverses cultures, sans en gommer les spécificités. Il reconnaissait une certaine universalité à la culture occidentale, «parce qu’elle s’est construite aux dimensions de l’humain, parfois contre la nature, avec une structure temporelle, causale et logique tout à fait particulière, alors que la musique japonaise est fortement liée à notre sol, à cette nature, ces arbres, cette eau. Ma musique s’inspire des proportions des temples zen ou du dessin des jardins japonais. Sable et pierre y composent un cosmos en miniature; les instruments à cordes sont comme le sable de ces jardins. Ma musique ne commence ni ne finit; elle est contemplation, intuitive plus que construite. Il faut dire qu’il appartient à notre mentalité d’ajouter une chose à l’autre, de juxtaposer plutôt que d’élaborer une architecture».

Un Requiem pour orchestre à cordes
Le Requiem de Takemitsu, que dirigera Kazuki Yamada aux concerts de l’Orchestre de chambre de Lausanne les 7 et 8 décembre, est une œuvre pour cordes, sans paroles. Ecrit en 1957, il a révélé la personnalité de Takemitsu au monde musical. En un seul mouvement d’une dizaine de minutes, lent-modéré-lent, il est un chant intense, profondément tragique, mais douloureusement paisible, traversé cependant en sa partie médiane par des accents grinçants, aux sonorités métalliques, auxquels répondent les phrases poignantes des violoncelles. Et la beauté triste du début réapparaît avant que le son ne s’éteigne dans le silence. Il y a quelque chose d’envoûtant, d’énigmatique, qui touche immédiatement, dans cette musique dont Takemitsu disait qu’elle est comme «une estampe qui se déroule». Il ajoutait avec humilité: «Ma musique décrit ce que je sens. Je voudrais vivre très longtemps pour faire une musique aussi bonne que possible. Je rêve d’écrire de la vraie musique: créer un son aussi chargé d’intensité que le silence.» 

Au même concert, une création
Au même concert, l’OCL donnera en création mondiale un concerto pour basson du compositeur suisse Daniel Schnyder, avec en soliste le basson solo de l’Orchestre Philharmonique de Berlin Daniele Damino. Cette création s’inscrit dans le projet Œuvres Suisses, soutenu par Pro Helvetia et visant à faire jouer par les principaux orchestres helvétiques une série de trente-trois partitions nouvelles pour enrichir leur répertoire d’aujourd’hui.

Lausanne, salle Métropole, lundi 7 et mardi 8 décembre à 20h, troisième des Grands Concerts de l’OCL