L’UNESCO dénonce le sexisme des manuels scolaires

La chronique féministe • Une enquête menée par l’UNESCO (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) sur le contenu des manuels scolaires à travers la planète met en lumière (si l’on peut dire!) que le sexisme y est encore largement présent, malgré les avertissements répétés et la publication en 2008 de Comment promouvoir l’égalité entre les sexes par les manuels scolaires?, un guide méthodologique à l’attention des acteurs et actrices de la chaîne du manuel scolaire.

L’UNESCO relève que l’impact du manuel scolaire dépasse le cadre strict de l’apprentissage et de l’école. Il est un élément de communication, notamment sur les valeurs, au sein des familles et de la société, et peut être un levier puissant de changement social pour faire circuler les valeurs universelles.

Les pays les plus touchés sont les pays en voie de développement en Afrique et en Asie: les attitudes et propos sexistes sont «monnaie courante» dans les manuels, affirme l’Unesco dans un rapport publié à l’occasion de la Journée internationale des Femmes. Les stéréotypes négatifs portent atteinte à l’éducation des jeunes filles. Trop souvent, les personnages féminins des manuels scolaires sont représentés par des personnes assignées à des tâches domestiques, ce qui représente un «obstacle caché» à leur autonomie. Les personnages masculins sont jusqu’à 19 fois plus nombreux que les féminins. L’organisation onusienne fait régulièrement campagne pour l’accès de dizaines de millions d’enfants à l’éducation dans les pays pauvres, où les filles sont plus susceptibles de ne pas aller à l’école. Mais ce n’est qu’une partie de la bataille. Ce qui leur est enseigné est tout aussi important, sinon plus. Le rapport note que de lents progrès ont été enregistrés, mais il dénonce un manque de volonté au niveau politique pour faire face au problème.

Le sexisme des manuels scolaires ne se trouve pas seulement dans les pays du tiers-monde. Il perdure également dans ceux du monde occidental, notamment en France et en Suisse.

En 1995, j’ai fait partie de la première volée des «études genre» et mon diplôme, remis et défendu en 1998, portait sur le sexisme des manuels scolaires utilisés à Genève au 20ème siècle. Je comparais, notamment, le livre de lecture Fleurs coupées de 1940, que j’avais eu en tant qu’élève (la durée des manuels était plus longue qu’aujourd’hui), avec Au fil des textes de 1988, tous deux destinés aux élèves de 6eP (11-12 ans). Les illustrations du premier étaient des dessins en noir et blanc, celles du deuxième étaient généralement en couleur, dessins, photos et BD. Mais si la présentation s’était modernisée, le contenu, hélas, n’avait guère évolué. Certes, il contenait quelques histoires mettant des filles en évidence, mais il était totalement ringard du côté des adultes. Fleurs coupées présentait 79 métiers d’hommes pour 14 de femmes, Au fil des textes, 79 métiers d’hommes et 12 de femmes. On en avait encore perdu deux en 50 ans! Non seulement, les femmes ne représentent que 15% mais elles sont reléguées aux professions de service: cuisinière, domestique, servante, hôtesse de l’air, secrétaire; d’esthétique: parfumeuse; d’éducation: institutrice, enseignante secondaire. Alors que les hommes peuvent être acteur, agent secret, capitaine de navire, journaliste, chercheur scientifique, médecin, professeur d’université, cinéaste, compositeur, écrivain, explorateur, guide de montagne, sportif de compétition… Comme on le voit, le sport, l’art et la recherche sont fermés aux femmes. En 1988, 20 ans après Mai 68!

A Paris, le Centre Hubertine Auclert (du nom d’une militante en faveur du droit de vote des femmes) est chargé de traquer le sexisme dans l’enseignement par des recherches, des études, des symposiums, la publication de documents, de rapports et d’analyses des manuels scolaires en vigueur.

Ce qu’il y a de sidérant, c’est qu’on retrouve les mêmes stéréotypes, la même vision dépassée de la société dans les publications du 21ème siècle! Prenons l’un d’eux: 61% des phrases évoquent des prénoms masculins et seulement 33% des prénoms féminins. Quant aux personnages célèbres, on trouve 87% d’hommes, de Victor Hugo à Zorro en passant par Tintin. Les personnages féminins sont majoritairement tirés de contes de fées, elles sont princesses… ou sorcières! Trop souvent encore, on montre papa au travail et maman à la maison, le garçon actif et aventureux, la fille passive et peureuse. 85% des métiers n’existent qu’au masculin, comme policier, soldat, pompier, médecin, mécanicien, directeur, qui sont associés à la force, au courage et à la prise de responsabilités. Les 15% de métiers féminins renvoient à l’esthétique, aux soins, à l’éducation et aux tâches ménagères: cuisinière, couturière, costumière, décoratrice, infirmière, institutrice. Une sexuation des professions qui rejoint celle constatée dans les catalogues et magasins de jouets. 1940, 1988, 2014: le même pourcentage (15%/85%) pour les métiers, la même catégorisation pour les femmes! A pleurer!

Les manuels scolaires, pour les enfants, représentent une autorité, leur donnent une norme. Leur contenu est perçu comme forcément vrai. Ainsi, la vision du monde colportée par les manuels inscrit dans leurs esprits une représentation du masculin et du féminin d’arrière-garde, qui ne prend pas en compte l’évolution de la société, et qui ne va pas aider les enfants à se construire de manière autonome par rapport à l’autre sexe, ni à s’épanouir.

Les maisons d’édition n’ont pas forcément la volonté ni les compétences pour éradiquer les stéréotypes et proposer des manuels plus représentatifs de la diversité actuelle. Les membres du corps enseignant, qui ne reçoivent quasiment pas de formation sur le genre, n’ont pas forcément conscience des codes sexués qu’ils transmettent aux enfants. Mais il faudrait que les instances politiques de l’éducation de tous les pays prennent une fois pour toutes la décision courageuse de ne plus cautionner les manuels scolaires sexistes, de former les enseignant-e-s, d’obliger les auteur-e-s de manuels et les maisons d’édition à suivre des directives, et de déléguer à une commission ou à un centre (comme Hubertine Auclert en France) le choix des livres utilisés dans l’enseignement, afin de construire une société égalitaire.