A quand le congé paternité en Suisse?

La chronique féministe • Il a fallu attendre 2004 pour que la Suisse accorde un congé maternité (après plusieurs refus par le peuple en 1984, 1987, 1999). Il est de 14 semaines (comme en Allemagne et à Malte, les pays les plus pingres de l’UE), pendant lesquelles la mère touche 80% de son salaire. Les pays de l’Est figurent parmi les plus généreux, et la Suède remporte la palme, avec 75 semaines. Qu'en est-il du congé paternité?

Il a fallu attendre 2004 pour que la Suisse accorde un congé maternité (après plusieurs refus par le peuple en 1984, 1987, 1999). Il est de 14 semaines (comme en Allemagne et à Malte, les pays les plus pingres de l’UE), pendant lesquelles la mère touche 80% de son salaire. Les pays de l’Est figurent parmi les plus généreux, et la Suède remporte la palme, avec 75 semaines.

Du côté du congé parental, sa durée et son indemnisation varient selon les pays de l’UE de dix semaines à trois ans et de 0 à 100% du salaire. Malgré des avancées notables, les pays européens les plus favorables à une implication des hommes dans le soin aux jeunes enfants restent la Suède, l’Allemagne, et le Portugal. En Islande, pères et mères ont droit au même congé (trois mois chacun), plus trois mois à se partager. En Suède, les congés parentaux s’élèvent à 480 jours : 60 sont destinés au père, 60 à la mère. Les deux parents se partagent librement les 360 jours restants. Un congé long, et surtout bien payé: 80% du salaire (du père ou de la mère) est versé pendant 390 jours. Hier, comme aujourd’hui, le pays nordique montre le cap: c’est le premier Etat européen à avoir instauré un congé parental, dès 1974.

Comme d’habitude, la Suisse a des décennies de retard, on pourrait même dire qu’elle se conduit comme un pays en voie de développement. Et comme d’habitude, les politiciens censés nous représenter avancent le fallacieux prétexte de préserver les entreprises. La faîtière syndicale «Travail Suisse», milite pour un congé paternité depuis dix ans. Elle préconise un congé paternité flexible de 4 semaines, financé par les APG, comme le service-maternité. L’idée est que le père puisse utiliser son congé de la manière la plus favorable à la famille : dix jours au début, puis un jour pendant les 10 semaines suivantes, par exemple.

Après des années d’immobilisme et une succession d’échecs parlementaires, comme la Suisse en a le secret, voici que naît un friselis d’espoir. Martin Candinas, (PDC GR), 35 ans, père de 3 jeunes enfants, a lancé une initiative parlementaire le 15 avril dernier. Cette proposition a fait basculer le centre-droit au sein de la Commission de la sécurité sociale et de la santé(CSSS) du National. Mais ce n’est toujours pas gagné. La proposition d’un congé payé de deux semaines via l’assurance perte de gain (APG), sans augmentation des cotisations, doit encore séduire le Conseil des Etats cet été… Or le congé paternel ne convainc toujours pas la droite. PLR et UDC craignent des charges supplémentaires pour les entreprises, Urs Schwaller, du même parti, est réservé. De même Isabelle Moret (PLR/VD): «C’est formidable que les pères participent davantage. Mais sans garantie de ne pas occasionner de coûts supplémentaires, je préfère des solutions privées», explique cette maman de deux jeunes enfants. Si même les femmes ne soutiennent pas les femmes, on n’est pas sortis de l’auberge! La gauche soutient l’initiative de M. Candinas, bien que jugée insuffisante.

Dix ans après l’introduction des allocations maternité, c’est toujours le seul Code des obligations qui autorise les employeurs, mais ne les oblige pas, à accorder un «jour de congé usuel» aux jeunes papas. D’après un rapport du Conseil fédéral de 2013, seuls 27% des travailleurs soumis à une convention collective de travail ont accès au congé-paternité. L’analyse par Travail Suisse de 46 conventions collectives de travail, couvrant 1,5 million de travailleurs, montre que la majorité des employeurs privés n’octroie aux pères qu’un ou deux jours de congés payés. A peine 2% d’entre eux ont la chance d’obtenir six à dix jours rémunérés, et seul 3% plus de dix jours. Du côté du secteur public, la Confédération, les cantons et 25 des plus grandes villes suisses ont réglementé un temps réservé aux pères. Il est globalement plus généreux du côté des villes, même si la municipalité de Neuchâtel est bonne dernière avec les cantons d’Obwald et de Berne (1 jour). Le congé paternité est de dix jours à la Confédération et va jusqu’à vingt jours pour les villes de Genève et Lausanne, en tête du classement effectué en 2014.

Pourtant, tout le monde le reconnaît, un congé paternité, ou plutôt un congé parental, est une mesure essentielle pour une meilleure conciliation de la vie familiale et professionnelle. Il a des effets positifs en matière d’égalité et d’équilibre familial. Isabel Valarino, sociologue, est auteure d’une thèse sur le congé paternité et le congé parental en Suisse. Elle analyse le retard helvétique et les enjeux de ces mesures. Selon elle, la Suisse doit reconnaître les pères comme des pourvoyeurs de soins. Sans quoi, elle continue d’assigner, dans ses lois, des rôles traditionnels aux hommes et aux femmes. Elle explique en partie le retard helvétique par l’introduction très tardive du congé maternité (années 50 dans les autres pays), qui constitue un premier pas vers un congé parental. L’Union européenne a entériné le congé parental en 1996 dans une directive, et l’a prolongée en 2010.

Les rapports de genre deviennent extrêmement inégaux dès l’arrivée du premier enfant. L’absence de congé paternité ou parental est un des éléments qui participent à orienter concrètement ces rapports vers une organisation traditionnelle, car les pères n’ont pas l’opportunité de s’impliquer dans la vie familiale. Cela dit, les rapports de genre sont aussi déterminés par d’autres facteurs, comme les représentations sociales, les inégalités sur le marché de l’emploi (les femmes gagnent toujours 20% de moins), etc.

D’après les résultats en Europe, le congé parental doit être flexible et bien compensé financièrement pour qu’il soit utilisé par les pères. Il doit être un droit universel qui ne dépende pas de l’employeur, et attribué individuellement à chaque parent. Sinon, c’est en général la mère qui l’utilise en entier, pour des raisons économiques, notamment. On constate des effets positifs sur l’implication des pères dans la vie familiale. Il semble que prendre un congé d’au moins deux semaines soit associé, à moyen terme, à davantage de temps passé à s’occuper de l’enfant, à moins d’heures hebdomadaires de travail, et à une plus grande égalité dans la répartition des responsabilités parentales avec la partenaire. Il y aurait même des liens avec le taux de fécondité ainsi que le développement de l’enfant! Tout pour plaire !

Si Martin Candinas réussit son pari, un projet concret pourrait aboutir fin 2016. Il serait temps!