La haine du c…

la chronique féministe • C’est le titre d’un chapitre de Ainsi soit-elle de Benoîte Groult, paru en 1975, livre que toutes les femmes (et tous les hommes) devraient avoir lu ou lire, avec Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir (1949). Pour permettre aux femmes de comprendre leur situation et d’où vient la misogynie; aux hommes d’appréhender le sexisme et de le combattre, afin que les relations entre les femmes et les hommes deviennent égalitaires et harmonieuses.

J’ai pensé à ce titre quand j’ai lu, dans la Tribune de Genève du 17 octobre, parmi les confidences de quatre politiciennes sur le sexisme (dont j’ai parlé la semaine dernière), celles de Liliane Maury Pasquier: les remarques sexistes ont souvent porté sur son métier de sage-femme. C’est pourtant le plus beau métier du monde puisqu’il consiste à accompagner la venue de la vie. Mais plus forte est la haine dont parle Benoîte Groult dans quatre chapitres: La haine du c…, Ma mère, c’était une sainte! Ni calendrier ni harmonica, Les portiers de nuit. Une haine profonde, viscérale, inconsciente, qui habite les mâles depuis la nuit des temps. D’abord par jalousie, puisque ce sont les femmes qui donnent la vie, puis par orgueil, croyant pouvoir posséder la femme.

Benoîte Groult revient sur l’horreur et le scandale que sont l’excision et l’infibulation. Il fallait à tout prix priver les femmes de la jouissance, afin qu’elles n’aillent pas voir ailleurs. Malgré plusieurs tentatives d’interdire ces pratiques barbares, elles perdurent encore aujourd’hui, essentiellement en Afrique noire. Le clitoris, symbole du plaisir gratuit, non lié à la procréation, est un scandale qu’il faut détruire. Les conséquences physiologiques sont innombrables: infections, névrome ne supportant pas le moindre attouchement, déchirures lors de l’accouchement et autres problèmes. Les séquelles psychologiques sont aussi désastreuses: dégoût de soi et des rapports sexuels, qui sont de la torture, enfermement.

Benoîte Groult démontre que si, en occident, on n’excise pas les fillettes, on les châtie autrement. Par l’éducation, qui fait d’elles de futures bonnes épouses, ménagères et mères; en s’opposant à la contraception et à l’avortement. Les hommes prétendent toujours nous défendre contre nos «mauvais instincts». Elle rappelle les sorcières brûlées, pendant trois siècles, les filles condamnées au couvent, les centaines de milliers de prostituées soumises à une réglementation féroce, la ceinture de chasteté, l’exigence de la virginité, le fléau de la dot. Pétain fit guillotiner Madame Giraud pour avoir pratiqué des avortements. Elle avait commis le crime inexpiable d’avoir délivré des femmes de la fatalité biologique. La maternité volontaire est la liberté fondamentale qui commande toutes les autres.

Partout, ceux qui ont un pouvoir sur d’autres êtres n’ont qu’un but: le conserver. Qu’il s’agisse de serfs, de Noirs, de pauvres ou de femmes, les droits n’ont jamais été accordés, ils ont dû s’arracher un à un.

Jusqu’au 19ème siècle, la médecine n’a pas décrit le sexe féminin, la grossesse ni l’accouchement. Les sages-femmes, sans formation, travaillaient sous les jupes. Si l’enfant se présentait mal, on le coupait en morceau à l’intérieur de la mère. Sans anesthésie. Elle fut découverte en 1844, mais on ne jugea pas souhaitable de l’appliquer aux parturientes. L’Eglise catholique aggrava encore les risques de l’accouchement en décrétant que la vie du bébé était plus importante que celle de la mère (il fallait pouvoir le baptiser) et exigea qu’on ouvre l’utérus pour en extraire l’enfant vivant. Aucune femme n’a survécu pour décrire l’horreur de cet assassinat légal. L’église prêchait la résignation: «La mort en couches est le tribut exigé par Dieu que les femmes doivent payer pour les joies de la maternité.»

Les hommes nous «aiment» bavardes, futiles, bécasses, fofolles, faisant le lit et le ménage, et ne supportent pas que nous dérogions. Dès que les femmes défendirent la cause des femmes, firent des études, notamment de médecine, briguèrent des mandats politiques, elles déclenchèrent des torrents d’injures, dont l’incontournable «pute». Les militantes du MLF provoquèrent une épidémie d’hystérie chez les hommes. Quand on ne peut plus enfermer les femmes dans la maison ou dans les schémas traditionnels, on les discrédite, par tous les moyens: ironie, paternalisme, condescendance, mise en cause de leurs compétences, harcèlement…

Selon l’auteure, Freud nous aurait fait perdre un siècle, en décrivant l’homme comme le modèle idéal de l’humanité et en affirmant qu’il n’existe qu’un organe sexuel valable: le phallus. La fille souffrirait de son «manque». Freud fut incapable de voir la réciprocité: le garçon jaloux du pouvoir féminin de donner la vie, et fit de la fille et de la femme des êtres «incomplets», assertion dont nous payons encore le prix. Selon Evelyne Sullerot, «toute l’activité masculine n’est qu’une énorme névrose collective».

Après Mai 68 et la libération sexuelle, les hommes ont pensé que les femmes étaient au service de leurs désirs. La pornographie a pris ses quartiers, le film Emmanuelle sorti en 1974 comme Histoire d’O, 1975, qui rencontrèrent un immense succès, ne sont que des mises en scène de fantasmes sadiques, qui soumettent les femmes au leur bon plaisir des hommes. Récemment, on a eu droit à Cinquante nuances de Grey (2014), qui fonctionne sur les mêmes ressorts éculés. Il est inquiétant de constater que Sade connaît un retour en grâce. Ses romans, certes bien écrits, ne sont qu’une succession de tortures infligées à des femmes sans défense et relèvent de la pornographie. Le sexe féminin est abondamment utilisé par les publicités. Il arrive même qu’elles suggèrent des scènes de viol…

Quand sortirons-nous de cette haine du c…? Il faudrait d’abord que les hommes soient conscients du phénomène. Pas comme l’UDC Yves Nidegger qui, visiblement, n’y comprend rien. Pour l’émission «Forum» du 17.10 sur le sexisme sous la Coupole, la journaliste l’avait invité avec Lisa Mazzone. Un parfait exemple de misogynie: il nie tout problème, parle de victimisation pour attirer les micros et finit par quitter le studio, trouvant qu’on a suffisamment «cassé les pieds» des auditeurs avec un sujet qui n’en est pas un.

Mais si, Monsieur Nidegger, nous sommes des sujets, affirmons notre liberté et réclamons d’être respectées comme des êtres humains à part entière.