La Réforme et les femmes

La chronique féministe • Jeudi 3 novembre, Genève a lancé les célébrations des 500 ans de la Réforme à Plainpalais. Des manifestations auront lieu de novembre 2016 à novembre 2017 dans tout le pays; le camion de la Réforme sillonnera l’Europe. L’objectif est de se demander ce que la Réforme signifie pour les générations d’aujourd’hui et de demain. Joli paradoxe, les deux personnalités qui ont pris la parole sont catholiques: Guillaume Barazzone, maire de Genève, et Alain Berset, conseiller fédéral. Calvin s’est-il retourné dans sa tombe ou s’est-il réjoui de cette paix des consciences?

Jeudi 3 novembre, Genève a lancé les célébrations des 500 ans de la Réforme à Plainpalais. Des manifestations auront lieu de novembre 2016 à novembre 2017 dans tout le pays; le camion de la Réforme sillonnera l’Europe. L’objectif est de se demander ce que la Réforme signifie pour les générations d’aujourd’hui et de demain. Joli paradoxe, les deux personnalités qui ont pris la parole sont catholiques: Guillaume Barazzone, maire de Genève, et Alain Berset, conseiller fédéral. Calvin s’est-il retourné dans sa tombe ou s’est-il réjoui de cette paix des consciences?

A Genève, les protestants sont minoritaires depuis longtemps. Aujourd’hui, l’Eglise catholique romaine forme la plus grande communauté religieuse du canton (37%), suivie de près par le groupe des personnes sans appartenance religieuse (35%), puis, loin derrière, par les protestant-e-s (12%). La communauté musulmane représente 5% du total et la communauté juive 1%. On n’est donc plus dans «la Rome protestante», qui n’admettait que la nouvelle religion sur les terres genevoises.

C’est l’Allemand Martin Luther qui fut à l’origine de la Réforme. Ulcéré par le scandale des «indulgences» (l’Eglise faisait commerce des places au paradis) et de la corruption généralisée, il remit en cause le fonctionnement et les fondamentaux de l’Eglise catholique. Né en 1483, ordonné prêtre en 1507, il écrit un commentaire sur l’épître aux Romains en 1515, où il soutient que le sacrement n’est pas efficace en soi mais tire son sens de l’adhésion des fidèles. Le 31 octobre 1517, 95 de ses thèses sont placardées à Wittenberg. Le 3 janvier 1521, il est excommunié, puis mis au ban de l’Empire par l’édit de Worms le 26 mai 1521. Frédéric de Saxe le prend sous sa protection au château de la Wartburg. Luther y traduit le Nouveau Testament en onze semaines, son travail paraît en septembre 1522.

L’Ancien Testament lui demandera plus de temps. Il a utilisé la langue parlée en Allemagne centrale, dans le processus d’unification qui allait aboutir à l’allemand moderne. La Bible complète paraît en 1534 et est imprimée par Gutenberg entre 1552 et 1556. Elle est considérée comme le premier livre réalisé en Europe en caractères mobiles, tiré à 180 exemplaires, dont il reste 48 aujourd’hui. La traduction sera sans cesse reprise et corrigée. Martin Luther meurt le 18 février 1546. Sa Bible fut un grand succès: jusqu’à sa mort, plus de 430 éditions de la Bible traduite par lui ont vu le jour. En 1535, un Allemand sur 70 était en possession d’un Nouveau Testament. En 1520, 90% des écrits imprimés étaient encore en latin, ils n’étaient plus que 70% en 1570. L’action de Luther, comme des autres réformateurs, a été favorisée par l’imprimerie.

En Suisse, en 1522, Zurich est le premier canton à passer à la Réforme, grâce à Zwingli. Bâle le fait en 1529, suivent Glaris, Berne, Bienne, Schaffhouse et Saint-Gall. En 1531, les cantons suisses catholiques attaquent les Zurichois et les battent, Zwingli est tué. Une année plus tard, au synode de Chanforan, dans le Piémont italien, il est décidé de traduire la Bible du latin en français, ce qui était interdit. Et l’église vaudoise fusionne avec les églises réformées. Jean Calvin, converti en 1531, commence à prêcher à Paris et doit s’exiler en 1533. Il publie à Bâle l’Institution de la religion chrétienne, sans mention de la prédestination, et s’installe à Genève, où la Réforme vient d’être adoptée. Banni en 1538, il revient en 1541, et y installe une république calviniste. En 1542, Paul III instaure l’Inquisition romaine, qui va durer trois siècles et brûler 10’000 «sorcières». Le Concile de Trente se tient de 1545 à 1563 et 1562 voit le début des guerres de religion en France.

En plus de rendre la Bible accessible au peuple, la Réforme a également posé les bases de l’accession des femmes aux ministères. Non que les réformateurs aient été de grands féministes, mais le fait de déclarer tous les croyants égaux devant Dieu a entrouvert la porte aux femmes. Celles-ci ont donc accès aux textes bibliques, nouvellement traduits, à l’instruction, et leurs droits sont revalorisés dans le mariage. Le divorce est accepté, et les mémoriaux du Consistoire montrent que les maris violents sont admonestés, une première. Cependant, le Collège et l’Académie fondés par Calvin restent interdits aux femmes. L’obstacle sociétal persiste.

Le cas de Marie Dentière témoigne de ces résistances : pour avoir osé se mesurer aux hommes (elle argumente contre Calvin, forte de son savoir théologique), sa réputation sera salie. Ancienne prieure, Marie Dentière est l’une des premières femmes à s’être convertie au protestantisme en 1524. Elle est appelée à la rescousse par Guillaume Farel, qui tente de convaincre le couvent des Clarisses, au Bourg-de-Four, d’adopter la Réforme. L’historienne Lauriane Savoy note: «Une telle tâche de prédication est exceptionnelle, mais bien encadrée: les femmes ne sont autorisées à parler que sous le contrôle d’un homme, et leur discours sert d’abord à convaincre d’autres femmes.» Marie Dentière, dont le nom a été ajouté sur une stèle devant le Mur des réformateurs genevois en 2002, publie en 1539 son «Epistre tres utile…», où elle affirme la capacité égale des hommes et des femmes à comprendre la Bible. Elle sera la première victime de la censure réformée à Genève, à cause de ces propos, jugés scandaleux.

Pour les femmes réformées, les progrès ont donc été lents. Jusqu’au XIXe, les théologiennes n’ont pas eu accès à la parole publique. A Genève, au sortir de la Faculté de théologie, les premières femmes pasteures n’ont encore qu’un statut de pasteure auxiliaire. C’est le cas de Marcelle Bard, consacrée en 1929, admise en 1943 comme membre de plein droit de la Compagnie des pasteurs. Dotée d’un sens social très développé, aussi compatissante que ferme, elle exerça un ministère fécond auprès des malades et des défavorisés dans les nouveaux quartiers de Genève. Aujourd’hui, 40% des ministres de l’Eglise protestante de Genève sont des femmes.

L’Eglise protestante (qui comprend l’église anglicane) est la seule à offrir la même formation et les mêmes chances aux hommes qu’aux femmes: elles occupent toutes les fonctions du pastorat. Les autres religions monothéistes continuent de les considérer comme inférieures, puisqu’elles n’ont pas le droit de devenir rabbins chez les juifs, prêtres (encore moins évêques ou papes) chez les catholiques, imams chez les musulmans.