La chanson politique française ne se rend pas (2)

La chronique de Jean-Marie Meilland • En juin 2015, j’avais consacré une chronique à des groupes de musique engagés à gauche venant du Nord de la France. Je poursuis cette année ce parcours en évoquant quelques groupes issus de la partie Sud du pays.

On peut citer d’abord le groupe d’influence reggae Tryo, fondé en 1995 dans la région parisienne puis actif en province, avec d’abord un engagement pour Lutte Ouvrière, puis pour l’écologie (Les Verts, Greenpeace). Les préoccupations de Tryo sont diverses. Il peut aborder la récupération de l’écologie par l’industrie capitaliste: «On veut de l’eau toujours qui coule/ et des rides un peu moins creusées/ on veut de la jeunesse en poudre/ et puis de la neige en été/…// on veut du green washing …/ c’est nous les as les pinochio du marketing/…» (Greenwashing). Il s’en prend aussi à l’invasion téléphonique: «Merci France Télécom,/ d’avoir pu permettre à nos hommes,/ D’ajouter aux bruits de la ville et des klaxons,/ La douce sonnerie du téléphone…// Combien sont-ils? Combien sont-ils, nos abonnés?/ Branchés du soir au matin, accrochés au combiné» (France Télécom). Ou bien il regarde vers le néocolonialisme en Afrique: «Je vous emmène,/ dans nos nouvelles colonies/ à l’africaine/….Aux terrains de jeux au soleil,/ Aux chaises longues pour politiques/ Bolor et Bouygues,/ Vivendi, Elf,/ se servent sur la pompafric» (Pompafric).

Le groupe de ska et de reggae Sinsemilia, formé en 1990 à Grenoble, réunit une douzaine de musiciens. Il porte un rigoureux diagnostic sur l’état de la France: «On a plongé la France/ Dans la bêtise et l’ignorance/ Etouffé l’intelligence/ Sous les dossiers de la finance/ Cerveaux branchés sur la télé/ Nos idées sont téléguidées» (Je préfère cent fois). Et le Retour des Cowboys est une très bonne charge anti-machiste.

Originaire de Nîmes, le collectif L’homme parle propose depuis 2000 un mélange de chanson, de rap, de reggae et d’influences world. Il défend l’esprit de lutte: «J’en aurai pourtant eu plein/ Des raisons de tout plaquer/ Mais je te dis que c’est pas demain/ Que je vais abandonner/ …On pourrait se faire une raison/ Mais on continue la lutte au fil des saisons/ …Le vent l’emportera sur la langue de bois/ Hasta la victoria» (Militants du quotidien). Ou il se bat pour la bonne cuisine: «Au pays de la gastronomie/ Et des petits plats à mamie/ Ils pensent plus à leur porte- monnaie/ Qu’à te faire bouffer des produits frais// Allez on reprend les champs/ … C’est la bastille des paysans/ Qu’on puisse bouffer dignement//… Tout le monde à table! …/ Cuisiner, c’est résister» (A table).

Le célèbre groupe Zebda, composé de Toulousains d’origines immigrée et française, propose depuis les années 1980 une musique métissée constamment engagée. Du mouvement citoyen Tactikollectif à l’appel à voter Jean-Luc Mélenchon en 2012, le groupe adopte une ligne militante que son parolier Magyd Cherfi caractérise ainsi: «On sait qu’on ne changera pas la société, mais il faut essayer. Il faut qu’on réfléchisse, qu’on agisse, qu’on soit conscient des choses… Pour moi, tout ce que j’écris est politique». Un des thèmes principaux de Zebda est la condition des immigrés en France, et cette chanson illustre de manière limpide l’expérience de la discrimination: «…Je me suis mis à la recherche d’un appartement// J’ai bichonné un excellent curriculum vitae/ …Quand il (le propriétaire) m’a vu, j’ai vu que tout s’est obscurci/ A-t-il senti que je ne lisais pas la bible et il m’a dit// Je crois que ça va pas être possible…» (Je crois que ça va pas être possible). Mais Zebda, c’est aussi le groupe incitant à se «motiver» pour des combats fondamentaux: «On va rester motivé pour le face à face/ On va rester motivé quand on les aura en face/ …On va rester motivé pour la lutte des classes…» (Motivés).

Comme Zebda, les Fabulous Trobadors sont un groupe toulousain fondé en 1987 et composé de Claude Sicre et d’Ange B. L’inspiration politique des deux musiciens est libertaire. Ils appartiennent à la Linha Imaginôt, un mouvement œuvrant pour une décentralisation culturelle largement ouverte aux influences extérieures. Ils mènent un combat culturel antilibéral dans le quartier Arnaud-Bernard pour, selon Claude Sicre, «(prendre) en main nos affaires». Cet extrait résume bien l’esprit de la lutte culturelle au niveau du quartier: «Des aventures tu en vivras/ En réality-rama/ Si tu cherches à unir les gens/ Contre le pouvoir de l’argent/ Les riches et les promoteurs/ Te traiteront d’agitateur/ Puis un jour les flics t’embarquent/ Tu chanteras en détention:/ “Vous pourrez pas parquer mon park/ Ni zapper sa populatio”­» (Ma ville est le plus beau park).

Si l’on rejoint Marseille, on y trouve le Massilia Sound System, qui est un groupe de reggae né en 1984 pratiquant une musique métissée tout en étant très enraciné dans la vie marseillaise, chantant notamment en occitan. Il a des liens avec les Fabulous Trobadors. L’humour est son premier signe distinctif, un humour foncièrement contestataire: «Tout le monde ment,/ …Le gouvernement/ Ment énormément!…/…Politiquement l’investi se ment/ Et le Parlement ment communément…» (Tout le monde ment). Mais le groupe peut aussi magistralement dénoncer les dessous de la désindustrialisation néolibérale: «Cette chanson est tout entière à la gloire des métallos ;/ …Il y en avait plein la ville quand il y avait du boulot;/ Maintenant que nos usines n’existent plus qu’en photo,/ Tous les jeunes se débinent ou font larbin à Casino.//…/ À Toulon, à La Seyne, à Marseille, c’est aussi le même topo./ Dans la foire européenne, on tient le stand des rigolos./ Il paraît que notre richesse, c’est avant tout la météo:/…Ça attire les ingénieurs, ils y installeront leurs labos./ …ça, c’est des gens bien comme il faut./ …À la place des fabriques, avouez que ça sera plus beau…» (Des métallos).

Dupain est un autre groupe marseillais créé en 2000 et qui mêle la musique traditionnelle, le rock et l’électronique. Cette critique du vide de la société de consommation touche au cœur du problème: «Tout le monde s’emmerde à essayer de ressembler à,/ tout le monde s’emmerde à essayer de s’en sortir/ …Il y a des fois je ne manque de rien tout est plein le frigo la cuisine et tout le home cinéma/ …Il n’y a pas de magasin où l’on puisse trouver le moyen d’échapper à notre condition d’humain…» (Tout le monde). En conclusion, il faut reconnaître la remarquable qualité de cette production musicale politisée, en regrettant qu’elle ne soit pas plus largement diffusée.