Les pharmas se dorent la pilule

Suisse • Certains médecins doivent renoncer à préscrire des médicaments à leurs patients car ceux-ci sont vendus hors de prix par les multinationales pharmaceutiques. Les autorités restent silencieuses sur les profits engrangés par des firmes comme Gilead, Novartis ou Merck Serono.

La multinationale Gilead commercialise le traitement pour l’hépatite C entre 40’000 et 60’000 francs. (photo: ITPCglobal)

«Trois milliards de francs de bénéfice, L’hépatite C on en vit bien!» C’est l’un des slogans chocs avec lequel Médecins du Monde lançait début novembre une campagne sur la cherté des médicaments. Pour l’hépatite C, le prix du traitement coûte entre 40’000 et 60’000 francs en Europe.

Il faut rappeler que l’hépatite est une maladie du foie due à un virus, connue depuis le milieu des années 80 et qui affecte au moins 150 millions de personnes dans le monde dont plus de 8 millions en Europe. Elle évolue dans plus de 80% des cas vers une cirrhose hépatique ou ouvre la voie à un cancer du foie. Sans un dépistage systématique, elle peut passer inaperçue pendant plusieurs années, et comme elle est contagieuse, essentiellement par voie sanguine, cela pose un grave problème de santé publique. En Suisse, 33’000 personnes sont déclarées porteuses de l’hépatite C , mais l’Office Fédéral de la Santé Publique (OFSP) estime que 83’000 sont infectées par le virus, chiffres qu’on retrouve dans les pays de l’ouest de l’Europe.

Médecins contraints à l’absurde
Jusqu’à récemment, il n’existait pas de médicaments très efficaces pour traiter les patients. Mais depuis 5 ans apparaissent de nouveaux espoirs de guérir ces malades, car de nouveaux médicaments ont été découverts. Le sofosbuvir, commercialisé sous le nom de Sovaldi par la multinationale américaine Gilead, est actuellement le plus prometteur et, associé à d’autres molécules déjà utilisées, permet une guérison proche de 100%. Ceci pour un traitement relativement court, puisque limité à 3 mois.

Mais Gilead, qui a obtenu un brevet en Europe, vend son médicament si cher (entre 40’000 et 60’000 Francs pour la totalité du traitement), que les services de santé européens (et l’OFSP, sur pressions des caisses maladies en Suisse) ne le remboursent que pour les patients avec une maladie du foie avancée. Cela représente un véritable rationnement des soins, scandaleux en soi, et particulièrement en Europe. Concrètement, cela signifie qu’aujourd’hui, en Suisse, un médecin est parfois obligé de dire à son patient qu’il pourrait le guérir grâce à un médicament, mais qu’il ne peut pas le lui prescrire parce qu’il coûte trop cher! C’est inique mais aussi un non-sens en termes de santé publique, car cette approche ne réduit que marginalement le risque de contagion et permet donc à la maladie de se répandre.

Il faut savoir que les coûts de production du médicament avoisinent les mille francs, soit beaucoup moins que le prix de vente. Gilead justifie ce dernier par les frais de la recherche et par la distribution à un moindre coût dans les pays dit du Sud. Pourtant, une bonne partie de la recherche sur l’hépatite C a été financée par de l’argent public. Gilead n’a fait que racheter la start-up qui a développé le sofosbuvir en 2011 pour 11milliards de dollars, somme qu’elle a gagné dans la seule année 2014 en commercialisant ce médicament!

Une victoire d’étape

Les gouvernements européen et suisse pourraient, au nom d’une disposition légale de l’accord sur la propriété intellectuelle (ADPIC) de l’OMC, autoriser un producteur de médicaments génériques à produire une copie du sofosbuvir, sans demander l’autorisation du détenteur du brevet. Ils pourraient invoquer, dans ce cas, un principe de santé publique, quitte à indemniser Gilead. Aucun ne l’a fait à ce jour, préférant mettre en péril la santé des gens et ordonner un rationnement des soins que de s’attaquer à Gilead.

C’est devant la passivité des gouvernements européens et la cupidité de la multinationale Gilead que le réseau européen des Médecins du Monde a déposé un recours d’opposition au brevet du sofosbuvir devant l’Office européen des brevets (OEB) en 2015 . Début octobre 2016, l’Office Européen des Brevets (OEB) a rendu sa décision et a annulé des parties substantielles du brevet, dont la formule chimique couvrant explicitement le sofosbuvir. C’est une victoire d’étape importante, mais beaucoup reste à faire.

Sur le fond, le Conseil fédéral ne pipe pas mot
Les traitements contre le cancer, notamment, sont devenus un marché particulièrement juteux pour les firmes pharmaceutiques. Le Glivec (produit par Novartis), un traitement contre la leucémie, est aujourd’hui vendu en Suisse 40’000 francs par an et par patient pour un coût de production estimé à seulement 200 euros. Le Keytruda (produit par Merck Serono), un traitement contre le mélanome, est annoncé même à un prix de 112’000 francs par an et par patient.

Généralement, les autorités qui fixent le prix d’un médicament acceptent de s’aligner sur les exigences des firmes pharmaceutiques. Celles-ci déterminent le prix en fonction de la capacité des États à payer pour avoir accès au traitement. Plus un État est riche, plus le prix sera élevé. C’est ce qui fait que les médicaments en Suisse sont parmi les plus chers d’Europe. C’est à ce dernier phénomène que le Conseiller fédéral Berset cherche à s’attaquer pour «diminuer la rapidité de l’augmentation des primes maladies». Il souhaite l’alignement des prix en Suisse sur le reste de l’Europe, mais sans remettre en question les bénéfices éhontés des firmes pharmaceutiques mettant en péril à la fois la santé des patients mais aussi posant des problèmes de santé publique. Ainsi, sur le fond, le Conseil Fédéral ne pipe mot! Dans une société de marché, la santé des actionnaires vaut plus que la santé de la population.

Bernard Borel (Médecin et ancien président de Médecins du Monde Suisse)