Un pari osé qui tient ses promesses

Ballet • «Salue pour moi le monde», le nouveau ballet du Grand Théâtre, d'après l'opéra «Tristan et Isolde» de Wagner, est à l'affiche du 21 au 31 mai au Bâtiment des Forces motrices à Genève.

Sarawani Tanatanit (Isolde) et Geoffrey Van Dyck (Tristan) au Bâtiment des Forces motrices ©GTG/Gregory Batardon

Depuis une année, la chorégraphe Joëlle Bouvier, assistée d’Emilio Urbina et de Rafael Pardillo, vit avec la musique de Tristan et Isolde de Wagner. Elle l’écoute en boucle et raconte qu’elle n’est pas sûre d’avoir converti sa famille au Maestro tant elle «n’en pouvait plus de l’entendre». Le défi à relever, pour la chorégraphe, est de taille: l’opéra dure 4h30 en version complète. Alors, elle décortique, choisit et tranche. Résultat: 1h30 de corps à corps entre la danse et la musique.

Joëlle Bouvier a conservé les trois unités d’espace de l’opéra. «Un bateau pour le premier, une forêt pour le deuxième et un château pour le dernier.» L’intrigue aussi de l’échange des élixirs à la mort sans oublier la faute et sa découverte. C’est l’enregistrement de la production de 1982 par Deutsche Grammophon, dirigée par Carlos Kleiber, avec les voix envoûtantes et sublimes de Margaret Price, René Kollo et Dietrich Fischer-Dieskau, dans les rôles-titres, que Joëlle Bouvier a retenu. Le spectateur est pris aux tripes et plonge sans filet dans ce mythe fondateur de notre culture. L’intensité de la présence des corps, leurs mouvements sensuels, notamment ceux de l’évocation de la mer, restent gravés dans la mémoire. Les compositions de groupes qui permettent à Isolde de se promener d’arbre en arbre ou à Tristan, blessé, de se mouvoir parmi les siens, sont tout simplement superbes pour ne pas dire magiques.

Le solo de Marc, après la découverte des amants dans leur cabane, transporte le spectateur dans les déchirements intérieurs du roi, qui, en une fraction de seconde, voit son monde s’effriter, s’effondrer. Comment donner du sens à l’amitié, à l’amour, à la vie quand ceux qui lui sont le plus proches l’ont trahi ? La tour, élément de décor mystérieux, évoquant une présence supérieure, rassurante et éternelle, symbolise à la fois le bateau, la forêt ou le château. Elle est déplacée au gré des tableaux, comme une pièce maîtresse qui plante le décor. Le spectacle met aussi le danseur en danger, car la musique n’est pas écrite pour le ballet. Il faut alors que les danseurs la suivent, entrent dans son courant, se laissent guider. Ainsi, les vingt-deux danseurs doivent allier leurs différentes sensibilités tout en gérant chacun leur propre rapport à une musique qui ne se compte pas. C’est un pari osé, pas toujours facile à tenir mais qui tient ses promesses et vous transporte.

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