Familles monoparentales pauvres: une bombe à retardement

La chronique féministe • Récemment, Caritas a publié une étude* sur les familles monoparentales (dont 86% sont gérées par des femmes). Les résultats sont sans appel: la pauvreté les touche 4 fois plus que les familles avec deux adultes et deux enfants. Un foyer monoparental sur 6 est confronté à la précarité en Suisse (30'000, soit 16,5%). La situation est analogue en France...

Récemment, Caritas a publié une étude* sur les familles monoparentales (dont 86% sont gérées par des femmes). Les résultats sont sans appel: la pauvreté les touche 4 fois plus que les familles avec deux adultes et deux enfants. Un foyer monoparental sur 6 est confronté à la précarité en Suisse (30’000, soit 16,5%). La situation est analogue en France.

L’exercice d’une activité rémunérée n’arrange pas forcément les choses. Il y a 4 fois plus de working poor dans les familles monoparentales ayant à charge un enfant au moins que dans le reste de la population. 44% des mères seules avec des enfants de moins de 6 ans sont employées à temps partiel, contre 28% pour celles qui ont un partenaire. Elles sont 23% à travailler à plein-temps contre 13% pour les autres; 17% n’exercent pas d’activité professionnelle contre 27%. 16% des mères seules sont touchées par le sous-emploi (6,4% dans la population globale). Une mère seule sur 6 aimerait d’ailleurs augmenter son taux d’activité, mais elle ne trouve pas de travail adapté à ses contraintes familiales. Les emplois des parents seuls sont souvent exclus de la prévoyance professionnelle ou n’assurent qu’une toute petite rente. En outre, un grand nombre de femmes, généralement moins bien formées au départ, ne trouvent que des emplois sous-payés, soumis à une grande mobilité, ce qui est incompatible avec les obligations familiales et entraîne un stress dommageable pour les enfants. En moyenne, les mères seules dont les enfants ont moins de 6 ans travaillent 17 heures par semaine dans un emploi rémunéré et 54 heures aux tâches familiales et ménagères, soit une charge totale de plus de 70 heures. Pour un parent seul avec 2 enfants, le seuil moyen de pauvreté en 2015 se situe à 4’000 francs: 602 de primes d’assurance-maladie, 1’608 de loyer et 1’834 de besoins de base: nourriture, vêtements, soins de santé, mobilité, communication, loisirs et formation, soins corporels. Les pauvres logent souvent dans des appartements petits et bruyants, ils ont des problèmes de santé, ne peuvent pas suivre de formation professionnelle ou continue, se voient exclu-e-s de la vie de la société et n’ont pas de perspectives d’avenir. C’est ce qu’on appelle le cumul des facteurs négatifs.

En Suisse, la lutte contre la pauvreté est essentiellement de la compétence des cantons. Ce sont eux qui définissent les prestations liées au besoin, comme l’aide sociale, les pensions alimentaires des enfants ou les prestations complémentaires des familles. Il y a de grandes différences entre les cantons. Au printemps 2015, les contributions d’entretien ont été réglementées au plan fédéral, ce qui a permis de renforcer le droit des enfants sur tout le territoire suisse et de réduire la charge du parent qui s’en occupe, en incluant notamment les coûts de crèche et de perte de gain. Malheureusement, le montant minimum de l’entretien pour enfant n’est pas inscrit dans la loi. Ainsi, beaucoup de familles monoparentales touchent des pensions alimentaires trop modestes et dépendent de l’aide sociale pour assurer leur subsistance (les familles monoparentales représentent 20% des cas).

Pour Caritas, il faut agir sur plusieurs plans: fixer un montant minimal d’entretien de l’enfant dans la loi; répartir le déficit financier mensuel entre les deux parents; créer des places de crèches adaptées aux moyens et des horaires plus souples; encourager les formations continues, qui permettraient d’acquérir une meilleure position sur le marché du travail.

Parallèlement à une crispation envers les migrant-e-s, on assiste, depuis plusieurs années, à un discours néo-malthusien contre les pauvres. Ainsi, le riche canton de Genève a limité dans le temps les avances versées par l’Etat aux familles monoparentales dont le mari ne s’acquitte pas de ses obligations, sous prétexte de mieux cibler les aides! Dans le Kansas, aux Etats-Unis, on vient d’interdire la piscine aux pauvres et on leur a imposé une limite de retrait au bancomat de 25 dollars par jour!

Pierre Bourdieu a démontré que le système scolaire, au lieu d’encourager les plus méritant-e-s, selon le mythe de la méritocratie, légitime les positions sociales. Le concept de «lutte des classes» serait dépassé, selon certain-e-s, mais il est lucidement résumé par le milliardaire Warren Buffet: «Il y a une lutte des classes, évidemment, mais c’est ma classe, celle des riches, qui mène cette guerre. Et nous sommes en train de gagner.» En Suisse, nous venons de voter sur un projet de redistribution des richesses (l’impôt sur les héritages de plus de 2 millions), l’initiative a été balayée…

Le nombre de familles monoparentales a plus que doublé en 45 ans. «Elever seul-e ses enfants ne devrait pas constituer un risque de précarité», affirme Bettina Fredrich, responsable de la politique sociale de Caritas. On sait qu’un enfant qui grandit dans une famille pauvre a plus de probabilités d’être pauvre à son tour une fois adulte. Le problème est sérieux et urgent, affirme Hugo Fasel, directeur de Caritas Suisse. Plus la pauvreté augmente, plus elle concerne aussi la Confédération. Cette situation est une bombe à retardement, il faut agir avant de ne plus maîtriser le problème.

En résumé, les femmes sont moins bien formées que les hommes et gagnent 20% de moins à travail égal, elles sont largement majoritaires dans les emplois à temps partiel et mal payés, n’ont souvent pas de 2ème pilier; en cas de séparation (on compte un divorce sur 2 mariages en Suisse), elles sont 86% à assumer la garde des enfants, devant courir entre des horaires incompatibles, elles ont un risque sur 6 de vivre sous le seuil de pauvreté et sont en moins bonne santé. Quelle galère d’être une femme!

Note. Gauchebdo paraîtra encore les 3 et 10 juillet, mais cette chronique est ma dernière avant l’été (je pars en vacances). J’imagine que les familles monoparentales n’ont pas les moyens de s’évader. Il est vrai que Genève en été, c’est le pied. En outre, il existe des camps destinés aux enfants défavorisés (notamment Pro Juventute, le Mouvement de la Jeunesse suisse romande, cf. Internet). Pour celles et ceux qui partent, un conseil. AVANT le départ, les mères devraient élaborer, avec la famille, une répartition des tâches: courses, repas, vaisselle, etc., valable pour le camping ou la location d’appartement. Il n’y a pas de raison que les femmes se tapent tout le boulot, elles ont aussi droit à des vacances!

*Caritas, Combattre la Pauvreté des familles monoparentales, juin 2015.