Adopte unE gynéco!

la chronique féministe • Qui n’a jamais entendu une copine, une mère ou une collègue annoncer avec appréhension son rendez-vous chez la/le gynécologue? Par Aude Bertoli pour Feminista!

Se plaindre de ne pas avoir trouvé celle ou celui qui lui convenait? Avoir raconté une mauvaise expérience, un moment désagréable ou un examen douloureux? A celles et ceux qui répondront «moi , nous vous invitons à lire ce qui suit, à prendre conscience de l’ampleur cachée des violences médicales, de la banalisation de la douleur féminine, et, enfin, à découvrir les pistes de solutions proposées afin que chacunE1 puisse se rendre chez la/le gynécologue l’esprit tranquille.

Mais pour s’y rendre, encore faut-il savoir qui consulter. Pour beaucoup de patientEs, trouver «la bonne ou le bon» gynécologue est l’amorce d’un long tourisme médical, souvent laborieux. Un voyage peu exotique dont la satisfaction n’est pas toujours l’aboutissement. Pourquoi, me direz-vous, est-il si compliqué de trouver unE gynécologue qui convienne à chacunE alors qu’on ne dénombre pas moins de 80 praticienNEs rien qu’en ville de Lausanne?

Certaines croyances, profondément enracinées dans les mentalités héritées du patriarcat, voudraient que les femmes (principales usagères des cabinets de gynécologie) soient trop exigeantes, trop compliquées, et qu’elles ne sachent pas vraiment ce qu’elles veulent. En cette fin d’année 2016, à l’heure où l’Etat entend encore une fois s’arroger les choix vestimentaires des femmes (cf. l’interdiction du burkini) et leurs décisions en matière de maternité (cf. la volonté d’interdire totalement l’IVG en Pologne), nous sommes en droit de nous demander si nous disposons enfin totalement de nos corps et de l’usage que nous en faisons. Nous sommes en droit d’exiger des pratiques de soins respectueuses de l’intimité de chacunE.

En effet, de nombreuses personnes ont malheureusement vécu des consultations gynécologiques entachées de discriminations (de genre, d’âge, d’orientation sexuelle), de remarques déplacées et de toutes sortes de jugements quant à leurs choix et leur mode de vie. De ce triste constat sont nés à la fois un désir de remédier à ces violences banalisées et un souhait de construire un réseau de soins solide et «safe». Ainsi, AdopteUnEGynéco2 est une plateforme Internet créée par un petit collectif féministe affilié à l’association Feminista! à Lausanne. Inspiré du projet français Gyn&Co, AdopteUnEGynéco se veut être un site de partage pour et par les usagerEs, afin de dresser une liste non exhaustive de soignantEs bienveillantEs et respectueux-ses issuEs du territoire romand. ChacunE peut contribuer à ce projet si elle/il le souhaite, en soumettant simplement le nom d’unE praticienNE et en remplissant un questionnaire à propos de son vécu personnel avec cette/ce soignantE. Toute cette procédure est bien évidemment anonyme. Ce n’est qu’en partageant ses bonnes expériences – car AdopteUnEGynéco est une liste blanche uniquement! – que le site vivra et que d’autres personnes pourront profiter des adresses recommandées. De plus, une rubrique est dédiée aux droits des patientEs et une brève rétrospective du mouvement «self-help» et de la gynécologie féministe est présentée. Enfin, diverses références bibliographiques et filmographiques sont proposées afin d’aller plus loin dans le sujet.

Néanmoins, chaque expérience de soin demeure par essence subjective et unE gynécologue recommandéE par unE patientE peut ne pas faire consensus. Il est de fait primordial de ne pas soumettre unE praticienNe pour des raisons politiques, religieuses ou personnelles. Les critères doivent être le respect, la bienfaisance et la bientraitance au sein de sa pratique.

Ce projet nous semble plus que nécessaire au regard des nombreux témoignages de maltraitance médicale qui foisonnent sur la toile et parmi nos cercles de connaissances. Le Tumblr «Je n’ai pas consenti» recense moult anecdotes plus révoltantes les unes que les autres, dont la majorité concerne des consultations gynécologiques. On peut y lire des récits de douleur minimisée ou niée, des histoires qui révèlent des jugements de valeur, de la culpabilisation et de l’infantilisation au travers d’un paternalisme puissant et sans concession. Le site Madmoizelle.com, engagé dans de nombreuses problématiques féministes, a publié plusieurs articles sur le sujet dont des témoignages qui font froid dans le dos. En Suisse, Le Courrier a donné la parole au médecin français Martin Winckler lors de son article du 8 mars dernier. Ce gynécologue chevronné exprime à merveille comment «le soin est incompatible avec un rapport de pouvoir», et comment le paternalisme de certainEs soignantEs peut faire du mal à leurs patientEs alors même qu’elles/ils pensent agir pour leur bien. Tout acte réalisé sur la/le patientE, s’il est fait sans son consentement, peut devenir un acte de violence. Le fait de retenir des informations ou d’en véhiculer de fausses est également une violence faite aux patientEs. Le domaine de la gynécologie, de par l’objet intime de sa pratique, est d’autant plus à risque de dérapages et requiert donc prudence, attention et bienveillance. La maltraitance gynécologique n’est pas un fantasme, ni un phénomène isolé: de nombreuses émissions existent et dévoilent, à travers les récits de femmes de tous âges, l’étendue de la souffrance vécue dans un lieu qui se devrait être sécurisant et sécurisé.

Alors agissons. Agissons pour qu’enfin, «aller chez le gynécologue» ne soit plus «un mauvais moment à passer» et pour que le consentement libre et éclairé se substitue au paternalisme.

1  Afin d’inclure les personnes minorisées (des femmes aux personnes genderfluid ou transgenre, notamment) nous utiliserons dans cet article le langage féminisé et épicène.

2 https://adopteunegyneco.wordpress.com