Mépris universel envers les femmes

La chronique féministe • Récemment, lors d’une table ronde, une féministe a dit que les viols, les tournantes, etc. sont le résultat du profond mépris que la société nourrit envers les femmes. Moi qui utilise plutôt le concept de «sexisme», j’ai été frappée par la tranquille affirmation de ce «mépris». La société fonctionne sur le dénigrement des femmes, qui a traversé les siècles jusqu’à aujourd’hui. C’est la plupart du temps inconscient, mais mille propos et actions du quotidien en révèlent la profondeur. Prenons quelques exemples.

Récemment, lors d’une table ronde, une féministe a dit que les viols, les tournantes, etc. sont le résultat du profond mépris que la société nourrit envers les femmes. Moi qui utilise plutôt le concept de «sexisme», j’ai été frappée par la tranquille affirmation de ce «mépris». La société fonctionne sur le dénigrement des femmes, qui a traversé les siècles jusqu’à aujourd’hui. C’est la plupart du temps inconscient, mais mille propos et actions du quotidien en révèlent la profondeur. Prenons quelques exemples.

L’édition Magnard vient de sortir deux types de cahiers de vacances, l’un pour les garçons (bleu) et l’autre pour les filles (rouge, avec des petites fleurs). De plus, en regardant les planisphères, on constate que celui des garçons est beaucoup plus détaillé et fourni que celui des filles. Je ne suis pas étonnée par ces discriminations, après avoir étudié des dizaines de manuels scolaires pour mon travail de diplôme 3e Cycle en Etudes genre (SES 1998). Mais je ne comprends pas pourquoi la maison d’édition française veut différencier les cahiers. Un seul pour les deux sexes serait naturellement approprié. Beaucoup de parents ont réagi et demandent à Magnard de les retirer de la vente. Cela fait mal de penser qu’en 2015, on obéit aux mêmes a priori qu’au 19ème siècle, quand on différenciait les classes, qu’on interdisait aux filles l’accès au grec, donc à l’université, et qu’une «école ménagère», leur apprenait à devenir de bonnes épouses et mères.

Cette vision ancestrale, qui prônait le partage des rôles: les femmes à la maison et les hommes à l’extérieur (travail et politique), est enracinée dans les esprits, comme le prouvent, jour après jour et dans tous les pays, les propos et attitudes sexistes des politiciens à l’égard des femmes, comme si elles «usurpaient» les fonctions qu’elles assument. Récemment, la Tribune de Genève y consacrait un article. Pourtant, elles ont fait leurs preuves dans tous les domaines, mais on ne leur pardonne rien. On leur fait payer la moindre erreur bien plus lourdement qu’aux hommes (cf. l’affaire Elisabeth Kopp, 1ère femme Conseillère fédérale en 84, poussée à la démission en 1989, et l’affaire Christa Markwalder aujourd’hui). Lundi 1er juin, sur les ondes de la radio romande, que j’écoute chaque matin entre 7h et 8h30, une journaliste a parlé du changement de maire à Genève (Sami Kanaan passe le relais à Esther Alder). Elle relevait que dans la ville du bout du lac, la fonction est honorifique, contrairement à celle du syndic de Lausanne, par exemple, avec cette formule: un insigne «sur le revers du veston». Or elle venait de mentionner que le maire (la maire) serait une femme… Mais son inconscient lui a fait choisir une expression qui concerne exclusivement les hommes. On peut en déduire que même chez une femme, il y a «usurpation» quand une autre femme occupe une des plus hautes fonctions de la République.

Rappelons qu’Esther Alder avait cédé son tour, l’année précédente, à Sami Kanaan, son collègue socialiste chargé de la Culture, pour le bicentenaire de l’entrée de Genève dans la Confédération. Une décision inhabituelle (on ne verrait pas un homme agir ainsi!), qui avait valu une volée de bois vert à la ministre de la Cohésion sociale et de la solidarité. Rappelons aussi qu’au début de son mandat (elle a été élue une première fois en 2011), elle a suggéré de déplacer au mardi la séance du Conseil administratif, afin de pouvoir s’occuper de ses jumeaux le mercredi en fin d’après-midi. Que n’avait-elle pas dit là? «Amateurisme, incompétence, inconséquence!» s’était-on insurgé, à gauche comme à droite, devant cette requête. Comme s’il était incongru, voire rédhibitoire, d’être mère ET politicienne. Un père ne demanderait pas une chose pareille (et pour cause, il a souvent une femme à la maison). Pourtant, quand son collègue Guillaume Barazzone fit à peu près la même suggestion un an plus tard, mais pour pouvoir honorer ses obligations d’élu fédéral, personne n’a tiqué… Des obligations d’élu fédéral, cela fait nettement plus sérieux que des obligations maternelles, n’est-ce pas?

Je ne résiste pas au plaisir de vous transmettre une anecdote, racontée par François Longchamp, président du Conseil d’Etat genevois. On montrait à une classe d’élèves de l’école primaire la salle où se tiennent les séances du Conseil d’Etat. Au centre, une table avec 7 chaises, et autour, d’autres sièges. Que croyez-vous qu’il arriva? 7 garçons se précipitèrent pour occuper les chaises des 7 Conseillers d’Etat, et les filles allèrent s’asseoir contre les murs… L’anecdote ne dit pas si l’enseignant ou l’enseignante a réagi, mais Longchamp, au moins, a relevé ces comportements sexistes, inoculés depuis l’enfance.

Pour clore (momentanément) cette série d’exemples, j’ai été interpellée, le week-end dernier, par la page «Corps et âmes» de la Tribune de Genève. Le titre indique: «Quand la brioche triomphe de la tablette de chocolat. La tendance est au «dad bod», le corps de papa. Les bidons rebondis rassureraient les femmes.» Six photos montrent des hommes qui arborent fièrement leur bedaine. Même le quadragénaire Lenardo DiCaprio s’y est mis! Cette affirmation du «dad bod» a fait un malheur sur le Net et connaît un succès planétaire. Les hommes n’ont plus mauvaise conscience de boire une bière en mangeant une pizza ou un hamburger. Dans un premier temps, je me suis dit que c’était bien d’accepter son corps, même vieillissant. Mais voilà… une des photos montre deux hommes bedonnants, qui encadrent une femme aux formes parfaites! Une fois de plus, on tolère des hommes ce qu’on ne tolère pas des femmes. Les injonctions de la publicité et des revues féminines, notamment, exigent d’elles qu’elles soumettent leur corps aux standards à la mode. Des femmes se sont exprimées sur le Net à ce sujet. Une courageuse, la Néo-Zélandaise Julie Bhosale, nutritionniste, a affiché sur son site (www.juliebhosale.co.nz) des images de son ventre mis à mal par deux grossesses, un «mom bod» qui représente davantage la norme que les corps de déesses que la pub affiche partout. Pas sûr que ces ventres-là soient valorisés par les hommes, alors que les femmes trouvent les bidons masculins «doux et rassurants».

En résumé, on n’a toujours pas dépassé les stéréotypes: aux hommes la liberté, le pouvoir, la lumière; aux femmes les contraintes, les tâches ménagères et l’ombre. Tout cela servi avec un zeste de mépris.

Huguette Junod