L’intervention militaire en Libye divise la gauche

débat • En Suisse comme en Europe, la gauche est partagée sur la légitimité des opérations militaires contre Kadhafi. Pour certains, il en va de la survie des insurgés. Pour d'autres, il s'agit du début d'une guerre impérialiste.

En Suisse comme en Europe, la gauche est partagée sur la légitimité des opérations militaires contre
Kadhafi. Pour certains, il en va de la survie des insurgés. Pour d’autres, il s’agit du début d’une guerre impérialiste.

L’intervention militaire en Libye fait débat au sein de la gauche et des forces progressistes. Les uns dénoncent l’hypocrisie de l’Occident et son impérialisme alors que les autres estiment que l’intervention était la seule solution pour protéger les populations civiles.

Dans un communiqué, les Communistes genevois dénoncent « cette politique hypocrite à géométrie variable des puissances occidentales qui consiste à agresser certains pays lorsque d’autres pays alliés du monde arabe sont soutenus et subissent manifestement des tyrannies et où de nombreux manifestants se font régulièrement massacrer ». « Pourquoi la communauté internationale ne discute-t-elle pas de résolutions pour protéger les civils au Bahreïn, en Syrie, en Côte-d’Ivoire et surtout en Palestine ? » questionne le pacifiste genevois Luc Gilly. « Pourquoi en Libye et pas ailleurs ? Manifestement, il y a deux poids, deux mesures. » De son côté, dans nos colonnes, Julien Sansonnens se demande ce qu’il faut « penser d’Obama, le prix Nobel de la paix qui occupe militairement Haïti, refuse de s’engager pour un règlement du conflit en Palestine et a soutenu le putsch militaire contre le président légitime du Honduras ? »

« Si on avait laissé faire, cela aurait été un vrai carnage »

Hypocrisie ou pas, l’intervention serait pour ses défenseurs la seule possibilité de sauver la population de Benghazi. « Il y a des milliers de militaires autour de la ville. Si on avait laissé faire, cela aurait été un vrai carnage », assure Anouar Gharbi, président de Droit pour tous, association dont le siège est à Genève. « Kadhafi utilise tous les moyens à sa disposition pour massacrer la population. En un mois d’affrontement, on dénombre entre 8’000 et 20’000 victimes selon les sources. A l’échelle de l’Egypte, c’est près de 100’000 morts. L’intervention a été appelée par le peuple libyen et la Ligue arabe. Pour une fois, une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU protège la population. »

Pour Luc Gilly, ancien secrétaire du Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA), d’autres solutions étaient possibles que l’option militaire : « La communauté internationale aurait dû négocier fermement avec Kadhafi et son clan. A d’autres occasions, Kadhafi avait lâché des concessions. On a laissé faire et choisit tardivement l’option militaire au lieu de négocier. Personne n’a voulu discuter du plan de paix de Chavez. On ne construit pas la démocratie par la guerre et son lot de cadavres. »

« Notre association a des contacts sur place, qui nous font des rapports tous les jours. Selon les informations qui nous reviennent, il n’y a pas eu de dommages collatéraux consécutifs aux frappes aériennes », assure encore Anouar Gharbi. L’association Droit pour tous organise un rassemblement quotidien devant l’ONU à Genève. « Ceux qui condamnent l’intervention devraient nous expliquer ce qu’ils font concrètement pour le peuple libyen et comment procéder pour protéger la population des massacres de Kadhafi et de ces mercenaires. »

Et pour la suite ? « Nous sommes contre une intervention terrestre. Il faut appliquer la résolution de l’ONU et ne pas aller au-delà. Le peuple libyen fera le reste du travail tout seul », répond Anouar Gharbi. Luc Gilly, lui, est partisan d’un « cessez-le-feu immédiat. C’est avant tout la négociation qui doit primer. » En plus d’un arrêt des combats, Anouar Gharbi avance trois autres conditions : « Le retrait des villes des troupes de Kadhafi, l’ouverture de passages sécurisés pour les secours, ainsi qu’une commission d’enquête internationale ».

Les « assassins impérialistes »

En Europe, l’intervention divise aussi la gauche. En Grèce, le Parti communiste (KKE) a organisé des manifestations contre « les assassins impérialistes » à Athènes et dans plusieurs villes du pays. « Ceux qui attaquent la Libye sont ceux qui ont placé le fardeau de la crise sur le dos des travailleurs, ceux qui exploitent le peuple avec les privatisations, la suppression des conventions collectives, les salaires de misère », écrit le KKE.

Le Parti de la Gauche européenne (PGE), qui rassemble une trentaine d’organisations, « s’oppose totalement à toute intervention militaire en Libye, y compris à l’installation d’une zone d’interdiction aérienne. Des membres de l’insurrection populaire ont plusieurs fois exprimé leur refus d’une intervention étrangère de ce genre, qui pourrait aussi être utilisée par le régime de Kadhafi en sa faveur, car il accuse l’insurrection populaire de la favoriser, ce qui irait à l’encontre de l’intérêt du peuple libyen. »

Membre du PGE, le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon est cependant favorable à l’intervention pour autant qu’elle ne soit pas pilotée par l’OTAN. « Comme beaucoup de ceux qui ont approuvé la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne, je ne soutiendrai pas davantage que par le passé une nouvelle guerre de l’OTAN », explique Jean-Luc Mélenchon dans une déclaration. « Nous attendons seulement qu’elle protège la révolution populaire en Libye. »

« Votre anti-sarkozysme vous aveugle camarades »

Autre membre du PGE, le Parti communiste français (PCF) craint « un engrenage s’inscrivant dans une logique de guerre aux conséquences hasardeuses ». « Votre anti-sarkozysme vous aveugle camarades », répond un internaute sur le site du PCF. « Souvenez-vous de l’Espagne : un peuple entier ne peut parfois rien contre les bombardements. »

Le PCF évite toutefois de condamner formellement l’intervention. Il en est de même du Nouveau parti anticapitaliste (NPA). Le NPA n’oublie pourtant pas « un demi-siècle de soutien des grandes puissances aux dictatures les plus sanglantes. Du Kosovo à l’Afghanistan en passant par l’Irak, la liste est longue des interventions de l’impérialisme qui sous des prétextes humanitaires n’ont fait qu’aggraver les situations locales ». Pour le parti d’Olivier Besancenot, « les grandes puissances veulent saisir l’occasion que leur procure la folie du dictateur pour tenter de reprendre la main dans la région, riche en pétrole, tout en se donnant le beau rôle de défenseur des peuples ».

« Etant donné l’urgence de prévenir le massacre qui aurait inévitablement suivi un assaut de Benghazi par les troupes de Kadhafi et l’absence de tout moyen alternatif permettant de protéger la population, personne ne peut raisonnablement s’y opposer », souligne dans une interview à Znet Gilbert Achcar, le chercheur franco-libanais apprécié de la gauche. « On ne peut pas, au nom de principes anti-impérialistes, s’opposer à une action qui éviterait un massacre de la population civile. »

« Il y a des contradictions à gauche aussi et elles me font mal au ventre », écrit sur Facebook le socialiste genevois Cyril Mizrahi.