Le Québec sous toutes ses facettes

Livre • Dans son «Dictionnaire amoureux du Québec», la journaliste Denise Bombardier évoque les particularités de la Belle Province francophone et retrace l'histoire des profonds changements sociaux qui l'ont traversé.

Rappelons d’abord l’esprit de la collection des «Dictionnaires amoureux». Un pays, une ville, une civilisation, un thème, un fait historique (du judaïsme à la franc-maçonnerie en passant par la Résistance, le Mexique, le vin ou la Rome antique) sont confiés à un spécialiste, souvent éminent, qui rend compte de A à Z de ses différents aspects. Cela de manière à la fois savante, empathique et plaisante.

Journaliste très connue au Québec comme dans l’ensemble du Canada, Denise Bombardier a interviewé tous les hommes et les femmes qui comptent dans son pays. Elle est membre – mais non héritière… – de la famille qui a inventé le motoneige, lequel a bouleversé la vie dans le Grand Nord, et créé l’empire industriel éponyme: avions, wagons, rames de métro. Même pour le lecteur qui ne connaît ni les folles nuits d’été de Montréal et ses multiples festivals, le bijou architectural qu’est le Vieux Québec, le fleuve Saint-Laurent que remontent les baleines, ou les longs hivers très rudes autour du lac Saint-Jean, le Dictionnaire amoureux du Québec présente un grand intérêt. Parmi les multiples sujets abordés, relevons la chanson québécoise, rendue célèbre par Félix Leclerc, Gilles Vigneault («ce pays qui n’est pas un pays mais l’hiver») ou Robert Charlebois; les particularités alimentaires qui vont de la «traditionnelle» (mais en fait d’invention récente), bourrative et immangeable «poutine» à la consommation des bleuets – nos myrtilles – par les êtres humains et les ours; l’évocation géographique et historique de plusieurs sites; ou encore la passion du hockey et de la pêche.

A l’origine, l’autonomie du Québec est liée à une vision conservatrice et cléricale de la société
Mais trois thèmes ont particulièrement retenu notre attention. D’abord l’histoire de la «découverte» du Canada, par Jacques Cartier au 16ème siècle puis Samuel de Champlain au début du 17ème, leurs contacts pacifiques ou guerriers avec les Indiens Algonquins ou Iroquois, réduits souvent aujourd’hui à des populations d’assistés économiques ghettoïsés et alcooliques. En passant, l’auteure écorne, au sujet de ces aventuriers et conquérants venus du Vieux Monde, un certain nombre de pieuses légendes hagiographiques. Un deuxième thème revient dans de multiples «entrées»: la question, qui fut si brûlante et qui reste sensible, de la francophonie et de sa défense face à la langue anglaise. Notons en passant que Denise Bombardier fut une indépendantiste fervente, à l’époque où, en 1967, le général de Gaulle lançait à la foule, de l’hôtel de ville de Montréal, son fameux «Vive le Québec libre!» Elle a mis aujourd’hui de l’eau dans son sirop d’érable… Mais sait-on que cette défense de la langue française et la revendication d’une très large autonomie de la Belle Province furent à l’origine liées à une vision ultra-conservatrice et cléricale de la société? Jusque dans les années 1960, les familles de 14 enfants n’étaient pas rares, et elles vivaient souvent dans une grande pauvreté. C’était la «revanche des berceaux», exaltée par l’Eglise, et conçue comme une revanche démographique contre la mainmise anglaise sur le Canada en 1760. Certains indépendantistes voulurent imposer plus tard le «joual», une langue provinciale dialectale qui se distinguerait du «colonialisme français», mais qui aurait conduit les Québécois à un complet repli sur eux-mêmes! Un nouveau nationalisme, mais lui progressiste et moderne, est né vers 1960. Il est lié à la montée du Parti libéral (socialisant) puis du Parti québécois de René Lévesque, qui ont été les artisans de la fameuse «Révolution tranquille». Phénomène quasi unique au monde, celle-ci a mis fin en quelques années, et sans violence, au Québec ancien, qui était depuis un siècle totalement sous l’emprise cléricale d’un catholicisme particulièrement réactionnaire. Tout alors – écoles, hôpitaux, services sociaux – dépendait d’une Eglise qui gouvernait les âmes dans la crainte des «péchés mortels», au premier plan desquels était la sexualité (à moins qu’elle ne fût un «devoir» lié à la reproduction).

Dans les pas du modèle suédois
De ce formidable mouvement de rejet est né le Québec moderne, laïc, et un Etat-Providence sur l’exemple de la Suède social-démocrate. Cela certes au prix d’une fiscalité très élevée et d’un certain abandon du communautarisme, avec ses valeurs d’entraide, au profit d’un individualisme croissant. Cette Révolution tranquille a vidé les couvents et les ordres religieux, désertés par leurs prêtres et bonnes sœurs. Elle a aussi conduit à une spectaculaire libération de la femme. Enfin, elle a favorisé une industrialisation et un remarquable essor de l’énergie hydroélectrique, mais dont les colossaux barrages dans le Grand Nord provoquent une levée de boucliers écologiste… Comme on le voit, rien n’est simple dans le développement d’un pays. Au-delà du cas québécois (qui pourtant fascine le lecteur par son exotisme des grands froids, ses particularités langagières et ses coutumes parfois pittoresques), ce livre met donc en avant un certain nombre de problématiques quasi universelles. Ou la diversité régionale dans l’unité de la vie des hommes.

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