Le sexisme des jeux vidéo

La chronique féministe • Le journal solidaritéS du 16 mai nous apprend de drôles de choses sur les jeux vidéo, qui constituent les biens culturels les plus vendus en France. D’abord que 47% des personnes qui en jouent sont des femmes, ce que j’ignorais, persuadée qu’ils étaient surtout destinés aux garçons et aux hommes. Ensuite, que les personnages féminins...

Le journal solidaritéS du 16 mai nous apprend de drôles de choses sur les jeux vidéo, qui constituent
les biens culturels les plus vendus en France. D’abord que 47% des personnes qui en jouent
sont des femmes, ce que j’ignorais, persuadée qu’ils étaient surtout destinés aux garçons et aux
hommes. Ensuite, que les personnages féminins sont passifs, genre jeune-fille-en-détresse-attendant-le héros-qui-la-délivrera. Cela me rappelle les contes de fées (Cendrillon, Blanche-
Neige
, La Belle au Bois dormant, etc.), les histoires de mon enfance comme les romans de Jules
Verne, Robin des bois, Les trois mousquetaires, où les aventures sont vécues par des hommes, tandis
que les femmes attendent que ça se passe, quand elles ne sont pas simplement absentes. Je
ne m’identifiais pas à ces femmes inactives, mais à Robin ou à d’Artagnan. Dans les Tintin, dont
j’ai lu toutes les aventures au fur et à mesure, il n’y a pas de femme, si ce n’est la Castafiore, que
Hergé rend systématiquement ridicule. Les BD en général, à l’exception des Yoko Tsuno de Roger
Leloup, n’accordent guère de place aux femmes.

Hachette, dans sa collection « La Bibliothèque verte », publie dès 1955 de nombreuses séries
anglo-saxonnes, dont Alice détective de l’Américaine Caroline Quine. Enfin une héroïne qui tient
le premier rôle ! C’est aussi le cas de la série Le Club des Cinq (deux filles, deux garçons et un chien)
de l’Anglais Enid Blyton. Claudine, qui veut qu’on l’appelle Claude, est bien la cheffe de la bande,
mais on ne cesse d’insister sur son côté « garçon manqué » ; quant à Annie, la cadette des trois
Gauthier, elle est froussarde, douce, timide, et aime être la ménagère et la cuisinière du groupe.
« L’éternel féminin » est sauf ! Aujourd’hui encore, les livres pour enfants sont largement sexistes,
comme les manuels scolaires, sujet sur lequel je reviendrai à l’occasion.

Pouvait-on attendre que les jeux vidéo échappent au sexisme ambiant ? Naturellement non. Les
femmes sont traitées comme des objets, jamais comme des sujets. Elles sont outrageusement
« sexy » : seins débordants, décolletés plongeants, hyper-court vêtues, attitudes provocantes, et
tout le toutim. Le sommet de l’infamie a été atteint par l’entreprise EA qui, à la sortie du jeu
« Dante’s Inferno », a organisé un concours particulièrement raffiné destiné aux seuls hommes :
« commettez le péché de luxure en vous photographiant avec des booth babes ». La meilleure
photo gagnait… une nuit de péché avec DEUX filles sexy ! Cela porte à la nausée. EA a dû s’excuser
peu après son idée géniale. Mais cela en dit long sur l’esprit qui sous-tend la conception
des jeux vidéo. Malgré le fait que près de la moitié des joueurs sont des joueuses, on propose un
« girlfriend mode » pour la petite amie du mec, qui, évidemment, ne peut être que nulle. Ou bien
on dirige les filles vers des jeux « féminins » qui concernent par exemple l’organisation du quotidien
ou vers des jeux infantiles comme « Les petits lapins trop choux » ! Bref, les filles ne sont pas
prises au sérieux. On se croirait au 19e siècle, avant que le droit de vote n’ait été accordé aux
femmes, quand elles étaient de fait considérées comme des mineures et dont l’unique destin
accepté et acceptable était le mariage, le ménage et les enfants. On se demande comment les
concepteurs des jeux vidéo peuvent avoir à ce point gommé Mai 68 et la révolution féministe.

La contestation vient essentiellement des initié-e-s. Récemment, plusieurs analyses critiques
ont vu le jour, comme sur les blogs feministfrequency.com ou Genre ! (cafaitgenre.org). Ils dénoncent
le sexisme des jeux proposés, la représentation de la féminité (et de la virilité d’ailleurs) codifiée
et exacerbée, les archétypes de genre : la bimbo aux fesses et aux seins démesurés et le guerrier
aux muscles hypertrophiés. Un coup d’oeil sur les personnages permet de constater que les
héros sont entourés de femmes déshabillées, dans des positions lascives. La violence est l’ingrédient
qui saupoudre de piment les scènes chaudes. Ces femmes objets, perpétuellement à disposition
de la libido masculine (comme dans un grand nombre de publicités), sont des incitations
au viol et doivent perdurer dans le cerveau des hommes, une fois le jeu terminé, quand ils
se retrouvent dans « la vraie vie ». Pour s’en convaincre, il suffit de lire les réactions haineuses dans
les blogs critiques, les commentaires misogynes, insultants, violents, jusqu’à la menace de viol.
Pas étonnant qu’une femme sur cinq subisse la violence physique et/ou sexuelle de son conjoint
au cours de sa vie.

Décidément, l’égalité entre les sexes n’est toujours pas réalisée dans les faits. Il y a encore du boulot
sur la planche !