Démotiver à trouver un emploi: mode d’emploi

Genève • L 'un après l'autre, les droits des plus démunis sont réduits à peau de chagrin, à l'image de la suppression définitive du revenu minimum cantonal d'aide sociale (RMCAS) au 31 janvier. Une politique qui va à l'encontre des objectifs proclamés, selon les milieux associatifs.

Le 27 novembre 2011, les Genevois-e-s acceptaient en votation populaire la nouvelle loi sur l’insertion et l’aide sociale individuelle (LIASI), ceci malgré le référendum lancé par les partis de gauche, les syndicats et les associations de chômeurs et de professionnels de l’action sociale. Entrée en vigueur au 1er février 2012, cette loi sonnait le glas, avec une période transitoire de 36 mois, du RMCAS (revenu minimum cantonal d’aide sociale), un régime cantonal spécial crée en 1995 face au phénomène du chômage structurel et qui permettait aux chômeurs en fin de droit de ne pas émarger à l’aide sociale.

Au 31 janvier 2015, les quelques 1’700 Genevois-e-s bénéficiant encore du RMCAS en vertu du régime transitoire passeront à l’aide sociale, portant à un peu plus de 20’000 le nombre de personnes tributaires de cette dernière dans le canton, chiffre en augmentation dans les 10 dernières années selon les rapports d’activité de l’Hospice Général. Pour le Conseil d’Etat, le RMCAS n’atteignait pas ses buts, notamment du fait que certaines personnes y demeuraient de nombreuses années, sans parvenir à se réinsérer sur le marché du travail. Il a donc été remplacé par la LIASI, une version modifiée de l’ancienne loi sur l’aide sociale, prévoyant un dispositif présenté comme «plus efficace», avec notamment l’investissement de «20 millions dans des mesures de réinsertion».

Des arguments qui n’ont jamais convaincu Gérald Crettenand, président de l’Association de défense des chômeurs et actif dans le comité référendaire de l’époque: «On a prétexté un faible taux d’insertion pour attaquer le RMCAS, mais ce dont on a beaucoup moins parlé, c’est de la question financière: le but réel était de faire des économies!», affirme le militant, qui remet en question l’efficacité des mesures d’insertion prévues par la LIASI. «On a fait miroiter l’accès à des mesures d’insertion, mais en fait c’est une péjoration de la situation», estime-t-il. Selon les organisations de terrain, l’Hospice Général n’aurait du reste utilisé, en 2013, qu’à peine un peu plus du tiers de l’argent à sa disposition pour l’insertion.

Pour une personne seule, la perte peut s’élever à 400 francs mensuels voire plus
Avec la LIASI, les prestations attribuées aux personnes les plus précaires sont en effet nettement revues à la baisse. Au RMCAS, une personne seule bénéficiait d’un forfait mensuel de base de 1377.-, son assurance maladie étant prise en charge, ainsi que son loyer jusqu’à hauteur de 1300.-. A l’aide sociale en revanche, le forfait mensuel de base pour une personne seule n’est que de 977.- (avec la possibilité d’obtenir 150.- supplémentaires «au mérite», soit à condition d’effectuer des «efforts d’insertion suffisants»), l’assurance-maladie étant prise en charge, ainsi que le loyer jusqu’à hauteur de 1100.- seulement, montant souvent insuffisant en ville de Genève. Pour une personne seule, la perte peut ainsi s’élever à 400 francs mensuels voire plus, et atteint des montants de 700 à 900 francs pour une famille de 3 ou 4 personnes, selon des chiffres fournis par l’Association de défense de chômeurs. Les montants de fortune autorisés sont en outre également revus à la baisse sous le régime LIASI.

« si tout ce qu’on gagne est déduit, ça ne pousse pas à travailler, c’est clair! »
Les pertes financières ne s’arrêtent cependant pas là pour les personnes concernées. Si au RMCAS, ils pouvaient conserver jusqu’à hauteur de 500.- les revenus provenant d’une activité lucrative exercée à moins de 50%, ils ne pourront plus garder ces revenus en étant à l’aide sociale, ou seulement de 300 à 500.-, ceci à condition de travailler de 50 à 100%. «C’est le pire élément de cette réforme: cela décourage les gens à accepter des petits boulots, soit n’encourage pas du tout au travail, ce qui est totalement contraire au but de la loi!» s’insurge Gérald Crettenand. «On pénalise les gens qui ont fait un effort pour être actifs au moins à temps partiel en les poussant à ne pas travailler du tout ou à travailler au noir», poursuit-il.

Un constat corroboré par Pierre*, 54 ans, bénéficiaire du RMCAS, qui travaille quelques heures par semaine en tant qu’enseignant, activité qui lui permet de gagner un montant avoisinant les 500.- par mois. «Si tout ce qu’on gagne est déduit, cela ne te pousse pas à travailler, cela motive moins, c’est clair», déclare-t-il. Si son loyer est relativement bas, ce qui ne
le contraindra pas, contrairement à d’autres personnes dans sa situation, à devoir puiser dans son minimum vital pour le couvrir, il estime qu’il pourrait perdre jusqu’à 700 francs par mois sur son budget mensuel avec le nouveau système.

Pour Julien*, 55 ans, qui travaille ponctuellement comme indépendant par petits contrats pour des montants variables, atteignant parfois les 700 francs, la situation est la même: «Je compte sur des petits mandats comme ça pour vivre, je ne sais pas trop comment je vais faire», explique-t-il en avouant n’avoir pas encore bien compris quelle sera sa situation exacte à l’avenir et n’y avoir pas trop pensé pour «ne pas trop angoisser». «J’ai plein de projets», ajoute-t-il, «comme renouveler mon matériel pour pouvoir continuer à exercer mon activité de façon plus rentable, mais sans ces revenus, cela pourrait être difficile.»

Ironie de l’histoire: lors des débats parlementaires sur la LIASI en février 2011, deux amendements visant à maintenir dans la loi la franchise de revenu ainsi que le montant du loyer pris en charge par le RMCAS (respectivement 500.- et 1’300.-) avaient été adoptés par le plénum, mais n’ont jamais été intégrés au règlement d’application de la loi ni mis en pratique.

Une stratégie de démantèlement

Loin de constituer une mesure isolée, la fin du RMCAS s’inscrit dans le cadre d’une attaque plus générale
contre les prestations sociales, comme le rappelle du reste Gérald Crettenand: «des partis comme l’UDC pratiquent une tactique qui consiste à s’attaquer aux acquis sociaux au niveau fédéral. Il y a ensuite un report de charges sur les cantons, qui se trouvent en difficultés, doivent trouver des solutions et font participer tout le monde à l’effort d’économie, indépendamment de la situation individuelle de chacun-e. Il y a également un nivellement par le bas, sous prétexte d’égalité de traitement entre les cantons. Cela fait partie d’une stratégie de démantèlement de tout le système social», dénonce le militant.

En octobre 2014, dans un Manifeste contre la pauvreté, le collectif genevois contre la baisse des prestations sociales, réunissant la gauche et des associations actives dans le domaine social, rappelait ainsi que jusqu’à la fin des années 1980 les montants de l’aide sociale étaient identiques «pour les Genevois, les confédérés, les étrangers résidents et les requérants d’asile» et indexés tous les deux ans. Progressivement, les prestations des requérants d’asile et des jeunes ont été réduites, l’indexation supprimée, le RMCAS créé puis aboli, puis le minimum vital entamé pour être restitué sous forme de «supplément d’intégration», ce même supplément d’intégration qui a ensuite été réduit de moitié par voie de règlement l’été dernier, suscitant une forte mobilisation de protestation.

Lutter contre la pauvreté et pas contre les pauvres

Du côté alémanique, les attaques contre le minimum vital se font du reste de plus en plus directes, avec la proposition de l’UDC de réduire à 600.- le forfait de base de l’aide sociale. «En lieu et place d’une lutte contre les personnes touchées par la pauvreté caractérisée par une diminution de leurs droits, il est nécessaire de s’unir pour lutter efficacement contre la pauvreté en considérant les dépenses sociales comme un investissement pour maintenir la dignité des personnes en difficulté et préparer leur réinsertion. Il s’agit également d’envisager une approche qui vise à réduire l’augmentation du recours à l’aide sociale par l’action sur les causes de précarisation des conditions d’existence d’un nombre croissant de personnes et de familles», conclut le manifeste. Un appel qu’il semble plus que jamais urgent d’entendre.

* Noms connus de la rédaction

Les personnes âgées aussi touchées: deux référendums de l’AVIVO à signer

Parmi les personnes précarisées visées par les attaques systématiques du filet social figurent également les personnes âgées. Une situation qualifiée de scandaleuse par l’AVIVO, qui a décidé de ne pas demeurer les bras croisés. Peu après le vote du budget 2015 de l’Etat de Genève, l’organisation annonçait ainsi le lancement de deux référendums contre les restrictions budgétaires qui touchent directement les personnes âgées: soit la réduction des subsides maladie, ainsi que la prise en compte de 10% du subside maladie dans le calcul du revenu déterminant donnant droit aux prestations complémentaires cantonales. Selon l’AVIVO, cette dernière modification pourrait faire perdre à de nombreuses personnes une partie de leurs prestations complémentaires, voire l’entier de celles-ci, les contraignant à vivre dans une grande précarité. Les deux mesures permettront à l’Etat d’économiser 8,6 millions de francs. L’organisation doit récolter 7295 signatures d’ici au 12 février.