La droite joue la surenchère à Calais

France • Depuis des mois, droite et extrême droite surfent sur la détresse des réfugiés de la «jungle» de Calais. Au-delà de l’exploitation politique de cette situation, les collusions entre forces de police et groupuscules identitaires semblent monnaie courante. Reportage sur place par Emilien Urbach (l’Humanité).

La «Jungle», présentée comme le plus grand bidonville d’Europe, subit fréquemment des attaques de la part de l’extrême droite et de la police. (Flickr)

A Calais, sur la place où trône la statue de Charles de Gaulle, le tag «Nik la France», réalisé par «deux hommes en noir» lors de la manifestation de soutien aux migrants, samedi 23 janvier, a complètement disparu. Mais la trace qu’il a laissée dans les esprits est loin d’être effacée. Quelques minutes après la publication sur les réseaux sociaux de ce geste pictural de mauvais goût, mais également de l’action coup de poing de quelques dizaines de réfugiés et militants No Borders, grimpés symboliquement sur un ferry anglais, Marine Le Pen s’était enflammée sur Twitter, inaugurant le déchaînement de la droite. Natacha Bouchart, la maire (LR) de Calais, évoque alors une situation «intolérable», due à «des pseudo-défenseurs des migrants (qui) ont essentiellement pour vocation de perturber la vie économique».
De fait, la vague – toute relative – de solidarité envers les réfugiés, qui s’était manifestée à l’automne dernier, est bien loin. Finies les larmes de crocodile. Désormais, le sort des migrants de Calais fait l’objet de toute l’attention de la droite et de l’extrême droite, bien décidées à surexploiter, électoralement parlant, cette situation dramatique. Avec un mode opératoire sans complexe: sévérité extrême et coups de menton à l’encontre des exilés qui fuient la misère; complaisance permanente face aux débordements xénophobes qui se manifestent depuis des mois. Un deux poids, deux mesures plus qu’inquiétant.

Calaisien excédé ou skinhead néonazi?

Ce même samedi 23 janvier, la réaction d’un jeune «Calaisien excédé», menaçant les manifestants avec un fusil de chasse lors du passage du cortège devant son domicile n’a pas suscité de condamnation particulière de ces mêmes responsables politiques. L’homme et son père vociférant auraient fait face à quelques jets de bouts de bois et d’un pneu de vélo. «Seul contre tous», commente alors le frontiste Gilbert Collard, rejoint, deux jours plus tard, par le chef de file des «Républicains», Nicolas Sarkozy.

Et pourtant. Le jeune au crâne rasé devenu égérie du désarroi de la population calaisienne est en réalité un skinhead néonazi nommé Gaël Rougemont. Sur la Toile circulent de nombreuses photos où on le voit en compagnie de membres du groupe de rock néonazi Northern Impact, de Vincent Vauclin, le leader du groupuscule Dissidence française, ou encore de Kevin Reche, l’animateur du mouvement d’extrême droite Sauvons Calais. Le même qui arbore fièrement sur les réseaux sociaux une croix gammée tatouée sur son torse. Gaël aime à magner la matraque au sein du SEP, le service d’ordre du Parti de la France du Nord-Pas-de-Calais, et se rend régulièrement à Lyon pour prêter main-forte aux Identitaires de la Traboule et au GUD local. Ce groupuscule qui considère judaïsme et islam comme de la «gangrène» dont il faudrait «libérer la France».

Difficile, par ailleurs, de croire à la naïveté des forces de police et de la préfecture qui ont justifié la sortie de la famille Rougemont, fusil au poing, comme un geste d’agacement. En 2010, ce prétendu «Calaisien excédé» avait été placé en garde à vue pour violences avec arme lors d’une agression de migrants. Mineur, à l’époque, il avait été relaxé. Le sera-t-il de nouveau, alors que la justice vient de découvrir qu’il détenait illégalement le fusil de chasse qu’il a brandi le 23 janvier? Gaël Rougemont fera en tout cas, cette fois, l’objet de poursuites. Il aura à ses côtés l’inénarrable avocat Gilbert Collard (soutien du FN et secrétaire général du Rassemblement Bleu Marine), qui a proposé de le défendre, «gratuitement» bien entendu.

Les bénévoles qui viennent en aide aux habitants de «la jungle» ont régulièrement affaire à ces groupuscules. «On a rendu les véhicules de l’association complètement anonymes parce qu’on nous casse régulièrement les vitres et on nous crève les pneus», explique Georges, un militant communiste qui habite un appartement sur les quais du vieux port. Lui est engagé dans Salam, l’association qui vient en aide aux exilés depuis une quinzaine d’années. «Calais est abandonné, ce n’est pas la faute à ceux qui fuient la guerre ou la pauvreté, explique-t-il. Ce sont les industriels qui délocalisent et vident des bassins entiers du port de Calais.» L’homme et son épouse, Claudine, sont régulièrement témoins des méthodes employées par l’extrême droite pour instrumentaliser la détresse sociale. «Dans le bassin minier, le Front national placarde des affiches rouges où il écrit en jaune: ‘‘Le service public, c’est Marine’’», raconte Claudine.

L’extrême droite gagne du terrain tous azimuts, même au sein des forces de police et de gendarmerie. Sur la Côte d’Opale, ces dernières sont la seule réponse de l’État aux drames humanitaires vécus par les réfugiés sous le regard inquiet d’une population de plus en plus précarisée. Une enquête menée avant le premier tour des élections régionales indique que 51,1% des policiers et des militaires avaient l’intention de voter pour le FN. À Calais, cette collusion entre police et extrême droite va bien plus loin que les urnes.

Les bulldozers à l’ouvrage autour de la «jungle»
Depuis plusieurs mois, un groupuscule, nommé Calaisiens en colère et composé de nombreux membres du Front national, dont l’ex-chargé de communication à la mairie de Beaucaire, Damien Rieu, publie régulièrement des vidéos de leurs actions sur Internet. «Lors de nos rondes (…) nous informons les CRS des mouvements afin qu’il n’y ait pas d’accident sur l’autoroute où nous dispersons les groupes de migrants», explique tranquillement l’un de ses membres sur Facebook. Sur certaines images, on assiste à des dispersions par jets de pierres. Sur d’autres, il s’agit de menaces avec arme à feu ou Flash-Ball. Dans l’une de leurs réalisations, on voit distinctement leurs membres jeter des pierres sur des hommes rassemblés à l’entrée de «la jungle» et des CRS, quasiment côte à côte, tirer des gaz lacrymogènes dans la même direction… Sur la page Facebook du groupuscule d’extrême droite, après Noël, des personnes se présentant comme CRS remercient même les Calaisiens en colère pour leurs petits cadeaux. En milieu de semaine dernière, les bulldozers étaient à l’ouvrage autour de «la jungle». Ils creusent, protégés par des policiers suréquipés, le «no man’s land» – comme l’appelle la préfète – qui encerclera bientôt le plus grand bidonville d’Europe.

«Beaucoup de gens ont intérêt à ce que la situation ne change pas»

«Hier, un des réfugiés était très mal, raconte Maya, une bénévole de l’Auberge des migrants. Il m’a expliqué qu’il avait été tabassé par des hommes en civil mais appareillés avec du matériel de police: gants, matraques, bombes lacrymogènes…» Pour cette militante, attablée dans une des baraques de bois et de bâches, les événements autour de la manifestation du 23 janvier ont de quoi laisser perplexe. Les deux individus interpellés pour avoir «facilité» l’accès des exilés au ferry ont déclaré être des bénévoles de son association. «On enregistre tous ceux qui viennent nous prêter main-forte, explique-t-elle. On en a 50 à 100 par jour. On enregistre même ceux qui passent pour une seule journée. Ces deux personnes ne figurent pas sur nos listings.» Elle dénonce le climat délétère et la mauvaise foi employée à dessein par la droite, l’extrême droite et leurs soutiens. «Qui sont réellement les commerçants qui se plaignent de la situation? lâche-t-elle. Allez voir dans les supermarchés et les boucheries halal. Les 6’000 réfugiés entassés ici consomment aussi. Tous les bénévoles qui arrivent d’Angleterre, de Belgique, d’Allemagne ou de France, une centaine par jour, dorment dans les hôtels, vont dans les bars et les restaurants le soir…»

Plus tôt, chez lui, Georges, de l’association Salam, ne tient pas un autre discours. «Beaucoup de gens ici ont intérêt à ce que la situation ne change pas. Politiquement, mais aussi économiquement. Les réfugiés et les logiques sécuritaires créent de l’activité…». Aux abords de la rue Salvador-Allende, une quinzaine de bus de la gendarmerie mobile, remplis d’hommes, manœuvrent pour entrer et sortir des parkings devant les hôtels alignés le long de la route. Sur la place où marche sans bouger un général de Gaulle en pierre grise, la gérante d’un restaurant s’attable avant la fermeture de son établissement et s’adresse à un collègue: «Il faut que je prépare la facture des gendarmes d’hier soir. Ils vont bientôt passer la chercher.