Nouvelle salve de la gauche contre la RIEIII

12 février • Le comité unitaire genevois contre la RIE III dénonce les nouveaux cadeaux fiscaux aux entreprises prévus par la réforme.

Le 12 février, la population suisse va devoir se prononcer sur un objet présenté comme complexe et mal connu mais dont l’enjeu sera considérable pour elle: la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III). Alors que les milieux économiques tentent par tous les moyens de lui faire croire que cette réforme est dans son intérêt de l’emploi et des PME, la gauche et les syndicats ont dénoncé, à l’occasion d’une conférence de presse le 12 janvier, des cadeaux fiscaux aux grandes entreprises et multinationales. «Les niches fiscales prévues par la loi fédérale – patent box, super-déductions R&D et déduction des intérêts notionnels ne concernent pratiquement pas les PME, d’autant moins quand on sait que 60% des entreprises, soit pratiquement toutes des PME, ne paient pas d’impôts», a critiqué le comité unitaire.

La RIE III est aussi présentée comme un investissement pour la relance. «Le raisonnement est simple, analyse Paolo Gilardi, du Syndicat des services publics: baissons les impôts sur les bénéfices, cela permettra de réinvestir les sommes économisées, de créer des places de travail, de la richesse et, «dans cinq ans», d’enregistrer de nouvelles rentrées pour les finances publiques. Mais qui pourrait obliger les conseils d’administration à réinvestir les bénéfices réalisés plutôt qu’à verser de juteux dividendes aux actionnaires? Personne, évidemment!».

Crainte de perte massive d’emplois
Le spectre d’un départ des multinationales pour l’étranger et la perte des emplois qui s’ensuivrait est une menace sans fondement. «Tous les analystes, mais aussi le classement de la compétitivité des pays réalisés par le WEF affirment au contraire que les facteurs déterminants sont surtout la formation de la main-d’œuvre, la qualité des infrastructures et des services, ainsi que la stabilité et la sécurité», assure le comité.

Pour Umberto Bandiera, du syndicat Unia, c’est même le contraire qui va se passer: «La RIE III aura des conséquences néfastes pour l’emploi: non seulement elle ne créera pas d’emplois supplémentaires automatiquement, mais on doit s’attendre à une perte massive d’emplois autant dans le secteur public que dans les secteurs privés. Les restrictions des dépenses d’investissements publics impacteront toutes les entreprises qui offrent leurs services à l’Etat ou aux communes. On peut dont prévoir des pertes d’emplois importantes pour ces entreprises.»

«On verra des suppressions inévitables des prestations publiques, et des pertes de postes liés à ces prestations, et la pression sur les conditions de travail dans la fonction publique s’aggravera. Sans parler de l’hypocrisie de la volonté soudaine d’augmenter la dette de l’Etat», critique Laurent Vité, de la SPG, représentant du Cartel intersyndical de la fonction publique.

Concurrence fiscale renforcée
Romain de Sainte-Marie, représentant du PS, souligne d’autre part que la RIE III accroît encore davantage la concurrence fiscale entre les cantons «et par conséquent la cohésion de notre pays. Les cantons possèdent la compétence de fixer le taux d’imposition sur le bénéfice des entreprises et le degré d’application des outils d’allégements fiscaux de ce paquet ficelé. Dès lors, si un canton décide de baisser sa fiscalité pour être plus attractif, d’autres cantons suivront. Au final, ce sont bien les actionnaires des grandes entreprises qui récolteront les fruits de la réforme, et la population qui en paiera le prix fort.»

«Pour la fiscalité, la Suisse est déjà la plus compétitive des pays européens, dont tous les pays développés ont des taux d’impositions supérieurs à la moyenne suisse actuelle. Les exceptions sont des pays incapables d’offrir des conditions-cadres suffisantes, comme la Bulgarie ou le Monténégro, qui imposent entre 10% et 15%, qui ne représentent pas une concurrence, ou ceux pratiquant le dumping qui sont en train de se faire rappeler à l’ordre, comme l’Irlande », explique encore le comité.

«Cette réforme, dénonce Pablo Cruchon, de solidaritéS, remet fondamentalement en question la répartition des richesses, en cherchant à accroître massivement les profits du capital au détriment des travailleur-euse-s dans notre pays, mais aussi au niveau international. L’enjeu est de taille puisqu’il s’agit d’empêcher le transfert de milliard de francs des caisses des collectivités publiques vers les poches des grands actionnaires, et des autres pays vers la Suisse».

Un projet contre la Suisse urbaine
De son côté, Yvan Rochat, membre du comité des Verts genevois, dénonce les nouveaux outils d’inégalité face à l’impôt que crée RIE III, au prétexte d’abolir les statuts fiscaux spéciaux. Il rappelle que «les villes sont très négatives à l’égard du processus d’élaboration de la RIEIII à Berne, où le Parlement a écarté sciemment les remarques des villes suisses, où vit pourtant 75% de notre population. Sous prétexte d’améliorer la concurrence de la Suisse, RIEIII est en fait un projet contre la Suisse urbaine.»

«En plus d’être profondément inégalitaire à l’égard des PME, la réforme l’est du point de vue de l’équité fiscale: le fait de permettre une exonération de jusqu’à 80% des bénéfices, débouchant sur des taux effectifs d’imposition des entreprises d’à peine 3 %, c’est-à-dire bien moins que ce que paient des salarié-e-s gagnant à peine 4’000 francs par mois, n’est pas acceptable. Les entreprises ne contribueront pratiquement plus aux infrastructures et services qu’elles consomment», précise Jean-Luc Ferrière, syndicaliste au SIT.