Le harcèlement sexuel, «une affaire de bonnes femmes»!

la chronique féministe • Après les événements de Cologne durant la Saint-Sylvestre, j’avais rédigé trois chroniques de suite, insistant sur le phénomène universel du harcèlement sexuel, qui touche tous les pays, tous les milieux sociaux, tous les lieux.

J’y reviens à cause du scandale Denis Baupin, député EELV (Europe Ecologie Les Verts), qui a dû démissionner de son poste de vice-président de l’Assemblée nationale après les accusations de harcèlement et d’agression sexuels dont il est l’objet (France Inter et Mediapart, 9.5.16). Comme toujours dans ce genre d’affaires, le harceleur nie. Il accuse même les deux médias de diffamation. Et son épouse, Emmanuelle Cosse, ministre du Logement, le défend: elle a confiance en lui, ce sera à la justice de trancher.

Dans ce genre de situation, j’ai toujours une pensée émue pour les épouses, et suis impressionnée par leur dignité et leur courage. Comment ont fait Hillary Clinton ou Anne Sinclair pour tenir le coup? Savaient-elles? Ne savaient-elles pas? Il me semble impossible d’ignorer que son conjoint a des pulsions bestiales et peut se conduire comme une brute, même s’il épargne sa compagne. Elles vivent probablement dans le déni. Mais quand le masque tombe, elles volent au secours de celui qui partage leur vie, ce qui est compréhensible. Anne Sinclair a fini par jeter l’éponge, c’est l’affaire du Carlton à Lille qui aurait été la goutte de trop. Emmanuelle Cosse a son calvaire devant elle.

Le déni et la banalisation des faits sont les stratégies de l’entourage. Souvenez-vous des propos ignobles qui ont été tenus par des ténors du monde politique et médiatique quand éclata le scandale DSK le 14 mai 2011. «Un troussage de domestique», commenta Jean-François Kahn, fondateur de Marianne; «il n’y a pas mort d’homme», renchérit Jack Lang, ex-ministre de la Culture; Bernard-Henri Levy, son ami depuis 25 ans, reconnaît qu’il est séducteur, charmeur, ami des femmes, mais en aucun cas le personnage brutal et violent qu’on décrit. Les révélations du procès du Carlton lui donneront tort. En outre, au fil des mois, on a appris qu’en réalité, tout le monde savait et que les proches de DSK l’avaient prévenu: les USA et leur système judiciaire sont plus sévères que la très phallocrate France et son laxisme. On aurait pu croire que l’affaire DSK, dont les images de son arrestation (l’air défait, la veste de travers, les menottes dans le dos) avaient sidéré le monde, aurait servi de leçon aux machos. Eh bien non, apparemment. Le harcèlement continue, sa banalisation aussi.

Ce qui semble nouveau, en l’occurrence, c’est que les langues se délient. Enfin. Car ce qu’il y a de plus choquant, c’est de constater que le règne de l’omerta perdure. L’entourage de Baupin savait, naturellement, comme celui de DSK, mais détournait les yeux ou se contentait de pousser la poussière sous le tapis. A chaque fois, semblant mus par le réflexe de Pavlov, d’autres mâles réagissent en faveur du nuisible. Pour Pierre Lellouche, député de la 1ère circonscription de Paris, ex-secrétaire d’Etat sous Fillon, les cas de harcèlement sont «des affaires de bonnes femmes». On disait de même de l’avortement…

Toutes les politiciennes, toutes les ministres de France et de Navarre ont subi des remarques sexistes, voire des gestes déplacés. Cécile Duflot, coprésidente du groupe écologiste à l’Assemblée nationale, reconnaît ne pas avoir eu le courage d’Isabelle Attard et Annie Lahmer, qui ont dénoncé Baupin. Sandrine Rousseau témoigne: ce qu’elle a subi du même prédateur s’est passé quand elle arrivait, elle s’est donc tue pour ne pas mettre en jeu sa carrière. Pourtant, il est stipulé, dans la charte des parlementaires, que les députés doivent avoir un comportement irréprochable. Mais il y a toujours des atrophiés du cerveau reptilien pour qui ce sont «des affaires de bonnes femmes» sans importance et non un délit.

Il y a une année, 40 journalistes femmes lançaient la pétition «Bas les pattes!», publiée en Une du quotidien Libération. Les signataires y témoignent du «machisme ambiant» enduré dans l’exercice de leur métier. Elles évoquent un parlementaire qui leur passe la main dans les cheveux, un autre qui déplore bruyamment qu’elles portent un col roulé et non un décolleté. Elles se sentent donc obligées d’intégrer les contraintes du machisme ambiant: le moins de tête-à-tête possible, des tenues passe-partout et une vigilance permanente pour conserver le vousoiement.

Quand on sait que 9 femmes sur 10 ne portent pas plainte, cela laisse présumer du nombre de cas et du nombre de harceleurs… Il y a une confusion de mauvaise foi entre la «séduction», dont les Français sont si fiers, et le «harcèlement»: paroles et gestes imposés à une personne que cela met mal à l’aise.

Certains mâles n’ont toujours pas assimilé que les femmes sont des êtres humains à part entière, des partenaires, et non pas des objets sexuels ou des marchandises dont on dispose à sa guise, qu’elles ne se résument pas à leurs seins, leur cul ou leur maternité. Comme eux, elles ont fait des études, ont obtenu des postes à responsabilités, sont devenues ministres. Comme eux, elles ont la possibilité de s’épanouir à la maison ET dans leurs activités professionnelles. Comme eux, elles ont droit au respect.

Les plaisanteries salaces, les gestes déplacés sont insupportables. Aucune femme ne devrait les tolérer. Chaque victime se doit de dénoncer son harceleur, pour elle-même, et pour les autres femmes. Certes, dans la plupart des cas, les victimes qui parlent paient lourdement leur courage: ce sont elles, et non pas le harceleur, que l’on change de département; parfois, elles sont inscrites sur une liste noire et leur carrière est brisée. Mais si toutes les femmes dénoncent chaque cas tout de suite, avec force, la peur changera de camp.

Il est nécessaire de modifier la loi, de punir plus sévèrement ceux qui commettent ce genre de délit, d’augmenter le délai de prescription (de 3 ans actuellement en France), d’informer les femmes de leurs droits, de former les cadres des entreprises et des universités, de mettre en place un-e spécialiste dans les services du personnel, qui reçoive les témoignages et aide les femmes à porter plainte. Il faut que des groupes de femmes puissent porter plainte, afin de ne plus laisser la victime seule en face de la lourdeur administrative, policière et judiciaire. Il faut que toutes celles et tous ceux qui aspirent à un monde égalitaire se lèvent et disent: «Ça suffit!»