En faveur du service public?

Votation 5 juin • L’initiative «en faveur des services publics» des magazines de défense des consommateurs, dont le texte est sujet à plusieurs interprétations, suscite la suspicion, même à gauche.

L’initiative pourrait pousser la Confédération à privatiser les «entités» rentables et laisser les contribuables financer seuls celles qui remplissent un mandat de service public, craint l’association des usagers, Acidus.

Une initiative «en faveur des services publics» en Suisse, qui n’émane pas de la gauche et dont les chevilles ouvrières sont des journalistes? Voilà un sujet original et qui sera soumis en votation le 5 juin prochain… Les intentions du comité d’initiative, qui regroupe les magazines de défense des consommateurs édités par le groupe d’éditions Konsumentinfo (Bon à savoir, Ktipp, Spendere meglio…) ne semblent laisser de place à aucune équivoque: «La Poste, les CFF et Swisscom sont au service du peuple suisse, à qui ils doivent offrir des prestations de qualité à un prix raisonnable. Or, depuis quelques années, la Confédération leur a fixé des objectifs de rentabilité qui les écarte de leur vocation initiale.» Aussi Peter Salvisberg, membre de la direction de la société mère zurichoise énumère les problèmes et menaces qui pèsent sur les entreprises de service public et qui ont motivé le lancement de l’initiative: «La diminution du nombre de boîtes aux lettres, la réduction des horaires aux guichets, mais aussi la fermeture des gares, l’augmentation massive du prix des titres de transports par rapport à l’inflation, le manque de places assises dans les trains, la péjoration des correspondances», autant de soucis relayés par les plaintes de consommateurs, et que dénonce également la gauche depuis des années. L’affaire devrait donc être entendue autour d’intentions aussi louables, pourtant il ne s’est pas trouvé un seul député au Parlement national pour défendre le texte.

Le bât qui blesse

Il y a en effet un bât qui blesse, le texte de l’initiative soumise en votation et qui rajoute un alinéa à l’article 43 de la Constitution comporte de nombreux termes sujets à interprétation. Le nouvel alinéa en question stipule que «dans le domaine des prestations de base la Confédération ne vise pas de but lucratif et ne procède à aucun subventionnement croisé au profit d’autres secteurs de l’administration».  Tout d’abord, les prestations de base ne sont pas clairement définies dans l’initiative, qui délègue la patate chaude au législateur, donnant ainsi toute latitude au Parlement très à droite récemment élu de décider ce que bon lui semblera. On achoppe également sur le sens des expressions «but lucratif» et «subventionnement croisé». Si les initiants louent l’exemple du fonctionnement de la Coop ou de la Migros, qui, sans avoir de visées lucratives, peuvent se permettre des investissements ou la constitution de réserves, il leur est rétorqué, notamment à gauche, qu’une interprétation stricto sensu de ces termes risquerait de faire pression sur les salaires et les conditions de travail au sein des ex-régies fédérales et pourrait même pousser la Confédération à privatiser les «entités les plus rentables, laissant les contribuables financer seuls celles qui remplissent un mandat de service public», comme le relève ACIDUS, association de défense des usagers des services publics.

Pertes budgétaires pour la Confédération

Le «subventionnement croisé» est nécessaire pour maintenir, par exemple, des lignes régionales déficitaires grâce aux bénéfices réalisés sur les grands axes. Mais que les initiants, à l’instar de constitutionnalistes indépendants comme Rainer Schweizer de l’Université de Zurich, promettent que ce système pourra perdurer à l’intérieur de la même entreprise, l’application de l’initiative entraînera tout de même in fine des pertes budgétaires non négligeables pour la Confédération qui, en cette période austéritaire, auront évidemment des répercussions au niveau des services fournis à la population. Par ailleurs, si la proposition de limiter les salaires des tops managers des entreprises publiques pour qu’ils ne dépassent pas les émoluments d’un conseiller fédéral est saluée par l’ensemble de la gauche, les critiques ne sont globalement pas tendres envers l’initiative. Le conseiller national (PS) Jean-Christophe Schwaab dénonce même un «coup marketing» et une «publicité mensongère» au profit des journaux du groupe Konsumentinfo, alors que les syndicats estiment que la priorité serait plutôt de «mettre fin aux programmes d’austérité néfastes et accroître les ressources» pour protéger et améliorer les services publics. Quant à l’usager, et néanmoins citoyen, lambda, attendu que les problèmes évoqués plus haut ont tous commencé à croître et à se généraliser à partir du début des privatisations des régies publiques, son intérêt ne serait-il pas de manifester dans les urnes une envie de déprivatiser, ou de renationaliser, comme chacun l’entend, ces entreprises?