Ulysse et le penelopegate

La chronique féministe • Depuis les premières révélations du Canard enchaîné du 25 janvier sur les sommes reçues dès 1998 par Penelope, l’épouse de François Fillon, candidat du parti républicain à la présidentielle, la France est en stand-by: on ne parle plus que de ça.

Fillon se défend si mal qu’il s’enfonce à chaque déclaration. «Une boule puante», des «officines» qui œuvrent dans l’ombre, il n’a rien fait d’illégal, Penelope était son assistante parlementaire, etc.

Une semaine plus tard, Le Canard enchaîné en rajoute une couche: ce n’est pas 600’000 € qu’a touchés Penelope, mais près d’un million, et ses enfants 84’000. Fillon prétend les avoir engagés en tant qu’avocats, alors qu’ils n’étaient qu’étudiants. En plus, il a payé son fils Charles 27% de mieux que sa fille Marie, entre 2015 et 2016, lui qui accuse Le Canard de misogynie… Penelope a aussi reçu 100’000 € pour rédiger deux fiches de lecture en tant que «conseillère littéraire» de La Revue des deux Mondes, de 2012 à 2013, ce qui fait cher la fiche!

A chaque accusation, Fillon répond par un mensonge! Sur le «travail» de son épouse, le statut de ses enfants, ses pratiques. Il prétend n’avoir qu’un compte commun, ce qui est impossible puisque ses indemnités lui sont versées sur un compte ad hoc, et qu’il en possède en réalité une quinzaine. Personne n’a vu Penelope dans les couloirs de l’Assemblée nationale. Il prétend n’avoir pas de permanence politique et recevoir chez lui. Enquête faite par les journalistes de C dans l’air sur France 5, tous les députés ont une permanence. Ses porte-parole comme ses proches s’empêtrent aussi dans des explications vaseuses.

Le coup de grâce a été donné jeudi 2 février: «Envoyé spécial» a diffusé une interview de 2007 de Penelope Fillon au journal britannique The Telegraph: «Je n’ai jamais été son assistante ou quoi que ce soit de ce genre. Je ne m’occupe pas de sa communication.»

Aïe! On se dit que François Fillon va enfin reconnaître les faits. Mais non, il s’entête, il persévère, il s’enlise. «Je me retirerai si je suis mis en examen, donnez-moi quinze jours», or il ne peut pas l’être dans un délai si court.
La justice a ouvert une enquête pour «détournement de fonds publics, abus de biens sociaux et recel de délits». Les époux ont été interrogés séparément pendant 5 heures, les enfants le sont à leur tour. Tout cela donne une image catastrophique de Fillon, du parti du candidat à la présidentielle, de la politique en général. «Tous pourris», peut claironner Marine Le Pen, prise elle aussi la main dans le sac: elle a utilisé les rémunérations de Bruxelles pour payer des employé-e-s de son parti. Selon les enquêtes, le FN est le parti le plus corrompu de France. Mais les gens avertis savent que les frontistes mentent comme ils respirent…

Dans le cas Fillon, ce qui choque le plus, c’est qu’il se voulait un parangon de vertu. «Imagine-t-on le général de Gaulle mis en examen?» disait-il pour déstabiliser Sarkozy, voire Juppé, avant les primaires. Lors d’une émission de télévision, on diffusait ses propos antérieurs sur l’importance d’être irréprochable en politique, sur les difficultés des travailleurs. Et voilà qu’il apparaît comme un vil profiteur, qui fait rémunérer son épouse jusqu’à 6000 € par mois, alors qu’un «vrai» assistant parlementaire en gagne moins de 3000 pour une semaine de 60 heures ou plus… Il est ahurissant de constater, dans cette affaire, à quel point les politiques sont déconnectés des réalités et du quotidien des gens.

Fillon a fait distribuer, le week-end dernier, 4 millions de tracts «Stop à la chasse à l’homme, trop, c’est trop». Dimanche, chez les Républicains, de plus en plus nombreux étaient ceux qui cherchent un improbable «plan B». La situation est d’autant plus compliquée que c’est Fillon qui détient les 9 millions d’euros récoltés lors des deux élections de la primaire.

S’il y a quelque chose de jouissif à voir un politicien chuter à cause de son comportement, je pense à sa femme et à ses enfants, qui doivent être à la torture. Penelope, au nom prédestiné, une femme discrète, qui a toujours vécu dans l’ombre de son mari, est soudain projetée sous les projecteurs de l’actualité. Elle a l’air traqué d’un animal pris dans les phares d’une voiture, ou d’une biche poursuivie par une chasse à courre.

Certes, elle a profité des largesses de son mari, de leur standing: château de Beaucé dans la Sarthe, chevaux, voitures, etc. Mais ce qui lui arrive est effrayant. Les lumières sont aveuglantes, la soudaine notoriété est un martyre, elle apparaît comme une victime expiatoire. La femme d’Ulysse défaisait chaque nuit la tapisserie nouée le jour pour tenir à distance les prétendants. Penelope Fillon n’a aucun moyen de tenir à distance les journalistes qui enquêtent. Elle doit se demander ce qui lui arrive, alors que le menteur, le profiteur, le parjure, c’est François Fillon. Je pense avec empathie aux épouses d’hommes d’Etat qui se sont mal conduits: Hillary Clinton dans l’affaire du cigare, Anne Sinclair dans celle de DSK et du Sofitel, les épouses de Georges Tron et Denis Baupin, accusés de harcèlement sexuel, et bien d’autres.

Lundi 6 février, le candidat Fillon a tenu une conférence de presse devant plus de 200 journalistes, droit dans ses bottes. Il regrette et s’excuse d’avoir rémunéré des membres de sa famille, même si ce n’est pas «illégal» (pour autant que ce ne soient pas des emplois fictifs!), mais autrement, il ne lâche rien. Il reste le candidat LR, le seul capable de représenter la droite «Il n’y a pas de plan B, le plan B, c’est Bérézina». Il est vrai que le calendrier joue pour lui et que s’il se retirait, ce serait la foire d’empoigne. Il est probable qu’on le laisse aller jusqu’à la présidentielle. Mais je lui souhaite bien du plaisir quand il expliquera son plan d’austérité, où tout le monde devra se serrer la ceinture… Le plus triste de cette affaire, c’est qu’elle profite à Marine Le Pen et à son parti xénophobe, antieuropéen, populiste au mauvais sens du terme.

Je n’ai aucune pitié pour le candidat Fillon, mais j’éprouve de la compassion pour son épouse Penelope.