Le théâtre Oxymore à Cully, espace de liberté et de création

Théâtre • Rencontre avec la comédienne Nathalie Pfeiffer, fondatrice et animatrice de ce théâtre de poche – ou ce caveau – qui irrigue
culturellement la région vaudoise du Lavaux.

Pourquoi ce nom étrange d’Oxymore? N’est-ce pas une figure littéraire qui rapproche deux termes apparemment contradictoires, comme «cette obscure clarté du désir»?
Nathalie Pfeiffer Le nom m’est venu de mon amour pour Victor Hugo, qui est le champion de l’oxymore. C’est aussi chez lui un moteur dramatique. Un personnage de Hugo peut être beau à l’extérieur et laid à l’intérieur, ou vice versa. Voyez Quasimodo et Jean Valjean. Cette référence à Hugo signifie pour moi que c’est dans la diversité des vues que l’on trouve la richesse et non pas dans le fait que tout le monde pense pareillement. Et puis ce nom original du théâtre à Cully est plus facile à retenir que ceux qu’on me suggérait, par exemple «Le cep de vigne»!

Quand et comment est né Oxymore?
Lorsque ma mère a acheté la maison, on a trouvé un local inoccupé. J’ai voulu en faire un théâtre. Nous avons fondé l’association théâtre de l’Oxymore en 1999 et dès la fin de la Fête des Vignerons, j’ai pu racheter l’une des scènes de la Ville en fête. Ensuite, tout s’est fait petit à petit, grâce aussi à la Loterie romande qui nous a offert des sièges et également à la générosité des gens qui nous ont donné du matériel.

Lorsqu’on parcourt la liste des spectacles qui ont passé à Oxymore ces dix dernières années, on constate que la programmation est très éclectique. Sans être exhaustif, mentionnons par exemple un hommage à Cocteau, des spectacles musicaux (chansons françaises, jazz, flamenco…), des pièces du répertoire classique ou contemporain, comme «L’amour médecin» de Molière, «Un ennemi du peuple» de Ibsen, «La Contrebasse» de Patrick Süskind, mais encore un opéra fantastique d’Offenbach, des clowns. Vous assumez donc cette variété?
Oui, Oxymore est un lieu qui se veut très ouvert. Pour moi, la multiplicité culturelle est une richesse. En fait, ce n’est pas nous qui allons chercher les artistes, ce sont eux qui proposent un spectacle. Ils paient une petite location. Mon but n’est pas de gagner de l’argent. Je n’exerce pas de censure. Je refuserais cependant des productions xénophobes, misogynes ou vulgaires. Vu la diversité des spectacles, le public est extrêmement varié: des gens de la région ou d’ailleurs, différentes classes d’âge. Oxymore est ouvert aux artistes amateurs comme aux professionnels, notamment aux jeunes. Par exemple, en avril 2015, une troupe de Puidoux a joué «Les parents terribles» de Cocteau. Il est important que les jeunes se réapproprient les œuvres théâtrales. Nous sommes donc un lieu de vie, de création, éventuellement de répétition à disposition des jeunes artistes.

Recevez-vous des subventions (à part celle, unique, de la Loterie romande mentionnée plus haut)?
Non, et nous n’y tenons pas absolument. Car qui dit subvention dit obligation de présenter des comptes et objectif de réussite, c’est-à-dire de remplir la salle. Depuis 2015, nous recevons cependant une petite aide de la commune de Bourg-en-Lavaux, renouvelable chaque année. Vis-à-vis de ma commune, je me sens par ailleurs des obligations: quand on est citoyen-ne d’un endroit, on doit faire quelque chose pour lui!

Vous êtes vous-même comédienne. Quel a été votre parcours et quels sont vos projets?
Après mon Gymnase à Lausanne, j’ai fait un apprentissage de tapissière-décoratrice. Puis trois ans de cours de théâtre à Paris. Et toujours à Paris, quatre ans d’université de théâtre, jusqu’à une maîtrise. Enfin j’ai suivi le cours «Performance et dramaturgie du texte» à l’Uni de Lausanne. J’ai de multiples engagements, qui occupent 80% de mon temps, les autres 20% étant consacrés à la gestion d’Oxymore: des mises en scène, des rôles comme actrice, de la récitation de poésie à Evian… Je vais participer au Festival off d’Avignon dans trois spectacles, dont «Lapidée», la pièce qui a été déprogrammée à Paris suite aux attentats de janvier. Je voudrais dire enfin que j’aspire à un monde où on pourrait proposer autre chose que le mensonge de la croissance à tout prix!