Le diagnostic préimplantatoire (DPI)

la chronique féministe • Parmi les 5 sujets sur lesquels nous voterons le 5 juin figure le diagnostic préimplantatoire (DPI). Pratiqué depuis une vingtaine d’années à l’étranger, il permet de différencier un embryon sain d’un autre, qui serait atteint d’une anomalie, avant son implantation dans l’utérus.

Dans le projet de loi suisse, son utilisation est assortie d’une longue liste d’interdictions. Les bébés «sauveurs», les mères porteuses, le choix du sexe du bébé ou de la couleur de ses yeux seront prohibés. Cette technique ne sera accessible qu’aux couples qui ne parviennent pas à avoir des enfants naturellement ou à ceux porteurs d’une grave maladie. Cette loi compte parmi les plus strictes d’Europe en la matière.

Le nombre d’embryons qui peuvent être développés avant implantation passera de 3 à 12, alors qu’actuellement, les 3 embryons sont implantés. Le DPI permettra de sélectionner celui qui a le plus de chances de survivre. Le temps et le coût des traitements seront réduits, et il offrira aux couples touchés le meilleur traitement possible. Lorsqu’une déficience génétique est constatée, la majorité des couples choisissent d’avorter et d’essayer à nouveau. Autoriser le DPI permettra donc de réduire les grossesses multiples, facteur à risque pour les futures mères, et le nombre d’avortements, selon le docteur Bruno Imthurn, professeur à l’hôpital universitaire de Zurich. Enfin, il ne sera plus nécessaire d’aller à l’étranger pour faire ce traitement

En Suisse, le DPI ne concerne que quelques centaines de cas par année. Le texte vise à appliquer la modification constitutionnelle adoptée en votation populaire par 61,9% des voix en juin dernier. Soutenu par le Parlement et le Conseil fédéral, il est combattu par un référendum du Parti évangélique et soutenu par des milieux chrétiens et des organisations de défense des handicapés.

On retrouve les milieux chrétiens qui se sont toujours levés contre l’avortement. Au nom du «respect de la vie», on prétend «respecter» un embryon de quelques millimètres (10 – 14 mm après 8 semaines et pesant 1,5 g) plutôt que la femme qui le porte, sans se préoccuper de sa situation, de son âge, de son état psychique. De nombreux exemples sociétaux et littéraires montrent que, parallèlement à l’interdiction de l’avortement, l’Eglise et la société méprisaient et rejetaient les mères célibataires. Ce qui me semble le comble de l’hypocrisie.

Avant que l’avortement ne soit légalisé dans la plupart des pays occidentaux (1973 aux USA, 1975 en France, 1978 en Italie, 2002 en Suisse), on a assisté à des confrontations homériques. Selon certains points de vue, notamment religieux, le statut d’être humain est acquis dès la conception, et mettre fin à la vie équivaut à un «assassinat». Selon bon nombre de scientifiques, notamment, l’embryon, étant indissociable du corps de la femme qui le porte, ne peut pas être considéré comme un être humain à part entière.

Malheureusement, l’avortement est remis en cause un peu partout par des religieux extrémistes, notamment aux Etats-Unis, et en Pologne, où la loi a été invalidée en 1997 par la Cour constitutionnelle, et ne serait plus réservé aujourd’hui qu’aux femmes dont la vie serait en danger.

Les milieux «oui à la vie» prétendaient que si l’on légalisait les avortements, leur nombre augmenterait de manière exponentielle. C’est le contraire qu’on constate dans tous les pays qui l’ont libéralisé: le nombre d’avortements diminue, parce qu’on pratique, en parallèle, une politique de contraception.

Quand l’avortement était illégal, les femmes recouraient à des «faiseuses d’anges», aux aiguilles à tricoter, quitte à risquer leur vie ou à devenir stériles. Les plus riches allaient à l’étranger. Si l’on interdit le diagnostic préimplantatoire, les couples iront dans les pays qui l’autorisent. Il paraît absurde d’empêcher les tests génétiques sur un embryon de 5 jours mais de les autoriser sur des fœtus jusqu’à 12 semaines. Or la grande majorité des couples recourent à l’avortement en cas de malformation ou de maladie grave du fœtus.

Parmi les opposant-e-s à l’application de la loi, il y a également 19 associations de défense des personnes handicapées. «Il incombe à notre société d’intégrer ces personnes, non de les éliminer», a dit Christian Lohr (PDC/TG). Nous voilà en pleine confusion, comme lorsqu’on parle d’«assassinat» pour un avortement. Nos sociétés défendent la vie des «personnes», justement, bien portantes, malades ou handicapées. La Suisse compte environ 1 million de personnes présentant un handicap. L’Etat et la société civile (notamment l’association Pro Infirmis, dont le siège est à Zurich) encouragent l’intégration des handicapé-e-s, conformément à la Convention 1 al. 2 de la Convention de l’ONU. La loi sur l’égalité pour les handicapé-e-s est en vigueur depuis 2004, l’AI joue un rôle important. Certes, il reste des progrès à faire, notamment en matière de scolarité, formation, travail, habitat, loisirs, transports et culture, mais la société a une attitude bienveillante à leur égard et veille à leur intégration.

L’argument disant qu’il vaut mieux les intégrer que les «éliminer» est d’une parfaite mauvaise foi. Le DPI ne veut pas «éliminer» des personnes bien vivantes, mais éviter d’implanter des embryons atteints d’une maladie, des embryons microscopiques qui ne sont pas des «personnes». D’un point de vue strictement financier, ce qui compte aussi, surtout en période de crise, une diminution du nombre d’enfants malades représenterait une économie pour la société.

Ce qui m’a toujours gênée chez les adversaires de l’avortement (comme du DPI), c’est qu’ils veulent imposer leur vision à celles et ceux qui ne partagent pas leur éthique, souvent de nature religieuse. Le judaïsme, le catholicisme, l’islam, le bouddhisme condamnent l’avortement. Seul le protestantisme le tolère. Je trouve insupportable qu’une religion, qui n’est pas la mienne, impose sa façon de voir, surtout quand elle déteint sur des politicien-ne-s.

Toujours cette volonté de contrôler le corps des femmes. Toujours cette volonté d’imposer une éthique, généralement religieuse, aux autres. Toujours l’illusion qu’une interdiction va résoudre le problème. Je cite à nouveau Thomas Paine, un des pères fondateurs de la Constitution des Etats-Unis: «De toutes les tyrannies qui frappent l’humanité, la pire est la tyrannie en matière de religion.»