Une fête grandiose de simplicité au festival de Lucerne

MUSIQUE • Le festival, qui continue jusqu'au 15 septembre, a fêté son 75ème anniversaire par une série de concerts gratuits pour tous.

Le festival, qui continue jusqu’au 15 septembre, a fêté son 75ème anniversaire par une série de concerts gratuits pour tous.

Lucerne célébrait les 75 ans de son
festival le 25 août, date à laquelle
Toscanini, en 1938, fuyant le
nazisme de Salzbourg et de Bayreuth,
dirigea un concert qui fit événement.
Par chance, en 2013, c’était un
dimanche. Ce fut donc fête à Lucerne,
une fête dont la valeur n’avait pas de
prix…puisque tout était gratuit : visite
portes ouvertes au KKL, le Palais de la
culture et des congrès, conçu par l’architecte
Jean Nouvel, avec sa terrasse à la
vue légendaire sous l’immense toit qui
surplombe le lac, entrée au musée,
concerts dans la grande salle et dans la
Luzerner Saal, un peu plus petite, des
films, des animations pour les enfants à
qui l’on proposait le Tierkreis de Stockhausen
et des pièces pour quatre cors
par des musiciens du Berliner Philharmoniker,
gratuits aussi les concerts en
plein air sur une scène dressée devant le
KKL, avec des gosses émerveillés assis
par terre, des badauds surpris et ébahis
se mêlant à ceux qui avaient programmé
à l’avance ce qu’ils voulaient
entendre. C’est du reste là que commença
la journée ; après les discours
officiels, les cuivres du Lucerne Festival
Orchestra avec le célèbre trompettiste
Reinhold Friedrich en soliste jouaient
Gershwin. Le ton, et surtout le niveau
d’excellence, étaient donnés : pas de
concerts à rabais, mais de la musique
jouée par l’élite internationale qui fait la
réputation du Lucerne Festival.

Des billets offerts à tous

Les billets offerts étaient à retirer dès 9h
à un guichet installé devant le KKL.
Avant 8h, il y avait déjà file et elle s’allongea
le long du quai, sur le pont et jusqu’à
hauteur du Schweizerhof. Pas de
bousculade pourtant, et pas plus de
monde à chaque concert que les salles
ne pouvaient en contenir ; l’organisation
était parfaite. Dès lors il régnait une
ambiance de convivialité et de bonheur
partagés. Quelque 11’500 billets furent
distribués à plus de 7’500 personnes,
sans compter la foule pour l’Open Air
sur l’Europaplatz. Quant aux « partenaires
» de ce jubilé, ils furent si discrets
qu’il fallait lire attentivement le programme,
gratuit lui aussi, pour découvrir
leurs noms !

Une écoute exceptionnelle

L’écoute était à la hauteur des interprétations.
La 5e symphonie de Beethoven
par le Mahler Chamber Orchestra,
noyau du nouvel Orchestre du festival
créé il y a dix ans par Abbado, était
dirigée avec une fougue, une intelligence
et une musicalité remarquables
par le jeune Pablo Heras-Casado, au
demeurant un ancien étudiant de la
Festival Academy fondée par Pierre
Boulez, il y a dix ans aussi ; ce fut un
des moments forts du Festival, et pas
seulement de cette journée anniversaire.
Dans la salle, pas un toussotement,
pas un murmure d’enfants,
pourtant venus nombreux avec leurs
parents et grands-parents, ni pendant,
ni entre les mouvements, et un instant
de silence pour que résonne le dernier
accord avant une ovation enthousiaste,
des bravos, des gens debout, mais pas
d’applaudissements rythmés. Classe, le
public ! Classe et curieux, puisque la
Luzerner Saal affichait aussi complet
pour entendre, par les musiciens de la
Festival Academy, The Desert Music de
Steve Reich, une oeuvre « minimaliste »
fascinante et irritante dans sa lancinante
répétition d’une même formule.
Il y eut aussi la Turangalîla-sinfonie de
Messiaen, et puis des trios, quatuors, et
autres pièces de musique de chambre
par les instrumentistes du Wiener
Philharmoniker ou du Concertgebouw.
Bref de grands artistes, pour de
la grande musique, celle d’hier et celle
d’aujourd’hui.

Un bémol

Un bémol cependant : nulle part, on
ne fit mention d’Ernest Ansermet.
Or c’est lui qui eut l’idée des concerts
d’été à Lucerne, pour remédier au
chômage de ses musiciens qui
n’avaient que des contrats de six
mois, lui qui les a inaugurés en 1937
déjà. Sans le chef vaudois et les
Romands de l’OSR et de l’OCL qui
formèrent ensuite l’essentiel du premier
orchestre de ce qu’on appelait
alors les Semaines Internationales de
Musique, Lucerne n’aurait peut-être
jamais eu de Festival ! On aurait pu
rendre à Ansermet ce qui est à
Ansermet !

Le festival, quant à lui, continue
jusqu’au 15 septembre et se terminera
par un concert des Wiener
Philharmoniker sous la direction de
Lorin Maazel avec l’artiste étoile de
cette année, le batteur-percussioniste
Martin Grubinger, dans un concerto
de Cerha, suivi de la 5e symphonie
de Chostakovitch.