Le chant collectif de Pete Seeger

La chronique de Jean-Marie Meilland • La mort de Pete Seeger, le grand maître du folk américain, au mois de janvier dernier, constitue une grande perte pour la musique comme pour le mouvement progressiste. En plus de 70 ans de carrière, Pete Seeger a constamment lié chanson et lutte, certain que la musique était un des moyens les plus efficaces de...

La mort de Pete Seeger, le grand maître du folk américain, au mois de janvier dernier, constitue une grande perte pour la musique comme pour le mouvement progressiste. En plus de 70 ans de carrière, Pete Seeger a constamment lié chanson et lutte, certain que la musique était un des moyens les plus efficaces de transformation du monde. Je ne vais pas revenir sur sa biographie, bien résumée dans un article de Gauchebdo du 1er février 2014. Par contre, un bref voyage à travers des extraits de chansons me permettra de lui rendre hommage.

On peut diviser la carrière de Pete Seeger, né en 1919, en trois périodes. Au début des années 1940, il appartient au groupe des Almanac Singers, puis de la fin des années 1940 à la fin des années 1950, il est membre des Weavers. Et dès la fin des années 1950, il entame une carrière de soliste. La musique de Pete Seeger est comme un ensemble d’éléments d’un grand chant collectif appartenant à l’humanité tout entière. Auteur-compositeur, il puise aussi abondamment dans les patrimoines américain et étrangers (Guantanamera, de Cuba), interprète d’autres auteurs (Little Boxes de Malvina Reynolds) et compose en collaboration. De plus, il faisait chanter le public avec lui, et l’auditoire, entraîné dans une ambiance fervente, participait à une création commune.

Pete Seeger aura abordé quasiment tous les thèmes des luttes progressistes. Avec les Almanac Singers, il interprète le répertoire syndicaliste américain. Dans The Death of Harry Simms, il raconte la mort d’un jeune militant assassiné quand il voulait organiser les mineurs : « Harry Simms marchait le long des rails / Par ce beau jour ensoleillé. /…/ Il ne savait pas que les hommes de main / Etaient cachés sur les côtés / Pour tuer notre jeune héros /…/ Harry Simms fut tué à Brush Creek / En mille neuf cent trente-deux ; /…/ Il donna sa vie en luttant /…/ Il est mort pour moi et pour vous. » Dans Talking Union, il parle de l’organisation d’un point de vue pratique : « Bon, si vous voulez un meilleur salaire,… / Vous devez parler aux autres travailleurs de votre boîte / Vous devez créer un syndicat, et le faire puissant / Mais si vous vous serrez les coudes, les gars, ce ne sera pas long / Vous obtiendrez des horaires plus courts, de meilleures conditions de travail, / Des congés payés. Et vous amènerez vos enfants sur la côte. »

Le thème de la paix est aussi central. Avant la rupture du pacte germano-soviétique, Pete Seeger et les Almanac Singers refusent toute guerre en montrant l’absurdité de la mort des jeunes sur les champs de bataille (The Strange Death of John Doe) : « Je vais vous chanter une chanson elle ne sera pas longue, / Elle est sur un jeune homme qui n’a rien fait de mal. / Soudain il est mort un jour /…/ Et ses yeux étaient fermés et son cœur était froid. / Il n’y a qu’un indice pour comprendre sa mort : / Une baïonnette à son côté. » Par la suite, le groupe s’engagera dans la lutte contre le fascisme (Dear Mr. President) : « Monsieur le Président, nous n’avons pas toujours été d’accord dans le passé, je sais, / Mais ça n’a aucune importance maintenant / Ce qui importe c’est ce que nous avons à faire / Nous devons battre Monsieur Hitler et jusque-là / Toutes les autres tâches peuvent attendre /…/ en premier lieu nous devons faire la peau à un putois. » Mais face à d’autres guerres, Pete Seeger défendra de nouveau la cause de la paix. Dans le magnifique Where Have All the Flowers Gone ?, Seeger s’inspire d’un passage du Don paisible, roman soviétique de Mikhaïl Cholokhov : « Où sont passées toutes les fleurs, cela fait longtemps ? /…/ Les filles les ont toutes cueillies. /…/ Où sont allées toutes les filles, cela fait longtemps ? /…/ Elles ont toutes pris un mari. /…/ Où sont allés tous les jeunes hommes, cela fait longtemps ? /…/ Ils sont tous en uniforme…. » Quant au puissant Waist Deep in the Big Muddy, il montre un résultat tragique d’aveuglement militaire : « On avait d’la flotte jusqu’aux g’noux / Et le vieux con a dit d’avancer /…/ Dans la nuit, soudain, un cri jaillit / Suivi d’un sinistre glou-glou / Et la casquette du capitaine / Flottait à côté de nous /…/ Le lendemain, on a trouvé son corps / Enfoncé dans les sables mouvants /…/ On a eu d’la chance de s’en tirer / Quand le vieux con a dit d’avancer. »

Pete Seeger, victime du maccarthysme, a également défendu la liberté d’expression. Ecoutons Wasn’t That a Time : « Et cette fois encore, les gens insensés arrivent / Et empêcheront notre victoire / Aucune victoire n’est possible dans un pays / Où des hommes libres vont en prison. »

Un autre combat de Seeger fut la lutte pour les droits civiques, exprimée dans le célèbre et vibrant We Shall Overcome, tiré d’un hymne religieux : « Nous l’emporterons / Nous l’emporterons / Nous l’emporterons, un jour. / Tout au fond de mon cœur / J’en suis certain / Nous l’emporterons, un jour. »

La fin du XXème siècle et la crise environnementale, ne pouvaient que susciter l’engagement du grand chanteur contre la pollution et la société de croissance. Ainsi dans Garbage, on trouve ces paroles : « Dans l’usine de Monsieur Thompson / Ils fabriquent des sapins de Noël en plastique /…/ Le plastique est mélangé dans des cuves géantes /…/ Et si vous posez la moindre question, ils disent / « Quoi, vous ne voyez pas que c’est absolument nécessaire pour l’économie » / Les ordures les ordures / Leurs stocks et leurs dépôts, que des ordures. » Et Arrange and Rearrange offre un beau plaidoyer décroissant : « Peut-être que le plus grand changement va venir / Quand nous ne devrons pas changer trop / Quand les enragés crient qu’il faut croître, croître, croître / Nous pouvons choisir d’être petits / Le mot-clé pourrait être petit…. »

Pete Seeger, enfin, c’est le porte-voix de toutes les luttes pour un monde plus heureux, quels que soient les difficultés et les échecs momentanés. Ecrite pour soutenir les dirigeants du PC américain alors en procès, If I Had a Hammer est bien un hymne universel de résistance et d’espoir : « Alors j’ai un marteau / J’ai une cloche / Et j’ai une chanson à chanter / Partout dans ce pays / C’est le marteau de la justice / C’est la cloche de la liberté / C’est la chanson sur l’amour entre mes frères et mes sœurs / Partout dans ce pays. »

Pete Seeger, décidément, était une conscience généreuse et toujours agissante, inscrite dans le plus bel héritage moral de l’Amérique, présente sur tous les fronts (de gauche) pour la liberté et la justice. Qu’il nous encourage encore longtemps !


La traduction de Waist Deep in the Big Muddy est de Graeme Allwright, les paroles de The Death of Harry Simms, The Strange Death of John Doe, Where Have All the Flowers Gone ?, We Shall Overcome et If I Had a Hammer ont été traduites par mes soins, pour les autres chansons : Etienne Bours, Pete Seeger. Un siècle de chansons, Ed. Le Bord de L’eau, 2010.

Toutes les chansons citées peuvent être écoutées sur YouTube. Un magnifique recueil de chansons de Pete Seeger est le CD If I Had a Hammer, Songs of Hope & Struggle, Smithsonian Folkways, SF CD 40096, 1998 ; on peut l’écouter sur You Tube : youtu.be/qXBbIZlokB4