Paradis perdu

Il faut le dire • Au rang des tendances politiques phares pour 2016, on verra sans doute l’accroissement de la volonté des Européens de se barricader à l’intérieur de leur forteresse et la progression logique des mouvements conservateurs à la rhétorique anti-immigré de plus en plus décomplexée qui en découle...

Au rang des tendances politiques phares pour 2016, on verra sans doute l’accroissement de la volonté des Européens de se barricader à l’intérieur de leur forteresse et la progression logique des mouvements conservateurs à la rhétorique anti-immigré de plus en plus décomplexée qui en découle. Le cavalier seul aux primaires républicaines américaines de l’oligarque Donald Trump, avec ses ruades xénophobes et ses odes continuelles à la figure mythologique du cow-boy-qui-se-fait-tout-seul participe du même phénomène, celui du déclassement et des espoirs d’un retour des jours heureux, d’un paradis perdu, placés dans une magie verbale incantatoire censée faire repartir l’Histoire en arrière. Vu de l’extérieur, tout ceci apparaît plutôt comme une volonté de s’enfouir la tête dans le sable.

Sous l’effet sédatif de décennies vécues avec l’Etat-Providence protecteur, des strates entières de la population s’imaginent revenir à un Eden originel où se côtoieraient par l’ effet d’une alchimie inconnue le gentil capitalisme à grand papa, des impôts modérés et un moelleux sentiment de sécurité dans le rêve éveillé d’un «Avant» idéalisé. Mais «Avant» n’est pas un paradis hors du temps dont on aurait été injustement chassé, il a été le résultat concret de processus culturels, sociologiques et démographiques permanents, de luttes âpres qui ont vu les plus pauvres demander des comptes aux plus riches. La situation actuelle qui angoisse tant les populations occidentales est la continuité inévitable de choix économiques stratégiques et infrastructurels récents qui produisent la seule réalité qui pouvait en découler. L’aveuglement face aux causes fondamentales et mécaniques de ces angoisses est avant tout structurel. Il consiste par exemple à attendre d’être dans la position des Grecs pour se sentir à nouveau en phase avec ces questions.

La remarque vaut aussi pour ces humanistes qui par bonté de cœur, par sentiment de culpabilité ou par les effets résiduels d’une culture chrétienne à l’état «zombie», ne crient pas haro sur le baudet (le réfugié), tout en refusant de remettre en question les fondamentaux d’un système économique et géopolitique global qui, au fond, les arrange.