Le Nicaragua renaît après sa «deuxième révolution»

amérique latine • Depuis le retour au pouvoir du Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN) en 2006, une politique gouvernementale volontariste a permis d’améliorer considérablement la situation de la population.

Le Nicaragua fait fructifier avec succès l’héritage des années sandinistes après le retour au pouvoir du FSLN en 2006.

En 1979, une révolution armée menée par le Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN) renversait au Nicaragua une dictature familiale de près de 50 ans, la remplaçant par un gouvernement populaire. En 10 ans, celui-ci réussissait à diminuer la mortalité infantile de moitié, la ramenant à 40 pour mille, et le taux d’analphabétisme à moins de 15%, alors qu’il dépassait les 50% à la fin des années 70. Mais le Nicaragua a aussi enduré une guerre financée et armée par les Etats-Unis avec la collaboration du gouvernement hondurien, qui a coûté la vie à 50’000 jeunes engagés dans la défense de ce projet social novateur. Parmi eux, Maurice Demierre et Yvan Leyvrat, de Suisse romande, et Joël Fieux de France voisine (voir ci-dessous). Trois des nombreux internationaux solidaires qui avaient à l’époque rejoint le pays, attirés par une révolution qui incarnait, après Cuba, l’espoir d’un changement social en Amérique Latine.

Un pays exsangue

Cette guerre a aussi coûté plus de 17 milliards de dollars qui n’ont pas pu être investi dans des projets destinés à améliorer  les conditions sociales de la population. C’est ainsi que le peuple nicaraguayen, qui n’en pouvait plus de voir sa jeunesse mourir au front et se trouvait dans des conditions de vie toujours précaires, a voté en 1990 pour la paix promise par la droite et soutenue par les mêmes Etats-Unis. Suite à cela, trois gouvernements successifs ont pendant 17 ans appliqué les diktats du FMI et de la Banque Mondiale: réductions budgétaires publiques et privatisations. Il faut dire que le Nicaragua est un pays dépendant à au moins 40% de l’aide publique extérieure et des transferts de fonds de la diaspora émigrée essentiellement aux Etats-Unis.

Durant toutes ces années, le FSLN a toutefois maintenu un large soutien populaire, réussissant élections après élections à persuader environ 40% des électeurs de voter pour lui. Afin de revenir au pouvoir, il a conclu un pacte avec la droite au pouvoir, stipulant que le candidat à la présidence le mieux placé au premier tour est élu, pour autant qu’il dépasse de 5% son adversaire le plus proche. C’est ainsi qu’à la fin 2006, Daniel Ortega a été proclamé président du Nicaragua avec 38% des voix. Il a cependant dû composer avec un parlement où le FSLN n’avait pas la majorité.

Quand les sandinistes ont regagné le pouvoir en 2007, ils ont trouvé un pays exsangue. Des coupures d’électricité permanentes perturbaient la production et la vie quotidienne des gens. Et elles étaient souvent associées à des coupures d’eau. Les hôpitaux, qui n’avaient pas bénéficié de la maintenance minimale,  étaient souvent dépourvus des médicaments essentiels (au sens de l’OMS). L’école n’étant plus gratuite, la désertion était extrêmement importante. Il en a résulté une stagnation de la mortalité infantile, malgré la poursuite des campagnes de vaccination largement soutenues par l’UNICEF et la Fondation Bill Gates. Le taux d’analphabétisme était quant à lui remonté à 35% dans les campagnes et à près de 20% dans les villes.

La dépendance au pétrole a diminué

Grâce à l’aide du Venezuela en particulier au travers de l’ALBA (Alliance bolivarienne pour les Amériques, regroupant notamment Cuba, le Venezuela et la Bolivie), le nouveau gouvernement a décidé de s’attaquer à la pauvreté en menant des programmes socio-productifs et de microcrédits pour stimuler l’économie familiale et des petits producteurs. Il a aussi assuré des conditions cadres permettant aux grands producteurs et aux entreprises de tous genres d’investir dans le pays. Il a développé les infrastructures en particulier dans le domaine de l’énergie et des routes. Actuellement, plus de 80% de la population a accès à l’électricité et la dépendance au pétrole a passé de 80% à moins de 40 %, grâce à des projets géothermiques et hydro-électriques et, dans les campagnes, photovoltaïques. L’amélioration du réseau routier a permis aux producteurs, en particulier agricoles, de mieux pouvoir distribuer leur production mais a également facilité l’accessibilité aux soins.

Le gouvernement a aussi essayé de recréer une certaine cohérence du système de santé. Il a développé un système de prévoyance pour les salariés et redynamisé un secteur public et gratuit auquel le 60% de la population a recours. Il a rendu l’éducation publique gratuite tout en laissant, en particulier dans les zones urbaines, un secteur privé important. Grâce à cette politique, le FSLN a gagné les élections de 2010 avec plus de 60% des voix et contrôle également le parlement.

Un miracle à prendre comme exemple?

En 2016, les résultats sont concluants. La mortalité infantile a baissé à 20 pour mille et le taux d’analphabétisme est de moins de 10 % (avec encore un gradient ville-campagne important). Le taux de dénutrition infantile est très bas (au moins dans les zones urbaines où habite plus de 58% de la population), l’indice de GINI (qui mesure les inégalités sociales) s’est bien amélioré et les gens se sentent subjectivement mieux. La sécurité et le sentiment de sécurité se sont notablement améliorés, faisant du Nicaragua l’un des pays les plus sûrs d’Amérique Centrale.

Un tel changement semble tenir du miracle, d’autant que ces améliorations se sont faites au milieu d’une crise économique mondiale. Mais c’est le fruit d’une politique gouvernementale volontariste,  en particulier dans des négociations âpres avec le FMI et la Banque Mondiale, qui a permis de redistribuer la richesse en stimulant la production même dans le secteur informel, qui est essentiel pour faire tourner l’économie puisqu’il englobe 60% des emplois.

Partie de l’alternative possible

Cet exemple, bien qu’imparfait, pourrait-il inspirer d’autres gouvernements, ainsi que tous ceux qui cherchent à trouver une solution aux crises humanitaires? Il montre dans tous les cas que même dans ce monde globalisé, il est possible d’améliorer l’espérance de vie de certaines populations.

Certes, des esprits chagrins pourront regretter l’éternelle candidature de Daniel Ortega aux élections présidentielles, notamment celles de novembre de cette année, mais aussi le choix de Rosario Murillo comme vice-présidente, elle qui est la compagne de toujours de Daniel Ortega. D’autant qu’elle est à l’origine du rapprochement avec les hiérarchies religieuses, catholiques et évangéliques après l’acceptation, entre autres, de condamner officiellement l’avortement.

Certes, on est peut-être loin du Nicaragua révolutionnaire des années 80. Mais maintenant que l’Amérique Latine souffre d’une nouvelle offensive néolibérale, avec trois coups d’Etat parlementaires, au Paraguay, au Honduras et au Brésil, et le retour de la droite dure de Macri en Argentine, le Nicaragua d’aujourd’hui fait bien partie de l’alternative de gauche possible dans ce nouveau contexte, aux côtés de Cuba, l’Equateur, la Bolivie et du Venezuela, bien mal mené et cible d’incessantes critiques.

Bernard Borel est pédiatre FMH, membre de E-Changer, militant POP, et a vécu plus de 8 ans au Nicaragua dans les années 80.

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