Les chansons populaires françaises et le travail

Les chansons populaires, qu’elles soient anonymes ou qu’on en connaisse les auteurs, se définissent par le fait qu’elles traitent de manière directe de la vie et des sentiments des gens ordinaires. On y découvre la philosophie de celles et ceux qui n’écrivent pas d’ouvrages théoriques. Je vais m’attarder un peu sur les chansons consacrées au...

Les chansons populaires, qu’elles soient anonymes ou qu’on en connaisse les auteurs, se définissent par le fait qu’elles traitent de manière directe de la vie et des sentiments des gens ordinaires. On y découvre la philosophie de celles et ceux qui n’écrivent pas d’ouvrages théoriques. Je vais m’attarder un peu sur les chansons consacrées au travail, en ne considérant que celles en relation avec des expériences quotidiennes. Des chants comme Le Chant des Ouvriers ou L’Internationale ont certainement beaucoup de rapport avec le travail, mais ils ne le décrivent pas, ce sont plutôt des chants politiques qui mettent le travail en relation avec certaines conceptions de la transformation de la société.

Il y a me semble-t-il plusieurs types de chansons populaires consacrées au travail : outre celles qui servent à rythmer les activités, certaines chansons célèbrent la fierté par rapport au métier qu’on exerce, d’autres sont des complaintes sur la dureté de la vie des travailleurs, d’autres encore expriment une révolte sans pouvoir la transformer en lutte efficace, une dernière catégorie concerne de vrais chants de lutte, composés par exemple dans le contexte de grèves.

Fréquentes étaient autrefois les chansons de compagnons fiers de leur travail. Ainsi les Maçons de la Creuse célèbrent ceux qui partout construisent pour le bien du pays : « Voyez le Panthéon, / Voyez les Tuileries, / Le Louvre et l’Odéon, / Le Palais de l’Industrie, / De tous ces monuments, / La France est orgueilleuse, / Elle doit ces ornements, / Aux maçons de la Creuse. » (www.youtube.com/watch?v=2J-oQ5HyHd8)

Le Chant des mineurs, originaire de Bourgogne, dit de même : « Mais quand nous somm’s de cinq cents pieds en terre, / Nous ne craignons ni grêle ni tonnerre. / Souvent la pluie / Nous cause de l’ennui. / Tout ça n’fait pas peur / A ces braves mineurs. » De même les scieurs de long du Nivernais chantaient : « Ya pas de gens plus fières… (2x) / Que les scieurs de long (2x) /…/ Le maître les va voire…(2x) / Courage mes garçons ! (2x) / Nous avons de l’ouvrage…(2x) / Jusqu’au jour de Saint Jean (2x). » (www.wat.tv/audio/melusine-scieurs-long-2mtqf_2jy05_.html)

Ces chansons peuvent être franchement joyeuses, quand elles parlent des moments de fête inséparables du travail, comme dans Les Tisserands, une chanson bretonne : « Les tisserands font plus que les évêques (2x) / Tous les lundis, ils en font une fête. / Et le mardi, ils ont mal à la tête (2x) / Le mercredi, ils ne veulent rien faire. »

Mais il y avait des travaux très pénibles, comme celui des forestiers québécois dont la Complainte du coureur de bois traduit avec une force résignée la vie écrasante : « Ici il nous font travailler / Tous les six jours de la semaine / Le jour de l’An pareillement / Ainsi que tous les jours de fête / Qu’il vente, pleuve ou bien qu’il neige / Même s’il fait les quatre temps / La misère est notre salaire / Surtout dans le temps de l’hiver. » (www.youtube.com/watch?v=r2KKiqYD61U&feature=related)

Le célèbre Pauvre laboureur (ici dans une version du Vercors) chante la triste vie des paysans : « Le pauvre laboureur / Grand Dieu, qu’il a de peine ! / Qu’il pleuv’, qu’il vent’, qu’il neige / Fasse les quatre temps, / Vous le voyez sans cesse / Le laboureur aux champs. » (www.cmtra.org/spip.php?article1600)

Et de manière moins résignée, Nous sommes quatre compagnons dit le mécontentement face à la rapacité de certains maîtres : « Il faudrait à ces maîtres-là / Des ouvriers faits à leur guise, / des ouvriers faits à leur guise, / Travaillant le jour la nuit. / Qu’on leur demand’quelques pistoles, / Nous envoient la gendarmerie (2x). » (www.youtube.com/watch?v=dCfkOe6_zsA)

Mais la protestation est parfois d’une robuste âpreté, manifeste la résistance et annonce la révolte, comme dans cette chanson des ouvriers du Nord de la France : « Ali alo pour Maschero. /…/ Il mange la viande et nous donne les os. /…/ A chaque morceau il prend le plus gros. /…/ Il boit le vin et nous donne de l’eau. /…/ Il mange le poisson et nous laisse la peau. /…/ Ali alo. » (www.youtube.com/watch?v=Ze8rfh4zwHA)

Un bel exemple de chant né au cours d’une lutte et fait pour l’animer est la Chanson des mineurs de Trieux, en Meurthe-et-Moselle, composée en 1963 par les mineurs eux-mêmes au cours d’un mouvement d’occupation de leur mine de fer menacée de fermeture, qui dura 79 jours : « C’était hier le meeting des mineurs, / Rassemblement de tous ces braves gens, / Ils sont venus de toute la Lorraine, / Pour protester contre les licenciements (2x les deux derniers vers) / Le défilé d’une ampleur remarquable, / Tous rassemblés devant le monument, / On y brûla les lettres de menace, / Que les patrons nous avaient envoyées (2x les deux derniers vers). » (www.youtube.com/watch?v=yb_vK3ojbVw)

D’autres chansons parlent non du travail et des travailleurs, mais de celles et ceux qui, pour différentes raisons, sont en marge du travail. Tels les chansons d’Aristide Bruant et actuellement le rap des banlieues.

Ainsi la chanson populaire fait connaître la vie, mais aussi les valeurs et les espoirs de la majorité des femmes et des hommes, et ne décrit pas les élites, qui créent la grande culture.


On trouve des textes de chansons sur le travail dans Claude Roy, Trésor de la poésie populaire française, éd. Plon 1999.