Langage épicène: l’arbre qui cache la forêt des discriminations ou le sentier vers l’égalité?

francophonie • Les luttes féministes se jouent aussi au niveau de la langue parlée et écrite, qui est le miroir de l’évolution de la société.

«Dieu, merci ! La langue n’est ni une science exacte ni un lieu d’application de théories imaginées en laboratoire. Elle est le miroir de l’évolution de la société, de ses mœurs et de son organisation et se doit donc d’être le reflet des êtres humains qui la parlent». La constatation émane de la conseillère nationale Liliane Maury-Pasquier, qui préface le Guide de la rédaction épicène élaboré par la Conférence latine des déléguées à l’égalité et publié en 2002. L’ancienne présidente du Conseil national souligne qu’il est difficile de faire admettre ce raisonnement à des personnes «qui se font les gardiennes d’une langue de musée ou d’académie». Elle souligne que la ténacité finit par être payante: grâce à la lutte menée au sein des chambres fédérales, la révision de 1999 de la Constitution fédérale tient compte dans ses grandes lignes des principes de la formulation non sexiste.

Le français langue misogyne?

La langue de Voltaire serait-elle plus injuste à l’égard des femmes que celle de Goethe? Il se peut, en effet. La raison en est que la France est parmi les premiers pays européens à avoir réussi à centraliser l’administration de son territoire. Les emplois qui furent donc créés pour ceux qui allaient gérer la «fonction publique» furent monopolisés par un groupe particulier: les chrétiens éprouvés de sexe mâle. En parallèle avec les reformes administratives, le pouvoir eut soin d’uniformiser la langue. L’Académie française vit le jour en 1635, et reçut la mission de produire un dictionnaire national. On assista ainsi au bannissement des parlers locaux et à la mainmise du clergé sur la langue française.

La francophonie prône un langage égalitaire.

Liliane Maury-Pasquier nous rappelle aussi qu’en 1970, vingt et un pays ayant en commun la langue française ont créé l’Agence de coopération culturelle et technique, qui marque le point de départ de la Francophonie institutionnelle. Cette organisation intergouvernementale réunit aujourd’hui cinquante pays et régions, dont plus d’un quart des membres de l’Organisation des Nations Unies. En font partie la France, le Canada, le Québec, la Suisse, le Luxembourg, la Belgique, la Wallonie, des pays africains tels le Burkina Faso, le Sénégal, le Maroc, la Tunisie, ainsi que le Liban, le Madagascar, le Vietnam, l’Île Maurice, même la Bulgarie, la Moldavie et bien d’autres. Cette organisation se préoccupe notamment d’adapter le langage aux changements et à l’évolution des rôles dans la société. En février 2000, le Luxembourg a accueilli une Conférence des femmes de la Francophonie, regroupant des chef-fe-s d’Etats, et des expert.e.s qui ont demandé par voie de résolution la recherche et l’application d’une terminologie commune à la Francophonie en matière d’égalité. Le document qui en est issu propose la féminisation de la syntaxe et de la grammaire.

Concrétiser

Reste la question de l’application. «Le plus dur reste à faire: convaincre celles et ceux qui rédigent les textes législatifs et administratifs de la légitimité du but à atteindre», soulignait Liliane Maury-Pasquier en 2002, plus de 10 ans après que des recommandations ont été formulées dans le rapport d’un groupe de travail interdépartemental de la Confédération. «En 10 ans, les besoins sont toujours les mêmes : dans tous les actes législatifs applicables indifféremment aux hommes et aux femmes, il convient d’opter pour une terminologie qui ne fasse pas de différence entre les sexes et qui contribue à atteindre l’égalité des droits», constatait-elle. Progressivement, la rédaction épicène et non sexiste a fait sa place dans l’administration publique. Des institutions semi-privées ont aussi joué le jeu, et même des grandes entreprises désireuses de paraître «progressistes» le font aussi. Quant à la presse de gauche, certaines publications considèrent de leur devoir d’utiliser le langage dit épicène, certaines le font à l’excès. Dans Gauchebdo, chaque auteur est libre de choisir son style. Ceux qui me lisent, l’auront probablement remarqué: je boude certaines formes du langage épicène, comme juxtaposer directrices aux directeurs, ajouter le -e- parlant d’écrivains. Soigner le contenu, le rendre agréable à lire et à facile à comprendre m’importe davantage que de respecter certaines propositions de féminisation de langage. Le but est de faire passer un message et de stimuler la discussion.