Les femmes en ont marre de trinquer !

Luttes féministes • Guatemala, Grèce, Hôpital de la Providence... Des femmes du monde entier ont échangé sur leurs luttes dans le cadre de la Marche mondiale des femmes, de passage en Suisse jusqu’au 25 mai. Compte rendu de notre chroniqueuse féministe Huguette Junod.

Depuis 2000, lorsque la MMF, partie du Québec, arriva en Europe, je participe à ces réunions de femmes qui se mobilisent à travers le monde pour dénoncer la pauvreté, les violences faites aux femmes et pour affirmer nos valeurs: l’égalité, la liberté, la solidarité, la justice et la paix. La caravane s’est arrêtée à Genève du 23 au 25 mai. Il a beaucoup été question d’injustices durant ces trois jours. On a parlé de la militarisation dans le monde, de la laïcité en Tunisie (grâce au beau film Laïcité Inch’Allah en présence de sa réalisatrice, Nadia El Fani (voir en page 7), de l’austérité, des stigmatisations, des employées de maison sans autorisation de séjour en Suisse. Des femmes de nombreux pays ont témoigné. Au Kurdistan, en Irak, comme en Libye, au Nigeria, au Burundi, en Tanzanie, et ailleurs, on assiste à une volonté systématique de destruction, à un retour au temps de l’esclavage. On maltraite les gens, on les chasse de leurs maisons, on s’attaque à leur culture, on utilise le viol des femmes comme une arme de destruction massive. Boko Haram n’est qu’un exemple parmi d’autres.

Une militarisation de la société
Au Guatemala, les activités minières menacent les moyens de subsistance des populations autochtones, ainsi que la nappe phréatique. Des projets de ce genre ont lieu dans un grand nombre de pays: le Mexique, le Brésil, la Colombie, le Chili, le Venezuela, le Katanga, la Zambie, le Congo, le Mozambique, l’Afrique du sud, l’Indonésie, souvent avec la complicité de l’Etat. Toutes les cinq secondes, c’est l’équivalent du poids d’une Tour Eiffel de ressources naturelles qui est prélevé des écosystèmes et des mines. Les multinationales ne respectent ni les gens, qui travaillent dans des conditions inhumaines, ni l’environnement, ni les lois et n’hésitent pas à tuer leurs opposants. Les concessions minières portent sur des centaines de millions de dollars. Certaines sont plus puissantes que les Etats.

Partout, on assiste à une militarisation de la société, à une surveillance omniprésente: dans la rue, les banques, les supermarchés, les gares, les aéroports… Partout, les migrants sont criminalisés. Le néo-capitalisme, l’accaparement des richesses par un petit nombre, les crises financières mondiales, les baisses des impôts pour les riches, la politique des caisses vides, qui conduit à diminuer les prestations sociales, poussent de plus en plus de gens vers la pauvreté. On parle de «guerre de 4eme génération». Le système d’accumulation du capital, notamment par l’argent produit par l’argent, se fait aux dépens des humains. La xénophobie et l’extrémisme augmentent partout dans le monde. Le système fait que les pauvres se battent contre les pauvres (comme l’illustre le film La loi du marché de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon). Que ce soit dans des pays en guerre, comme la Syrie, l’Irak ou la Libye, qui refoulent des milliers de gens sur des bateaux pourris, dans des pays qui ne respectent pas leur minorité, comme la Roumanie ses Roms ou la Birmanie et ses Rohingyas, et les chassent sur les routes, que ce soit dans les pays «riches», où la course effrénée au «toujours plus mais le moins cher possible» mène au burn-out, ce sont les peuples qui trinquent et en particulier les femmes et les enfants. En effet, comme les femmes gagnent toujours 20% de moins que les hommes, leur chômage, puis leur retraite sont également inférieure, et 80% des familles monoparentales sont gérées par la mère. En Europe, le chômage augmente, les conditions de travail se détériorent, les inégalités se creusent, les relations se tendent. Les pays ont érigé l’austérité en système, pourtant contre-productif, comme chacun-e peut le constater. Le Canada vient d’élire un gouvernement qui revient sur toutes les mesures progressistes obtenues par la Marche mondiale des femmes…

Ces attaques contre les travailleurs et les syndicalistes ont commencé au début des années 80, quand Thatcher et Reagan ont imposé le néo-libéralisme. Les Etats et les multinationales ont suivi le mouvement. Partout, les conventions sont dénoncées, les contrats non renouvelés, les lois violées. Les emplois à durée limitée ont peu à peu remplacé les contrats de longue durée. On prétend augmenter l’âge de la retraite, mais on pousse les plus de 50 ans vers la sortie! Sous les coups du néo-capitalisme, une partie de la population n’a plus les moyens de se soigner, l’espérance de vie diminue, la mortalité infantile augmente.

Aphrodite Stampouli, élue de Syriza, donne une lueur d’espoir
Dimanche, une infirmière syndicaliste témoignait. Elle s’est battue pour défendre les conditions de travail et les soins aux patient-e-s de l’hôpital de la Providence quand il fut racheté par le groupe Genolier. Ce dernier a d’entrée de jeu annulé la CCT et réduit tous les acquis: durée du travail prolongé, réduction des indemnités, du congé-maternité (durée et salaire), suppression de la grille salariale, externalisation de certains services, perte des droits syndicaux, suppression de l’allocation complémentaire pour enfants. Au début, la majorité des 300 employé-e-s votèrent un débrayage. Mais sous les pressions de la direction, le non-respect de ses engagements par le gouvernement neuchâtelois, l’apathie de l’Eglise catholique, à qui appartenait l’hôpital, les médias qui, sans faire d’enquête sérieuse, prenaient la défense de l’employeur, les opposant-e-s ne furent plus que 22 à entreprendre une grève, qui dura 71 jours. Le 18 février 2013, ils et elles furent licencié-e-s, et le motif, illégal, noté sur leur certificat: licenciement pour s’être syndiqué et avoir fait grève. Ils et elles ont intenté un procès… qui n’a toujours pas été jugé. Les employeurs semblent intouchables. Ainsi, même dans la très riche Suisse, qui connaît un bas taux de chômage (3,5%) et une progression constante, les entreprises se comportent comme des esclavagistes, en toute illégalité et avec l’aval du gouvernement. Après les horreurs qui nous avaient été rapportées des pays en guerre ou exploités, ce fut le coup d’assommoir. Heureusement, Aphrodite Stampouli, élue de Syriza au Parlement grec, nous a donné une lueur d’espoir: son parti prend la défense du peuple, et veut revenir sur les mesures d’austérité qui l’ont étouffé.

D’une manière unanime, les oratrices ont répété que face à toutes les formes de violences et d’injustices provoquées par les guerres et le néo-capitalisme, il est nécessaire que les femmes (et les hommes) du monde entier s’unissent, se lèvent et marchent pour résister et construire.