Le film demain ouvre des portes sur l’avenir

La chronique de Jean-Marie Meilland • Le film Demain (1) suscite un vif intérêt. Il est particulièrement bien adapté à cette période où tant d’inquiétudes se manifestent dans les pays du Nord, par rapport à l’évolution économique, par rapport à la crise environnementale, par rapport aux drames des migrations. Et cet intérêt me semble largement mérité. Alors que nombre de films et d’ouvrages critiques offrent de magistrales dénonciations des situations inacceptables et d’excellentes propositions pour ce qu’il faudrait faire, le film Demain s’attache plutôt à présenter ce qui se fait déjà, ce qui est déjà plus encourageant.

Je vois en effet trois grandes qualités à cette œuvre. La première est justement de présenter des solutions qui fonctionnent actuellement, non seulement dans quelques communautés utopistes, mais à des échelles assez larges. La deuxième est que les solutions présentées vont presque toutes à la racine des problèmes et sont de nature à remettre profondément le système en question. La troisième qualité est une attention à l’importance des processus politiques pour mener à bien les changements. Je vais aborder ces trois aspects en me référant au précieux livre tiré du film, Demain, un nouveau monde en marche (2). Je conclurai par quelques remarques critiques.

D’abord les solutions présentées se caractérisent presque toutes par l’ampleur qu’elles connaissent déjà. L’introduction de l’agriculture en ville, telle qu’elle est décrite à Detroit (1600 fermes et jardins dans la ville) concerne maintenant de nombreuses grandes villes des États-Unis et du Canada (New York, Los Angeles, Chicago, Vancouver,…). Quant au mouvement des Incroyables Comestibles, qui allie agriculture urbaine et nourriture à partager, il concerne maintenant plus de 80 villes en Angleterre, plus de 400 villes et villages en France, et a essaimé dans le monde entier. Alain Bringolf rapportait récemment dans Gauchebdo (3) le processus aujourd’hui en cours à La Chaux-de-Fonds. Pour la constitution de réseaux d’entreprises en vue de relocaliser l’économie, l’organisation BALLE (Business Alliance for Local Living Economies) fédère 35000 entreprises américaines répartis dans 80 réseaux. Pour les monnaies complémentaires, le WIR suisse, dont nous pouvons être fiers, est utilisé par 60000 PME dans notre pays; alors que les monnaies locales connaissent un important essor, comme à Bristol (Angleterre), où 800 commerces et entreprises utilisent le Bristol Pound, d’autres monnaies locales circulant dans plusieurs autres villes anglaises, dans plus de vingt villes françaises, et qu’on travaille à en introduire une en Valais. Quant aux actions de l’Indien Elango Rangaswamy pour développer la démocratie locale participative, elles ont impliqué la formation de 900 élus et la création d’un réseau de plus de 600 maires et conseils municipaux. Toutes ces réalisations sont donc loin d’être marginales.

D’autre part, les solutions présentées vont en général à la racine des problèmes posés par le capitalisme mondialisé. Les projets d’agriculture urbaine visent à résorber la différence entre les villes et les campagnes, qui a donné lieu dans la société capitaliste à l’agriculture industrielle nécessaire pour nourrir les villes. Comme le dit un habitant de Detroit: «Ce sont désormais les centres-villes, les banlieues et les campagnes qui doivent s’allier pour produire de la nourriture» (p. 62). La relocalisation de l’économie industrielle et commerciale est une excellente façon d’extraire un bon nombre d’entreprises du système mondial visant sans état d’âme le profit maximal et causant tant de dégâts sociaux et environnementaux: «En résumé, les grandes compagnies transnationales sont très douées pour engranger des dollars, mais ils finissent dans très peu de mains. La voie vers un maximum de richesses profitant à un maximum de personnes, c’est une plus grande densité et diversité d’entreprises locales et indépendantes dans un lieu donné»  (p. 232). Les monnaies locales permettent de développer des activités utiles qui n’intéressent pas la finance mondialisée, rompant ainsi en partie la connexion entre économie financière et économie réelle. Une habitante de Bristol dit: «… il s’agit de renverser le système financier, cul par-dessus tête, mais de manière non violente» (p. 212). Le développement de la démocratie locale participative en Inde montre le chemin de la véritable implication de tous les citoyens dans la construction de leur vie collective, ce que la démocratie représentative et sa prime aux minorités dominantes rend souvent impossible.

Le troisième aspect intéressant du film est la place accordée au besoin de politique. En effet l’agriculture urbaine ne croîtra que si les autorités la soutiennent en donnant des autorisations pour cultiver des terrains vacants. La relocalisation de l’économie ne progressera que si certaines lois sont modifiées, comme aux États-Unis en 2012, où le Congrès a voté un abaissement des coûts de transaction pour les petits investisseurs, qui étaient défavorisés par rapport aux grands. A Bristol, la monnaie locale est soutenue par la municipalité (on peut payer ses impôts locaux en Bristol Pounds). La démocratie participative dans le Sud de l’Inde ayant permis de lutter contre le système des castes, les projets de bâtir des quartiers mixtes regroupant les castes ont été soutenus par le gouvernement.

La question politique est sans doute dans le film et le livre celle qui reste la plus problématique. Même si toutes les réalisations citées ont une certaine extension, on voit que les problèmes cruciaux du monde ne pourront être affrontés que par des changements de cap majeurs décidés à l’échelle des pays. Pour cela, si on exclut l’usage de la force dont on sait aujourd’hui qu’il y a peu à attendre, il faut constituer des majorités résolues à produire le changement (comme on avait trouvé des majorités pour construire l’Etat-Providence). Et ces majorités devront combattre les intérêts de l’impitoyable capitalisme international. Les remarquables intervenants du film donnent parfois l’impression d’être trop optimistes quant à la possibilité de court-circuiter les bénéficiaires du système. Cette conscience de la nécessité des luttes sociales est sûrement ce que la gauche radicale peut apporter dans ces initiatives en total accord avec ses orientations.

1) de Cyril Dion et Mélanie Laurent, 2015, 1h 58 min.

2) Actes Sud, 2015, Domaine du Possible.

3) 19 et 26 février 2016.