Quand les citoyens remplacent l’Etat défaillant

Grèce • En terre hellénique, la société civile s’organise pour pallier à la dégradation catastrophique des services publics, notamment des secteurs sanitaire et scolaire, due aux mesures d’austérité.

dans une grèce suffocant sous l’austerité imposée par ses créanciers, les solidarités se mettent en place, notamment avec les migrants.

Les mesures d’austérité en Grèce ont touché violemment la santé et l’instruction publique. Pour remédier aux carences les plus criantes, des habitants ont mis sur pied des structures qui font appel à des bénévoles et parent au plus urgent avec des prestations gratuites, les «Dispensaires sociaux» et les «Écoles solidaires».

Au niveau de la santé, les coupes budgétaires ont entraîné l’abandon de plusieurs programmes de prévention comme les vaccinations, et beaucoup d’unités publiques de soins ont été fermées. Les patients doivent participer financièrement à l’achat des médicaments et verser un émolument de prise en charge pour une admission hospitalière. Face à ces difficultés d’accès aux soins qui touchent une grande partie de la population, des «dispensaires sociaux» ont été créés, où des médecins, infirmières, infirmiers, travailleuses et travailleurs paramédicaux, tous bénévoles, soignent, conseillent, récoltent des médicaments, gèrent leur stock et la distribution, et assistent les patients dans les démêlés administratifs.

Dans ces dispensaires autonomes, les décisions concernant le fonctionnement sont prises collectivement par les travailleurs, qui élisent aussi, en assemblée générale, leurs délégués à une coordination nationale des dispensaires sociaux. Celle-ci centralise les informations sur les besoins en soins de santé dans l’ensemble du pays. Ainsi, les représentants des dispensaires sociaux sont en mesure d’exprimer des avis compétents sur la politique de santé publique et de défendre les intérêts des malades et des soignants, indépendamment de l’État et des associations corporatistes.

Du côté de l’instruction publique, la liste des attaques est longue. La suppression des cours en branches artistiques a été suivie par l’abolition de l’enseignement spécialisé et dans les établissements pénitentiaires pour mineurs. Les enseignants partis à la retraite ne sont pas remplacés, et le personnel de l’instruction publique a été privé du statut de fonctionnaire. L’évaluation du corps enseignant sur la base de critères fort discutables a abouti à la création de la sous-catégorie de salariés «réservistes», qui touchent un salaire amputé de 30% et peuvent être licenciés à tout moment.

S’organiser en dehors de l’Etat
Les horaires hebdomadaires des enseignants ont été allongés et les effectifs des classes augmentés. En plus, les enseignants doivent assumer les tâches du personnel administratif supprimé et gérer les problèmes extra-scolaires de leurs élèves. Ils sont chargés d’enfants dont certains n’arrivent pas à se concentrer et bien suivre les cours, parce qu’ils sont sous-alimentés. Des élèves tremblent dans des salles où il fait froid, car l’école ne peut plus payer le chauffage, alors que les parents n’ont plus les moyens d’habiller leurs enfants convenablement.

Depuis l’arrivée au pouvoir de Syriza en 2015, la situation n’a pas beaucoup changé, malgré la bonne volonté affichée. Il est vrai que le gouvernement tente d’amoindrir l’emprise de l’église sur l’école: supprimer les signes religieux dans les classes, remplacer le cours de religion chrétienne orthodoxe par l’étude du fait religieux, aborder la question de l’identité sexuelle et des LBGT. Ce faisant, il se heurte à de vives réactions du clergé, auxquelles il n’ose pas s’opposer frontalement. Certes, des mesures ont été prises pour garantir un goûter à l’école aux élèves, mais les finances de leurs parents ne se sont guère redressées, et ceux de leurs enseignants non plus.

Face au désastre provoqué par les mesures d’austérité, des enseignants ont alerté le voisinage. L’aide généreuse des voisins est à l’origine d’une structure embryonnaire d’entraide. Depuis de 2009, des enseignants au chômage et des militants dressent la liste des besoins en matière d’instruction: appui pour réussir l’année scolaire, leçons de langues étrangères, entraînement pour réussir l’examen national d’admission à l’université et aux écoles supérieures. Des cours répondants aux souhaits formulés par la population sont organisés dans des salles mises à disposition par les municipalités. Ces structures destinées prioritairement aux jeunes du quartier mais ouvertes à tout le monde deviennent un pôle de référence pour les actions de solidarité.

L’échange de savoirs pour pallier le manque d’argent
L’une des plus anciennes de ces écoles solidaires est «Mesopotamia», dans la banlieue entre Athènes et le Pirée. Son collectif est logé dans un bâtiment dont il a la jouissance exclusive. Les adhérents à la banque du temps mise sur pied par les militants peuvent s’échanger des prestations et ainsi offrir de l’aide en même temps que d’en recevoir. C’est un système formidable pour pallier le manque d’argent, valoriser le savoir et les expériences de tout un chacun, et aider à reprendre confiance en soi. Par ailleurs des militants de «Mesopotamia» ont mis sur le tapis la discussion sur le type d’instruction qu’il faut viser, et ont consulté avec les camarades d’autres écoles solidaires d’Athènes les théoriciens de l’enseignement anti-autoritaire.

En 2015, des militants de différents collectifs de la région athénienne se sont réunis et ont fondé leur coordination nationale. Ils font connaître leur travail par des actions menées en commun et s’engagent contre la marchandisation de l’éducation. On dénombre actuellement une quarantaine d’écoles solidaires dans tout le pays, dont une dizaine dans la région d’Athènes et du Pirée. Tout comme les dispensaires sociaux, elles font partie du mouvement «Solidarité pour tous» (voir Gauchebdo du 15.10.2015).

Des militants soutenus par les autorités municipales ont aussi pu aménager des lieux d’accueil à l’intention des immigrés, qui leur permettent de se retrouver et aussi de faire connaissance des gens du quartier. Des bénévoles donnent des cours de grec, d’anglais ou de musique, ou aident à améliorer la lecture et l’écriture. Les écoles des migrants sont des structurelles informelles. Il faut les distinguer des écoles de scolarisation de jeunes réfugiés et migrants (voir ci-dessous). Dans les deux cas, il faut cependant relever que l’attitude de solidarité avec laquelle la population a accueilli les réfugiés arrivés en grand nombre est certainement plus importante que l’hostilité de l’extrême droite, dont elle a d’ailleurs réussi à diminuer un peu l’influence.