Le centenaire du «peintre de Lavaux»

Peinture • Les 100 ans de Walter Mafli donnent lieu à de nombreuses manifestations autour de l’œuvre de l’artiste

A côté de ses tableaux figuratifs populaires, l’artiste a aussi toujours pratiqué l’abstraction pure avec une dominante de carrés et de rectangles et une mise en valeur par une grande richesse de coloris. waltermafli.ch

A l’instar de Hans Erni, qui nous a quittés à l’âge de 106 ans, Walter Mafli jouit d’une grande popularité dans le public. Cet engouement est dû en partie à son extraordinaire dynamisme, à son caractère ouvert et sympathique, mais surtout bien sûr à une œuvre picturale à la fois originale et accessible.
La vie de Mafli commence pourtant comme un roman de Dickens ou de Zola. Il naît le 10 mai 1915 à Rebstein, dans le canton de Saint-Gall, d’une mère sourde et muette mise enceinte par un petit notable local, qui naturellement l’abandonne. De 1921 à 1931, le jeune Walter connaît une enfance très dure en orphelinat: des violences physiques et morales qui le révoltent, l’amènent pendant un temps à un mutisme total et auraient pu faire de lui un «gibier de potence». Sans jamais oublier ces années noires, il les surmontera cependant, dans un processus de résilience mis en valeur par ses biographes. Remarqué pour son intelligence et ses dons en dessin, il réussit à suivre l’école secondaire. Entre 1931 et 1933, il fait un apprentissage de poêlier-fumiste (un métier qui était déjà en voie de disparition) puis de carreleur à Zurich. Sa peinture en gardera la trace. Il dira de lui: «Je suis un homme du bâtiment, un ouvrier, un manuel». Il gardera toujours ce goût du travail bien fait. Ce souci d’être un bon artisan le liera d’amitié avec trois célèbres cuisiniers, Freddy Girardet, Philippe Rochat et Roland Pierroz récemment disparu. On remarquera aussi le goût des carreaux qui imprégnera ses toiles abstraites. Ainsi que cette manière bien à lui de fendiller ses toiles, de les travailler à la spatule ou au couteau, évoquant le crépissage du plâtrier-peintre.
Sans travail, il part à vélo pour la Suisse romande. Il s’établit en 1934 à Neuchâtel, où il bénéficie des cours de peinture d’Egidio Adelfo Galli. Il côtoie aussi des artistes neuchâtelois reconnus, comme L’Eplattenier, Max Theynet et les frères Barraud, cette fameuse fratrie de peintres chaux-de-fonniers communistes, adeptes de la Nouvelle Objectivité, une manière froide et distanciée de voir les êtres et les choses. Pendant la Mobilisation de 1939-45, il effectue 632 jours de service dans une compagnie de cyclistes. Walter Mafli restera un amateur passionné de la «petite reine», parcourant 6’000 km par an, jusqu’à un âge avancé, et participant même à des compétitions professionnelles. La pratique du vélo a d’une certaine manière influencé son regard de peintre, l’amenant à ne retenir que l’essentiel des paysages et des architectures, en évitant le superflu, les détails, le pittoresque, dans une démarche qu’on pourrait qualifier de semi-abstraction.

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Le «peintre de Lavaux»
En 1944, Mafli s’établit à La Conversion. Il restera fidèle à cette commune vaudoise de Lutry, qui lui conférera en 2008 la bourgeoisie d’honneur. A Lausanne, toute proche, il suit des cours chez deux artistes renommés, Casimir Reymond et Marcel Poncet. Tous ces peintres qu’il a fréquentés, et d’autres, l’ont sans doute influencé. Et certes, on pourrait trouver ici et là des réminiscences du tachisme de Segantini, du cubisme de Braque, de la pureté formelle de Nicolas de Staël, voire du coup de crayon de Bernard Buffet. Cependant son art reste assez inclassable. Il n’aura d’ailleurs pas de véritables disciples, sinon peut-être le cinéaste et peintre Frédéric Gonseth qui, avec son épouse Catherine Azad, lui a consacré un beau documentaire.
Walter Mafli est surtout connu, et apprécié du grand public, pour ses vues de Lavaux, réalisées à l’huile ou à la craie grasse. Des villages et vignobles, il garde l’essentiel, les formes des maisons, la géométrie des murs de vigne, de préférence à l’automne ou enneigés (parce qu’il n’aime pas la couleur verte!) L’être humain en est le plus souvent absent. Mais cette renommée de «peintre de Lavaux» est réductrice. Mafli s’attache aussi à des motifs en apparence insignifiants – boilles de lait, portes de granges – qui à la fois lui rappellent les travaux qu’il a dû accomplir à l’orphelinat et lui permettent d’aller vers la quintessence des choses, dans cette voie de la semi-abstraction déjà évoquée. On retrouve celle-ci dans ses natures mortes d’une grande sobriété, qui rappellent un peu celles de Giorgio Morandi. Certes, tout n’est pas d’égale valeur dans l’œuvre de Mafli. Peignant énormément, il a parfois cédé à une certaine facilité. Ce qui lui a longtemps valu le regard un peu condescendant d’une critique élitiste par ailleurs très soucieuse des modes artistiques du moment. Le meilleur de sa création est dans ses paysages épurés, mais aussi dans ses toiles abstraites et ses «peintures-sculptures». Car l’œuvre de Mafli est beaucoup plus diverse et inventive qu’il n’y paraît!

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«Peinture psychédélique»
A côté de ses tableaux figuratifs, l’artiste a toujours pratiqué l’abstraction pure. Celle-ci, très géométrique, avec une dominante de carrés et de rectangles, est mise en valeur par une grande richesse de coloris, notamment le rouge, sa couleur fétiche.
En 2008, une exposition au Musée de Pully a révélé un aspect de son art quasi inconnu du public… et qui n’avait obtenu aucun succès commercial! A une période de sa vie, dans les années 70, Mafli a été très influencé par le psychédélisme. Il dit avoir «adoré les hippies» qui ont «brisé la rigidité de (sa) vie». Il réalise alors une série de «peintures psychédéliques» ou «peintures-sculptures», qu’il qualifie encore d’«icônes», mais sans aucune connotation religieuse. Il s’agit d’œuvres faites de matériaux de récupération, tels que boulons, vis, boîtes de chocolat, morceaux de caoutchouc, tissus fleuris aux couleurs vives, etc. L’artiste obtient de ceux-ci d’étonnantes compositions d’une grande inventivité.
Une série de manifestations ont lieu autour du 100ème anniversaire de Mafli. L’exposition au Musée de Payerne (jusqu’au 25 mai) permet d’aborder les différentes facettes de son œuvre. Les 9 et 10 mai, la commune de Lutry fêtera ce jeune centenaire, avec une autre exposition au Château. Et le 3 juin à 18h30, à la Salle Paderewski du Casino de Montbenon à Lausanne, aura lieu la Première du film Walter Mafli. La verdeur du peintre centenaire (dans la collection Plans-Fixes). L’entrée est libre.
L’artiste nous a dit continuer à peindre tous les jours «pour être heureux». Une peinture qui rend aussi les gens heureux! n

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