Pas de congé paternel, les mères n’ont qu’à se débrouiller!

la chronique féministe • Et c’est reparti! La droite en général, les machos du Conseil national en particulier, ont rejeté le projet d’un congé paternel de deux semaines, qui serait financé par les allocations pour perte de gain (APG), sur le modèle de l’assurance-maternité.

Cela coûterait trop cher, ce n’est pas le moment, toujours la même rengaine des milieux patronaux, comme ce fut le cas pour la suppression du travail des enfants, la diminution des heures de travail hebdomadaire, la semaine de 5 jours, les congés payés, l’assurance-maternité…

A ce propos, rappelons quelques dates. L’assurance-maternité a été inscrite dans la Constitution en 1945. A quatre reprises, 1974, 1984, 1987 et 1999, le peuple a rejeté nettement les solutions proposées. Il a fallu attendre 60 ans pour qu’enfin, en 2004, le peuple accepte une assurance-maternité de 14 semaines (80% du salaire, maximum 196 fr. par jour), ce qui nous place en queue de peloton des pays européens, avec Malte et l’Allemagne (mais qui donne 100% du salaire). En comparaison, la Suède accorde 75 semaines, le Royaume-Uni 39, la Slovaquie 34 à 43, la Pologne 20 à 34, la Hongrie 24, la France 16.

En ce qui concerne le congé paternité ou parental, le Canada est le pays le plus généreux avec 35 semaines, la Suède prône le partage (mais le père a droit à 34 semaines au maximum), le Royaume-Uni 26, l’Italie 24, la Slovaquie 26, la France 2 et la Hongrie1. En outre, le Canada, la Suède, le Royaume-Uni et la France accordent un congé pour les parents de même sexe.

Une fois de plus, la Suisse accuse un gros retard sur le reste de l’Europe, voire au niveau mondial. Pour un des pays les plus riches du monde, ce n’est pas glorieux! L’initiative parlementaire venait pourtant du Grison Martin Candinas, du PDC, ce qui pouvait augurer d’une issue heureuse chez nos parlementaires.

Il est évident que l’arrivée du premier enfant modifie la donne du jour au lendemain, et la naissance du suivant ou des suivants alourdit le quotidien: il faut s’occuper du bébé et des frères et sœurs. La présence du père est donc aussi souhaitée que souhaitable. Non seulement pour soulager la mère, mais pour établir un lien avec l’enfant. Des études ont prouvé qu’il n’y a quasiment pas d’inceste parmi les pères qui se sont occupés de leurs enfants dès la naissance. 80% des Suisses sont en faveur d’un congé parental. L’économie est également demandeuse de solutions permettant de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale. La société est donc gagnante sur tous les tableaux.

Malgré cela, les machos résistent et la majorité des parlementaires a refusé le congé paternel. Avec les arguments fallacieux que ces milieux nous servent chaque fois: c’est une affaire privée, une affaire de femmes. Rappelons que les femmes ne sont que 15% aux Etats et 32% au National, qui l’a refusé par 97 voix contre 90 et 5 abstentions. Cherchez l’erreur. Vivement une loi sur la parité!

Le thème occupe aussi la société: Travail.Suisse planifie le lancement d’une initiative populaire en faveur d’un congé paternité de 20 jours. Pro Familia soutient le principe du congé paternité. «Comme pour l’assurance-maternité, il y a des politiques sociales dans lesquelles l’Etat doit légiférer», a dit Philippe Gnaegi, président de l’association faîtière des organisations familiales. Ce sont surtout de grosses entreprises qui ont introduit cette pratique. De nombreux employeurs, dont la Confédération, et même des discounters comme Lidl et Aldi accordent déjà un tel congé sur une base volontaire.

L’introduction d’un congé paternité à l’échelon national revient régulièrement à l’agenda du Parlement, sans succès jusqu’ici. La gauche plaide depuis longtemps en sa faveur, comme la conseillère nationale Rebecca Ruiz (PS VD), pour qui le moment est venu de mobiliser les forces autour de cette question. Pas moins de 25 propositions déposées à Berne ces dernières années ont échoué. Avec le glissement du Parlement à droite aux dernières élections, la donne a changé: l’échec est programmé par la voie parlementaire dans les quatre prochaines années. Il faudra donc passer par une autre voie, c’est-à-dire par le recours direct au peuple. L’initiative populaire serait portée par une coalition de partis et de syndicats. Nous souhaitons un congé parental, réparti à parts égales entre le père et la mère. Sur le plan de l’égalité des sexes, il n’est pas acceptable que les femmes assument, en cas de grossesse, tout le risque d’une dévalorisation professionnelle. Nous aimerions aussi éviter toute discrimination entre les différentes formes d’union.

Il est ahurissant qu’en 2016, on en soit encore à ratiociner sur un congé paternel de deux semaines, après avoir repoussé pendant 60 ans le congé maternel. Les parlementaires n’apprennent donc rien des erreurs passées? Les arguments sont surtout d’ordre financier. Ah! Les Suisses! Dès qu’il y a de l’argent à faire, alors oui, ils sont là. Ils vont jusqu’à transgresser les sanctions internationales décidées par l’ONU, comme contre l’apartheid en Afrique du Sud, notamment dans les années 80, au plus fort de la répression contre le mouvement de résistance noire: exportations illégales d’armement, transactions nucléaires secrètes, échange d’informations. L’industrie suisse a compté parmi les principaux soutiens du programme atomique secret de Pretoria. Les entreprises Gebrüder Sulzer AG et VAT Buchs ont livré d’importants composants destinés à l’enrichissement de l’uranium sud-africain, nécessaire à la préparation des six bombes atomiques produites en Afrique du Sud. L’administration était au courant de nombreuses affaires illégales ou à moitié légales. Elle les a tolérées en silence, ou même activement soutenues. Si elle a émis des critiques, c’était à demi-mot. Une page noire de notre histoire, parmi d’autres.

Mais quand il s’agit de soulager les familles de notre pays, cela coûte trop cher! Pour le pays le plus riche du monde, quelle indécence!

Une fois de plus, on fait peser sur le dos des femmes le poids du bon fonctionnement des familles et de la société.

1          Cf. Les relations économiques entre la Suisse et l’Afrique du Sud durant l’apartheid (1945-1990), Sandra Bott, Sébastien Guex, Bouda Etemad, Ed. Antipodes, 2005.