Au nom de la vie… des femmes

La chronique féministe • Il aura fallu des décennies pour que l’interruption volontaire de grossesse (IVG) soit légalisée dans la majorité des pays occidentaux, dont la Suisse lors de la votation populaire de 2002, acceptée à 72%. Si l’on regarde la carte des pays qui l’ont légalisée, on constate qu’il s’agit de l’hémisphère Nord plus l’Inde, la Chine et...

Il aura fallu des décennies pour que l’interruption volontaire de grossesse (IVG) soit légalisée dans la majorité des pays occidentaux, dont la Suisse lors de la votation populaire de 2002, acceptée à 72%. Si l’on regarde la carte des pays qui l’ont légalisée, on constate qu’il s’agit de l’hémisphère Nord plus l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Les autres pays l’autorisent en cas de viol, de malformation, de maladie mentale. La Grande-Bretagne, la Finlande, l’Islande, le Japon, la Corée du Sud et la Zambie l’autorisent si la santé de la mère est en danger. C’est la loi qui existait en Suisse avant 2002 et qui permettait, en interprétant la santé de la mère selon la définition de l’OMS, d’obtenir des avortements par des médecins, dans de bonnes conditions. Mais sur la carte du droit à l’avortement, il y a des pays qui figurent en rouge, où l’IVG est illégale sans aucune exception : le Liechtenstein, Malte, le Chili et le Nicaragua.

En France, l’avortement a longtemps été pénalisé, et passible des travaux forcés à perpétuité, voire de la peine de mort. Marie-Louise Giraud, « la faiseuse d’anges » pendant la guerre, a ainsi été guillotinée le 30 juillet 1943. En 1972, le procès de Bobigny, qui vise une jeune fille enceinte à la suite d’un viol, défendue par Gisèle Halimi, a un grand retentissement médiatique. La dépénalisation de l’avortement fut décrétée en 1975, lorsque Simone Veil était ministre de la Santé du gouvernement Chirac, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Rappelons qu’elle fut copieusement huée pendant son discours à l’Assemblée Nationale.

Mais les religions en général et leurs représentants, ainsi qu’un grand nombre de réactionnaires, ne supportent pas que les femmes puissent disposer de leur corps. Au nom de la vie, prétendument « sacrée », ils veulent les obliger à considérer l’embryon, qui mesure, à la 6e semaine, 1,2 cm et pèse 1,5 g, comme plus important qu’elles-mêmes, leur santé, leur équilibre et leur avenir. Lors de la 12e semaine, incluse dans la « solution des délais », le fœtus ne mesure que 10 cm et ne pèse que 45 g. Sa survie hors du corps de la femme est impossible. Ce qui est insupportable, dans cette vision de la vie, c’est que des groupes de personnes veulent imposer au monde entier leur façon de penser.

Aux USA, des groupes de réactionnaires fanatiques vont jusqu’à dresser des listes des médecins pratiquant l’avortement, organisent des commandos contre eux, des actes d’intimidation, de violence, des attentats à la bombe, et même des meurtres. Huit médecins et employés de cliniques ont ainsi été tués : sept entre 1993 et 1998 et le Dr George Tiller en 2009. Nous touchons au comble de l’absurde : ces groupements « pro-life » tuent au nom de la vie ! Signalons que parmi ces groupes, certains sont en faveur de la peine de mort…

Tous les pays connaissent des associations appelées « pro-vie », « laissez-les vivre », « oui à la vie » et autres qui, telles la mouche du coche, ne cessent de harceler l’opinion publique, les médecins, les législateurs pour faire passer leurs idées rétrogrades. En Espagne, le Parti Populaire a concocté un avant-projet qui est un retour en 1985. D’autres pays veulent restreindre les raisons d’avorter : Russie, Pologne, USA, Roumanie, Turquie ; inscrire un droit du fœtus : Hongrie, Mexique, USA ; limiter les centres pratiquant l’IVG : France, Hongrie, USA, Italie, Portugal.

En Suisse, la dernière trouvaille des milieux extrémistes est de supprimer le remboursement de l’IVG par la LaMal. Le coût des avortements est naturellement un prétexte, puisqu’il ne représente que 0,03% des dépenses de la santé, soit 20 centimes par assuré-e et par an. Leur but est d’interdire l’avortement. Pourtant, aucune interdiction, n’a jamais empêché les femmes déterminées à avorter. En outre, depuis la légalisation de l’IVG en 2002, le nombre d’avortements en Suisse est resté stable : 6,7 pour 1’000 femmes de 15 à 44 ans (chiffres de l’OFS), ce qui représente le taux le plus bas d’Europe occidentale.

Si l’initiative passait, cela aurait pour conséquence de pénaliser les femmes les plus défavorisées qui, faute de pouvoir payer une IVG à l’hôpital, seraient poussées à mettre leur vie en danger. Ce serait le retour des aiguilles à tricoter. De plus, cela représenterait une rupture de solidarité, or la LaMal repose sur la solidarité. Le « Journal de l’Initiative », que nous avons reçu récemment dans nos boîtes aux lettres (ces milieux ont de l’argent !), montre une mère ravie, serrant son bébé contre elle. « Je ne veux tout de même pas cofinancer des avortements ! », dit-elle. On ne peut pas déterminer individuellement ce que l’assurance devrait couvrir. Les conséquences du tabac, de l’alcool, de la drogue et j’en passe, pourraient aussi faire l’objet de restrictions individuelles…

En ce qui concerne le prétendu « droit à la vie » que prônent les milieux extrémistes, soulignons que pour le droit moderne, le nouveau-né n’acquiert sa personnalité juridique qu’à la naissance. Avant sa naissance, il n’est donc pas une personne. La situation de détresse d’une femme est considérée comme un mal objectif, plus grave que la fin de la grossesse ; la société ne doit donc pas sanctionner l’acte qui y met fin. La notion de « droit à l’avortement » va plus loin : elle revient à considérer que l’embryon n’a pas à bénéficier d’une protection particulière, parce que la femme enceinte doit pouvoir choisir en toute liberté de conduire ou non à terme sa grossesse, sans avoir à justifier de ses raisons. Pouvoir disposer de son corps était d’ailleurs une des revendications de Mai 68.

A Genève, le comité alg (pour avortement libre et gratuit) se réunit à nouveau depuis 2012 et s’active depuis fin 2013. Vous verrez des affiches flashy et rencontrerez des femmes en rouge distribuer des dépliants couleur fuchsia et les portrait de trois femmes avec la mention « L’avortement doit rester une question de choix, pas devenir une question de moyens. Votez NON le 9 février ! », ainsi que les portraits en autocollants. La mobilisation a lieu dans toutes les villes de Suisse, portée notamment par la Marche Mondiale des Femmes. Faites-leur bon accueil !

Participez aux manifs de samedi 18 janvier à Genève et Lausanne. Et n’oubliez pas d’aller voter le 9 février !

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Dessin Stéphane Montavon