Le sino-français Zao Wou-Ki expose à Pully

Exposition • Grâce à des prêts et à une donation importante, le «petit» Musée d’art de Pully peut présenter une rétrospective de portée internationale de l’artiste d’origine chinoise, qui a passé les dernières années de sa vie en Suisse.

D’origine chinoise, Zao Wou-Ki est né à Pékin en 1920. Il est issu d’une famille d’intellectuels amoureux des arts. Il est tôt initié à la calligraphie. Il suit les cours de l’Ecole des Beaux-Arts de Hangzhou. Mais il est surtout influencé par les maîtres du renouveau de l’art occidental, Cézanne et Matisse. Il émigre en France en 1948. Au début, il renie la tradition séculaire de la peinture chinoise, qui lui paraît figée et passéiste: «Cette tradition ne me permettait pas de m’exprimer», dira-t-il. Dans sa nouvelle patrie (dont il acquerra la nationalité en 1964), il devient l’ami de plusieurs peintres d’avant-garde comme Pierre Soulages, Nicolas de Staël, Joan Miró, Hans Hartung… Sa découverte, en Suisse, de Paul Klee, est pour lui une révélation. A l’exposition pulliérane, on perçoit bien cette influence du maître bernois dans des œuvres semi-figuratives d’une grande finesse de traits et presque hiéroglyphiques, comme Montagnes et soleil ou Flore et faune (1951). On remarquera aussi ses poissons, qui rappellent l’art rupestre paléolithique. L’artiste se lie avec de grands poètes comme Henri Michaux ou René Char. Ceux-ci lui demandent d’illustrer leurs textes. Mais Zao Wou-Ki réalise bien plus que de simples «illustrations». Son œuvre picturale dialogue avec la littérature. En cela, il demeure très proche de ses origines: il rappelle d’ailleurs lui-même le «lien qui unit, pour un Chinois, peinture et poésie». Sur les rouleaux de peinture chinoise, la représentation iconographique – bambous, branche et oiseau ou genre chan-chouei, c’est-à-dire «les montagnes et les eaux» – ne s’accompagne-t-elle pas très souvent de poèmes? En 1962, il illustre La Tentation de l’Occident de Malraux. Or ce livre constitue précisément un dialogue entre les civilisations, ce que Zao Wou-Ki incarne par toute sa vie et son œuvre.

Un maître de l’abstraction lyrique
Zao Wou-Ki s’oriente de plus en plus résolument vers la peinture abstraite, plus exactement vers l’abstraction lyrique. On entend par là un courant artistique né après la guerre, en réaction à l’abstraction géométrique, et auquel appartiennent des peintres aussi différents que Jackson Pollock, Mark Rothko, Pierre Alechinsky, Georges Mathieu, Alfred Manessier, etc. Zao lui-même se rattache clairement à sa principale tendance, le «tachisme», dont le Musée de Pully présente un grand choix d’œuvres. Des œuvres donc difficiles à décrire, parce qu’elles n’ont pas de «sujets» clairement reconnaissables: ce sont des ensembles de taches qui peuvent évoquer des tourbillons, des vagues, des ciels, mais qui font surtout appel à la sensibilité et l’imagination du spectateur. Presque toutes les toiles sont reliées à des livres d’écrivains ou de poètes, dont elles sont des interprétations. Même les visiteurs qui ne sont pas des familiers de l’art abstrait trouveront du plaisir à cette exposition. Qu’il pratique la peinture à l’huile, la lithographie, l’eau-forte ou l’aquatinte, l’artiste réalise une œuvre aux couleurs éclatantes: des rouges sanglants, des jaunes crus, des violets comme ceux qu’aimait tant Rimbaud, des verts subtils, des bleus intenses. Lorsqu’il pratique l’encre de Chine, il met beaucoup d’eau dans son encre, retrouvant ainsi une manière de faire propre aux peintres chinois. On peut dire que Zao Wou-Ki a réalisé une synthèse entre l’art occidental contemporain et l’art chinois traditionnel. Dès 1983, il est d’ailleurs reconnu à sa pleine valeur et exposé dans son pays d’origine. Il est décédé en Suisse en 2013, où il a passé ses dernières années. On se souvient hélas qu’une pénible querelle de succession, aujourd’hui résolue, a opposé la veuve de l’artiste à l’un des fils de celui-ci, issu d’un précédent mariage.

Cette rétrospective n’aurait pas été possible sans de nombreux prêts, ni sans l’importante donation de Françoise Marquet-Zao au Musée. Elle s’accompagne par ailleurs de la publication d’un livre de l’ancien Premier ministre français Dominique de Villepin, féru d’art et ami du peintre, Zao Wou-Ki et les poètes. On peut dire qu’avec cette exposition prestigieuse, le «petit» Musée d’art de Pully entre dans la cour des grands!

Zao Wou-Ki. La lumière et le souffle, Musée d’art de Pully, jusqu’au 27 septembre 2015