Le Kremlin prépare l’après Poutine?

Russie • Certains signaux en provenance de Moscou laissent supposer que Vladimir Poutine pourrait quitter le pouvoir dès 2018.

Brexit, Trump, Syrie… autant d’événements de cette année 2016 qu’on relie à la figure de Vladimir Poutine. Les médias des deux côtés de l’Atlantique rivalisent de superlatifs pour représenter le président russe sous les traits d’un surhomme à la puissance qui croît de manière exponentielle, un Méphistophélès quasi-omniscient qui dirige déjà le monde en sous-main, juste avant de le subjuguer définitivement et d’y régner sans partage d’ici quelques années.

La réalité en Russie semble pourtant divergente, l’appareil présidentiel et les «spin doctors» de son parti «Russie unie» travaillent sérieusement depuis quelque mois sur les scénarios envisageables d`un après-Poutine dès 2018. Idée saugrenue si l’on considère les derniers scores d’approbation du président qui oscillent entre 80 et 90% d’opinions positives, mais qui apparaît comme plausible à la lumière de certains signaux récents en provenance du Kremlin, d’autant plus que l’on peut avancer un certain nombre de raisons objectives et subjectives qui valident une telle probabilité.

Une majorité de 350 sièges sur 450 à la Douma
En termes de signaux, il y a eu tout d’abord la sortie récente de l’ancien ministre des finances Alexei Koudrine, qui proposait la tenue d’élections présidentielles anticipées pour permettre au président de disposer d’une légitimité renforcée afin de «procéder à des réformes structurelles nécessaires mais difficiles» (on parle ici notamment de l’augmentation de l’âge de la retraite,ndlr). A cet égard, le ministère des Finances aurait effectivement budgété pour 2017, c’est-à-dire un an avant terme, une somme importante pour ces élections. Valery Solovei, un autre expert proche du premier ministre Medvedev, a validé ce scénario dans une interview qui a fait grand bruit en Russie, si bien que le Kremlin a dû démentir par deux fois une telle possibilité.

Un autre signal, moins explicite, mais peut-être plus convaincant, pourrait provenir des résultats des dernières législatives russes en septembre dernier et de la composition de la nouvelle Douma. Selon Boris Kagarlitskyi, politologue et directeur de l’Institut de la globalisation et des mouvements sociaux (IGSO) à Moscou, «alors que l’idée du Kremlin au départ était de montrer une plus grande ouverture et une augmentation de la représentativité, le scénario a brusquement changé dans les dernières semaines avant les élections et on s’est retrouvé dans la même situation qu’en 2011 avec une victoire encore plus écrasante de «Russie unie».

Une analyse confirmée par Mikhail Kostrikov, secrétaire du comité central du PC: «Les écarts entre les résultats officiels et les rapports de nos observateurs, notamment en Sibérie où nous obtenons toujours de très bons scores, sont trop importants pour ne pas évoquer des falsifications massives. «Russie unie» s’est arrangée pour obtenir au Parlement une majorité constitutionnelle (le parti dispose maintenant de 350 sièges sur 450, ndlr) qui lui permettra de gouverner même sans Poutine». Enfin, Vladimir Poutine lui-même s’est laissé aller à des confidences lors d’unerencontre avec les ouvriers d’une usine de Tcheliabinsk dans l’Oural où il a ouvertement évoqué son «rêve de bien terminer sa carrière» et de «profiter de sa retraite pour voyager». Qu’est-ce qui pourrait donc le pousser à partir, sans briguer ce dernier mandat, comme l’y autoriserait la Constitution?

En premier lieu, il faut bien dire que 17 ans, c’est long: comme l’estime Kagarlitskyi, «la période est favorable pour un départ, une certaine forme de lassitude est en train de s’installer autant chez Poutine lui-même qu’au sein des classes dirigeantes ou dans le pays. Puisqu’il faut bien partir un jour, il pourrait choisir de le faire au sommet de la vague au lieu de se risquer à un dernier mandat rendu difficile par les problèmes économiques qui s’annoncent et le mécontentement social qui en découle. Personne ne sait quel sera l’horizon des années 2020-2024.»

Guerre des clans
Un autre problème majeur pour Vladimir Poutine, et qu’on évoque pourtant trop peu chez nous, est son rôle de médiateur entre les clans qui composent les élites dirigeantes russes issues de l’effondrement de l’URSS. Structurés économiquement d’une part, autour d’une aile «libérale» représentant le capital financier et transnational et, d’autre part, autour d’une aile «patriotique» réunissant le secteur industriel et militaire, ces clans («grupirovki») se concurrencent depuis quinze ans, tout en étant tenus à une certaine mesure par l’«arbitre» Poutine au nom de la sacro-sainte «stabilité» retrouvée qui a structuré ses mandats présidentiels. Des cours du pétrole moribonds, les sanctions économiques et l’essoufflement des infrastructures et du système social, hérités de l’époque soviétique, ne présagent pas de cieux cléments pour les prochaines années.

Les clans espèrent donc profiter de l’opportunité miraculeusement tombée du ciel avec l’élection de Donald Trump, qui procure une fenêtre de tir de quelques mois, le temps que l’administration américaine retombe sur ses pattes et se stabilise, pour régler leurs comptes définitivement sans être dérangés par des facteurs extérieurs qui les ont contraints à serrer les rangs dernièrement. La première salve a d’ailleurs été tirée cet automne avec l’arrestation pour corruption du ministre du développement économique Ulyukayev, proche des libéraux.

Ainsi chaque écurie fourbit déjà ses armes et prépare son champion pour la joute électorale à venir, qu’elle se produise en 2017 ou en 2018. Parmi les papables, les noms qui reviennent le plus souvent sont d’un côté, celui du premier ministre Dimitri Medvedev, qui tenterait de briguer ainsi un second mandat après son élection de 2008, et de l’autre, celui du jeune général Alexey Dyumin, vice-ministre de la Défense et à la tête du renseignement militaire (GRU), propulsé récemment dans l’arène politique puisqu’élu triomphalement gouverneur de la région de Tula, près de Moscou.