Comment les protestants ont bâti leurs temples

Livre • Un petit ouvrage concis et rigoureux explique l’architecture des lieux de culte de l’Eglise réformée.

L’histoire de l’architecture religieuse a le vent en poupe! Après le gros ouvrage de Ron Epstein-Mil sur les synagogues de Suisse (voir notre édition du 12 juin), voici celui, en format beaucoup plus petit, de Bernard Reymond sur les temples protestants. L’auteur n’est pas un inconnu. Longtemps professeur de théologie à l’Université de Lausanne, il a écrit de nombreux ouvrages sur le protestantisme, et notamment d’excellents travaux de vulgarisation, dans le meilleur sens du terme, à l’attention du grand public.

Un édifice religieux répond à «des exigences cultuelles, voire théologiques, qui sont d’ordre aussi bien pratique que symbolique». Le livre tente donc d’établir une typologie du temple protestant, sans omettre les évolutions de celui-ci au cours des siècles.

Lorsque la Réforme commence à s’imposer, à partir de 1517, les protestants se trouvent démunis en lieux de culte. Ils vont donc reprendre d’abord à leur compte des églises catholiques, tout comme les chrétiens avaient repris le Panthéon «païen» à Rome ou les musulmans Sainte-Sophie à Constantinople. Mais ils en modifient l’espace intérieur: c’est d’abord l’abolition de la barrière symbolique entre la nef et le chœur, qui était réservé aux prêtres. Comme la Réforme repose sur la Parole et la prédication, la chaire prend une importance nouvelle. Elle reste placée où elle se trouvait déjà, au centre de la nef, mais désormais les sièges des fidèles seront placés autour d’elle: «Nous voulons une église pour la prédication dans laquelle l’orateur peut être bien vu et entendu clairement de tous les côtés». Les sièges, une nouveauté! Il faut que les ouailles soient plus à l’aise pour écouter de longs sermons. Quant à l’autel, il est remplacé par une simple table de communion, cette dernière n’ayant plus qu’une valeur symbolique. Et bien sûr, on supprime les images saintes qui relèveraient, selon les partisans de la foi nouvelle, de la superstition. Dans certains cas, on assiste à un véritable iconoclasme qui n’a rien à envier à celui des fanatiques de Daech aujourd’hui. On blanchit les murs et on ouvre les temples à la lumière, pour des raisons à la fois pratiques et théologiques, celle-ci marquant, selon Calvin, la présence de Dieu. Il faut noter que les calvinistes et les zwinglistes vont plus loin que les luthériens, qui conservent dans leurs temples une partie de l’apparat catholique originel, tout comme ils conservent une structure hiérarchique avec des évêques.

Le temps des constructions originales
Après le temps des adaptations d’églises existantes vient celui des constructions. Un exemple particulièrement intéressant: le temple Paradis édifié à Lyon en 1564 et rasé quatre ans plus tard. Les images nous montrent un bâtiment de bois, de plan circulaire, qui ressemble plus à une vaste grange fonctionnelle ou à une coque de navire renversée. L’austérité calviniste dans toute sa plénitude!

C’est entre 1650 et 1800 que se situe l’âge d’or de l’architecture protestante. Il faut dire qu’après la guerre de Trente Ans (1618-1648), la religion réformée est désormais bien établie. C’est l’époque du baroque, dont l’Eglise catholique de la Contre-Réforme n’a pas l’apanage, contrairement à une idée reçue. En témoignent les beaux temples d’Yverdon et Morges, construits dans le Pays de Vaud sous tutelle bernoise. On notera aussi quelques curiosités, comme ces édifices luthériens scandinaves de plan octogonal, qui devaient rappeler le temple de Salomon à Jérusalem et qui ne sont pas sans évoquer certaines synagogues. Les bâtisseurs utilisent aussi les progrès dans l’art de la construction. Ainsi, c’est un constructeur de ponts qui réussit la grande charpente qui soutient le plafond du temple de Wädenswil.

Au 18ème siècle, pendant les Lumières, s’affirme le goût du néo-classicisme. Le porche du temple Saint-Pierre à Genève va même cacher aux regards la construction gothique, alors méprisée et considérée comme moyenâgeuse. Les colonnes doriques, ioniques ou corinthiennes s’imposent partout! On décèle aussi des influences maçonniques, quand bien même Bernard Reymond n’en parle pas.

Avec le 19ème siècle, c’est le grand retour du gothique, cher aux Romantiques, comme Goethe ou Chateaubriand. En architecture, ce sera le courant néomédiéval prôné par Viollet-le-Duc. Les constructions de cette époque – catholiques ou protestantes – peuvent même être qualifiées d’«hypergothiques». Toutes ne sont pas de grandes réussites architecturales…

On assiste donc, dès le début du 20ème siècle, à une réaction et une tendance vers davantage de simplicité et de modernité. On note quelques timides apparitions du Jugendstil ou Art nouveau dans les temples. Mais surtout, des progrès techniques vont modifier l’architecture religieuse, comme l’arrivée de l’électricité, de nouveaux modes de chauffage et d’amplification du son, et le triomphe du béton armé. Et également des évolutions sociales: nécessité de compléter le lieu de culte par des locaux d’accueil, de rencontre, de loisirs, voire une annexe de la Bibliothèque municipale, comme au temple de Montriond à Lausanne. On assiste donc à une série de constructions résolument modernes, aux formes pures et élancées. L’esprit conservateur, et la volonté de certains de revenir à un certain décorum catholique (le mouvement Eglise et Liturgie), font cependant de la résistance. Celle-ci se traduit notamment par une vogue – assez éphémère – de fresques figuratives néo-Renaissance comme celles du peintre Louis Rivier.

Que l’on soit croyant ou pas, l’architecture religieuse a donc tout son intérêt. Elle se situe au point de confluence de la foi, du dogme, de la technologie, des goûts artistiques et de la sociologie. C’est le mérite du petit livre de Bernard Reymond de nous le rappeler.

Bernard Reymond, La porte des cieux. Architecture des temples protestants, Lausanne: Presses polytechniques et universitaires romandes, 2015, 159 p., ill.