Chez les Ch’tis, la solidarité n’est pas qu’un mot

France • Aider la population, voilà la mission d’Annie Decrock qui accueille notre reporter dans les locaux de son comité du Secours Populaire de Loos, une petite ville située au sud-ouest de Lille.

Le nouveau local du Secours Populaire, plus spacieux, a remplacé le vieux garage. ©Natacha de Santignac

Ce samedi matin, c’est sous un ciel radieux qu’Annie Decrock m’accueille dans les locaux de son comité du Secours Populaire de Loos, une petite ville située au sud-ouest de Lille. Annie, un sourire et des yeux qui pétillent, un grand cœur et un engagement total, s’occupe de ce lieu d’accueil, d’échanges et de partage depuis huit ans. Pendant des années, le Secours Populaire n’a disposé que d’un garage et d’une cave, mais depuis une année et demie, c’est dans un ancien dispensaire qu’Annie et les autres bénévoles ont pu s’installer. «L’ancien local, prêté également par la mairie, ne permettait pas d’ouvrir plus d’une fois par semaine, nous avions une cave pour le stockage et un garage pour le jour d’ouverture. Tout devait impérativement être rangé car des infirmières utilisaient le garage. Du coup, on ne faisait vraiment que de la distribution, on n’avait qu’un coin de table pour remplir les dossiers de manière un peu automatique sans vraiment prendre le temps et donner l’espace à chacun.»

Aujourd’hui, c’est une autre histoire et Annie est fière de me faire visiter le rez-de-chaussée du dispensaire. La plus grande partie de l’espace est occupée par «le vestiaire». Mais attention, tous les vêtements sont accrochés sur des cintres et rangés par catégorie. «Les vêtements proviennent exclusivement de dons. Nous les vendons à des prix minimes pour que nos bénéficiaires, mais aussi les gens de passage, puissent les acquérir». La zone du bric-à-brac est également assez importante. En bonne place, trônent les jeux et les jouets d’enfants, les bibelots et les ustensiles de cuisine. Là encore les particuliers sont la source principale d’approvisionnement. Jusqu’ici, cela ressemble à n’importe quelle boutique du Centre Social Protestant ou de la Croix-Rouge genevoise.

Tout à coup sur la gauche, Annie me présente «l’épicerie solidaire», des racks en métal et des tables recouvertes de nappes aux motifs de Provence. Cette fois, on rentre dans le vif du sujet, on est au cœur de la mission du «Secours Pop», comme dit Malika, une bénévole également impliquée dans un collectif de défense des Roms à Haubourdin et qui était sur la liste Parti socialiste, Parti communiste et Personnalité de la Société Civile lors des municipales de 2014.

«Se démener pour permettre l’accès aux droits fondamentaux»

Ce principe est l’un des piliers de l’organisation, l’accès à la nourriture en fait partie. Annie m’explique donc que les produits ordonnés, alignés, qui se trouvent devant moi proviennent de deux sources: la grande majorité est achetée par palettes à la Fédération du Secours populaire au prix de € 30.- pièce, les autres produits sont récupérés dans des supermarchés locaux. Lorsque j’évoque la nouvelle loi qui vient d’être votée obligeant les supermarchés à donner leurs produits périmés, j’ai tout à coup le sentiment que les yeux d’Annie pourraient bien ne faire qu’une bouchée de ma personne: «Alors, il faut faire attention là, je vais vous dire, un: les supermarchés qui ne donnaient pas ne vont pas commencer parce que rien ne sera contrôlé et deux: il faut faire attention à ce qu’on entend par périmé. Il faut savoir que ce qui ne peut vraiment plus être vendu entre dans la comptabilité des supermarchés comme crédit d’impôt donc donner ne leur coûte rien. Pour tous les fruits et légumes notamment, les supermarchés attendent la dernière minute avant de donner. Et là qu’est-ce qu’on nous donne: de la merde! Des gens se disent outrés que nous refusions des dons, oui, nous les refusons quand c’est de la merde!»

Tout à chacun peut venir au Secours Populaire sans être bénéficiaire du «chéquier» et acheter ce qui l’intéresse. La plupart des visiteurs sont, en tout état de cause, des personnes aux revenus modestes. Le Secours Populaire s’est aussi donné pour mission de soutenir les personnes en grande précarité. Les bénévoles montent des dossiers qui prennent en compte les revenus (RSA*, allocations diverses, salaire éventuel) et les dépenses mensuelles (loyer, factures), le tout est divisé par trente jours afin d’évaluer le «reste à vivre» de la personne. Pour bénéficier du chéquier de façon mensuelle, il doit rester à la personne moins de 8€ par jour. Leur nombre varie en fonction de la taille des familles: un pour un foyer de 1 à 4 membres, deux pour un foyer entre cinq et huit membres. Comment ça marche? C’est très simple: le chèque vaut 13€ et donne droit à 100 € de produits alimentaires, hygiéniques et nettoyants. Ces palettes sont fournies par la Communauté européenne. Elles sont centralisées dans un local de Lille-Fives. Les passages sont organisés car les volumes sont très importants et il y a de nombreux bénéficiaires. Pour le secteur de Loos c’est le 25 de chaque mois que les sacs sont distribués. Il y a entre 4 et 5 sacs de marchandises qui sont préparés. Les bénéficiaires ne peuvent pas choisir les produits, on leur donne le tout.

Trois cent quarante
C’est le nombre de familles dont le comité de Loos s’occupe. Annie souligne que «ce nombre est en constante augmentation». La plupart des bénéficiaires «dégringolent en fin de droit de chômage. Il faut au moins trois mois aux administrations pour faire les transferts des dossiers au RSA. Trois mois pour des gens qui n’ont rien, c’est énorme. Ils ne peuvent plus rien payer et n’arrivent pas à se récupérer. Le système engendre la précarisation.» Même dans des situations très difficiles, le recours à des structures telles que le Secours Populaire ou Les Restos du cœur est un pas délicat à franchir (voir encadré avec Joëlla ci-contre). Les bénévoles du Secours Pop aident aussi les bénéficiaires dans leurs démarches administratives, les orientent pour des aides au logement, des aides juridiques etc… C’est un point crucial pour Annie qui a voulu que l’immeuble puisse également être un lieu d’écoute, de parole et de lien, «tout en gardant la distance nécessaire. Ce qu’on nous raconte ne nous appartient pas». Il y a toujours du café, des biscuits et une table autour de laquelle on échange. Son équipe réduite de bénévoles ne lui permet pas d’ouvrir plus de deux après-midis par semaine, cependant, les bénévoles travaillent aussi dans la matinée pour organiser les rayons. Annie le regrette d’autant plus que son espace appartient à la mairie, et que depuis que celle-ci est passée à droite, grâce aux votes de l’extrême-droite, elle ne sait pas combien de temps elle pourra le garder. Les choses ont déjà commencé à changer, à titre d’exemple, elle me cite «la journée des oubliés» pendant laquelle le Secours Populaire emmène des enfants qui ne partent pas en vacances sur la côte. «La mairie nous donnait toujours une subvention pour payer les bus. Cette année, pour notre anniversaire, la sortie est prévue à Paris. Nous n’avons rien reçu de la mairie. C’est un trou de 1’600.- €. Pour nous c’est énorme et j’avais envisagé de ne pas y participer. Ça me faisait mal au cœur pour nos soixante-dix ans! Monsieur Rondelaere, notre ancien maire (Parti socialiste) qui siégeait au Conseil Général nous ayant obtenu une subvention, nous partirons le 19 août comme prévu.» Ici, Annie insiste sur la contradiction de sa tâche. De nombreux bénéficiaires ont voté extrême-droite en mars, «ils ne se rendent pas compte qu’ils votent pour les gens qui les considèrent comme des fainéants, des profiteurs. J’interdis les discussions politiques et les réflexions, mais on connaît les opinions des gens, c’est une petite ville. J’ai soutenu Monsieur Rondelaere officiellement entre les deux tours. Il est parfois difficile de concilier l’aide à son prochain lorsque les opinions de ce dernier sont diamétralement opposées aux vôtres».

Joëlla, 59 ans, chômeuse qui bénéficie du chéquier du Secours Populaire depuis deux ans

Joëlla, abandonnée, placée a un parcours difficile. Pourtant elle a été mariée pendant des années, s’est occupée de ses filles et a travaillé. Des heures de ménage, de jardinage et d’aide à la personne.

Vous êtes bénéficiaire du chéquier et connaissez bien le Secours populaire, comment vous êtes-vous décidée à venir demander de l’aide?
Joëlla: J’étais à l’hôpital. Ce sont des assistantes sociales qui m’ont parlé de l’association que je ne connaissais pas du tout, ainsi que des Restos du cœur. C’était difficile de prendre la décision de venir. Je n’ai pas été éduquée à demander de l’aide. Il fallait toujours se débrouiller seul. Mais je n’arrivais plus à m’en sortir en touchant mon RSA: 600.- €** par mois, c’est pas grand-chose pour tout payer. Un jour, je me suis décidée, j’habite juste à côté. C’est Annie qui m’a accueillie. J’ai dit que je venais voir, comme si de rien, mais j’étais gênée, angoissée même. Tout de suite, je me suis sentie considérée, écoutée, alors, je suis allée chercher tous les papiers préparés avec l’assistante sociale et on a commencé mes démarches.

Vous allez tous les mois à Lille-Fives avec votre chéquier?
Oh oui, je ne pourrais pas faire sans! Ça peut paraître peu mais c’est une grande économie. J’y vais avec une amie qui a une voiture, car à pied ce n’est pas possible. Ça me fait une sortie.

Les lundis et les mercredis après-midi vous venez au Secours Populaire toutes les semaines?
Absolument, vous savez, j’achète tout ici, des vêtements, de la nourriture, des choses pour la maison. L’autre jour, il y avait un panier pour les pique-niques, jamais je ne pourrais me payer ça ailleurs!

Alors, ici, c’est un peu votre supermarché?
C’est beaucoup mieux. Les gens vous parlent, vous écoutent, vous connaissent. Pour moi qui étais très isolée, cela m’a permis de rencontrer de nouvelles personnes. Je discute avec les bénévoles que j’admire beaucoup mais aussi des personnes comme moi avec qui on peut partager à un autre niveau.

Participez-vous aussi aux activités comme «La journée des oubliés»?
Oui, ce sont des moments formidables. L’année dernière, j’ai même organisé une petite collecte pour les bénévoles. Les gens donnaient 20 ou 50 centimes, mais c’était important pour moi de remercier l’équipe d’accompagnateurs en exprimant ma gratitude et celle de tout le monde. Cette année, je suis vraiment contente d’aller à Paris. Moi, je connais, mais pour beaucoup de participants ce sera une première.


* RSA: Revenu de Solidarité active créé en 2009
** 600.- €: RSA plus allocation logement