Une loi brutale contre les syndicats

Royaume-Uni • Début novembre, le gouvernement de David Cameron présentait son «Trade Union Bill», un projet de loi qui exige des syndicats une multitude de démarches avant de pouvoir faire la grève et transforme de fait le droit de grève en parcours du combattant (paru dans Solidaire).

Par Staf Henderickx, paru dans Solidaire

Le 2 novembre dernier, des milliers de personnes, dont plusieurs parlementaires, manifestaient devant le Parlement britannique contre le «Trade Union Bill», un projet de nouvelle loi antisyndicale. Le président du Labour, Jeremy Corbyn, mettait en garde: «Cette loi n’est pas seulement une attaque frontale contre le droit de grève, un des socles des droits démocratiques dans le monde entier, mais aussi contre l’essence même de la démocratie.»
La nouvelle loi, actuellement examinée par le Parlement britannique, entend imposer des obligations très détaillées aux grèves et aux piquets de grève. Avant d’entamer une grève, les syndicats doivent d’abord organiser un vote par courrier postal, et 50% des affiliés au moins doivent se prononcer en faveur de la grève (dans le secteur public, 40%). Démocratique? Sauf qu’il y a pas mal d’anguilles sous roche, et que l’une d’entre elles est particulièrement dangereuse: la loi tient en effet compte des personnes qui ne participent pas au référendum ou qui s’abstiennent et les ajoute au nombre des opposants. Essayez donc d’obtenir ainsi une majorité! Si, dans une entreprise de 1000 travailleurs, 491 se disent pour la grève et que le reste s’abstient ou ne renvoie pas son bulletin, la grève sera donc interdite. Si on avait appliqué cette règle aux élections législatives, les plus conservateurs des parlementaires n’auraient jamais été élus. À moins qu’on ait pu ajouter les votes blancs au nombre de voix qu’ils ont obtenues. Les lois sont taillées à la mesure de ceux qu’elles servent…

Responsable de piquet
Les voix du syndicat ne peuvent pas non plus être récoltées par voie électronique, elles doivent figurer sur papier, être rédigées à la main et envoyées sous enveloppe timbrée. Alors que le gouvernement Cameron peut, d’un simple clic, donner l’ordre d’assassiner des civils à des milliers de kilomètres, le droit de voter par internet est refusé aux syndicats.
Et si, malgré ces réglementations absurdes, une majorité sortait quand même du scrutin, un second parcours du combattant commence. Au moins deux semaines avant la grève, le syndicat doit fournir à l’employeur et à la police un plan détaillé renseignant entre autres les actions qu’il compte entreprendre, les noms des participants et du responsable du piquet de grève. Ce dernier doit porter un brassard officiel et aisément reconnaissable. L’absence de ce brassard sera sanctionnée d’une amende allant jusqu’à 20’000 livres. Au départ, la loi imposait également la description de «comment les grévistes entendaient utiliser les médias sociaux comme Facebook et Twitter». Sous la pression d’actions et des organisations des droits de l’homme, le secrétaire d’Etat Sajid Javid a finalement supprimé cette obligation-là.

Autorisation officielle de faire travailler en sous-traitance
Une fois que toutes ces conditions sont remplies, on peut faire grève. Mais…! Dans ce cas, et toujours selon la loi, l’employeur peut alors intégrer des travailleurs volontaires en sous-traitance. En d’autres termes, la loi autorise de faire briser la grève par des «jaunes». Des collègues sous-payés peuvent alors être embauchés dans des emplois précaires et dangereux. En outre, le piquet de grève doit continuer à disposer d’effectifs suffisants. Si quelques personnes seulement sont de piquet, la police peut alors arrêter les grévistes pour pratiques illégales. Un important parlementaire – pourtant conservateur–, David Davis, a même comparé ces propositions aux pratiques du régime de Franco.

Enfin, la nouvelle loi antisyndicale veut mettre un terme aux ordres permanents via lesquels les affiliés versent leur cotisation directement au syndicat.

Cerise sur le gâteau conservateur antisyndical

Le nouveau Trade Union Bill doit être perçu dans le contexte de la loi antisyndicale déjà particulièrement sévère en vigueur aujourd’hui en Grande-Bretagne. Entre 1980 et 1993, les conservateurs ont fait passer six amendements de la loi au Parlement, amendements censés empêcher le syndicat «d’entreprendre des actions industrielles légales». Les postes de grève étaient déjà soumis à des réglementations, la procédure de vote était établie avec minutie, les dépenses financières devaient être communiquées et il existait déjà des mesures judiciaires en faveur de la reprise du travail. Déjà aujourd’hui, les syndicats doivent entreprendre une multitude de démarches avant qu’une grève soit reconnue comme légale.

La garde-robe de Margaret Thatcher sera prochainement mise aux enchères. Si elle était encore en vie, elle pourrait en sortir sa tenue la plus festive pour embrasser son fils spirituel Cameron et sabler le champagne pour sa proposition de loi. A son époque, en brisant la grève des mineurs, la Dame de fer avait donné le coup d’envoi de la campagne antisyndicale la plus virulente de l’histoire de l’Europe occidentale. Les retombées sociales allaient être dramatiques pour tous les travailleurs du Royaume-Uni. L’industrie a été démantelée au profit de la City financière. Les charbonnages ont été fermés et, aujourd’hui, ironiquement, la Grande-Bretagne est obligée d’importer le charbon dont elle a besoin…

Mais ces attaques ne visent pas que les syndicats. Elles ciblent aussi tous les travailleurs, les chômeurs et les gens dépendant d’un revenu de remplacement. En effet, ceux qui, individuellement, émettent des revendications salariales ou évoquent des problèmes de santé volent en général à la porte sans autre forme de procès. Et bien souvent définitivement. La journée de huit heures, les week-ends libres, le congé de maternité, l’indemnité de maladie, la sécurité au travail, les congés payés, les réglementations de licenciement, les augmentations salariales, le salaire minimal, les conventions collectives de travail… Tous ces acquis ont été, un par un, arrachés par l’engagement des syndicats et les luttes des travailleurs.

Même Churchill avait plus de respect pour les syndicats

«Les syndicats sont une valeur établie et sont une partie indissociable de notre nation. Ils constituent les piliers de notre société britannique. Les individus, hommes et femmes, ont le droit de défendre leur salaire et leurs conditions de travail par des conventions collectives de travail, droit de grève compris.» Ces mots ne sont pas ceux d’un dirigeant syndical de gauche, mais de l’archi-conservateur Winston Churchill qui, deux ans avant de les prononcer lors des élections juste après la Seconde Guerre mondiale, venait d’être battu par le Labour. Jusqu’à la période de Thatcher, les syndicats allaient même être acceptés par les Tories comme des partenaires à l’égal des patrons. Non pas par respect spontané envers les syndicats, mais sous la pression des grèves, manifestations et victoires électorales d’un Labour de gauche au cours des années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale.

Tout cela contraste de façon saisissante avec l’approche agressive du gouvernement Cameron qui, pourtant, dispose déjà de la stratégie antisyndicale la plus sévère du monde occidental. C’est du reste sous le gouvernement Cameron qu’il y a eu le moins de grèves.

La résistance rassemble ses forces
Les défis auxquels la gauche est confrontée en Angleterre sont écrasants: plus de la moitié des personnes vivant sous le seuil de pauvreté sont des working poor (des gens qui ont un emploi et sont pourtant pauvres) – mais, pour eux, le gouvernement conservateur n’a plus un seul penny, alors qu’il offre annuellement 11 milliards de livres aux grandes entreprises sous forme d’aides salariales, une forme déguisée de subsides; les services publics ont pratiquement été entièrement privatisés, NHS compris (National Health Service, système public de soins de santé); le système fiscal est devenu absolument inéquitable – même sous le Premier ministre Winston Churchill, le taux d’imposition le plus élevé était de 97,5%, alors qu’aujourd’hui, plus personne n’oserait hasarder une telle revendication; la pénurie de services publics est phénoménale, les droits démocratiques sont démantelés, l’environnement est fortement détérioré… Bref, le calvaire comporte bien plus que douze stations…

Dave Ward, le président du syndicat des postiers, tient des propos alarmants. «Cette fois, nous allons devoir rassembler toutes nos forces pour arrêter cette proposition de loi», a-t-il déclaré. L’approbation de ce projet de loi remettrait les pendules à l’heure de l’époque victorienne. Le gouvernement Cameron est champion d’Europe du démantèlement des droits démocratiques et il est clair qu’il entend entraîner les autres États membres européens dans cette voie. C’est pourquoi il est également nécessaire que tous les syndicats et partis de gauche européens fassent entendre leur voix dans le débat sur cette nouvelle loi antisyndicale. Comme au judo, il va falloir retourner cette attaque extrême de l’establishment contre l’establishment lui-même. Dave Prentis, président d’Unison, le syndicat des services publics, a déclaré: «Ce projet de loi ne nous empêchera pas de faire grève, ni de défendre le gagne-pain de millions de personnes et de protéger les gens les plus vulnérables. Dans notre résistance, nous allons renforcer le syndicat, forger des coalitions et défier ainsi la loi.» Le syndicat du rail des DLR (Docklands Light Railways) ne se laisse pas intimider non plus et vient d’organiser une grève de 48 heures contre le manque d’effectifs et les harcèlements du management. Si la loi antisyndicale avait déjà été en vigueur, cette grève aurait été «illégale»…