Humour et nominations au Festival de musique de Lucerne

Festival • Peut-on rire en musique? Qui après Abbado et Boulez? C’étaient les questions posées cet été au bord du lac des Quatre-Cantons, où la musique fut superbement servie.

Le thème du festival de musique de Lucerne était l’humour; l’humour gai de Haydn, noir de Chostakovitch, ambigu de Mahler. «L’humour est la forme la plus saine de la lucidité », disait Jacques Brel et le Falstaff de Verdi, présenté en version de concert, lui donnait raison. Il y avait aussi l’humour populaire d’une chanson dans tel trio de Beethoven, l’humour moqueur de Hindemith sur un leitmotiv wagnérien, l’humour côtoyant deuil et désespoir dans les Kafkafragmente de Kurtag. Et il y eut l’humour patriotico-anecdotique, aux effets spectaculaires un peu faciles, de la Symphonie pour Lucerne de l’Américain Tod Machover. Cette œuvre participative à laquelle de nombreux Lucernois ont apporté leur contribution est basée sur les bruits de la ville, sur des improvisations d’écoliers à partir d’un logiciel inventé par le compositeur, le tout retravaillé dans une partition utilisant grand orchestre et électronique, avec défilé de guggenmusik, chœur d’enfants, yodel, cor des alpes, cloches de vaches. Elle a suscité un délire d’enthousiasme du public dédicataire. Mais il n’y eut pas que des œuvres à classer sous ce thème. Pourtant, s’il est vrai comme le prétend Freud, que ce qui caractérise l’humour, c’est qu’«il ne se résigne pas, il défie», on pouvait placer bien des œuvres sous son égide.

Un des moments forts du festival fut, le 23 août, la Journée Boulez en hommage aux 90 ans du compositeur, journée Boulez sans Boulez hélas, absent pour des raisons de santé. Et le succès a dépassé toute attente. Qui aurait pensé il y a cinquante ans que les salles du KKL(Kultur-und Kongresszentrum Luzern) où se donnaient ses œuvres feraient le plein et que ces concerts susciteraient un tel intérêt et un tel enthousiasme d’un public aussi curieux que divers. Sous le grand toit du KKL on pouvait écouter gratuitement plusieurs fois dans la journée le Dialogue de l’ombre double pour clarinette et bande enregistrée, dans une version avec vue sur le lac et les montagnes, enrichie de quelques cris de mouettes et sirènes de bateau! Puis passant de salle en salle, on suivait le parcours compositionnel de Boulez, ainsi que la création d’œuvres à lui dédiées de différents compositeurs, dont Holliger, Rihm, Kurtag. S’ajoutait un brin d’humour: tout le personnel du festival et les musiciens de l’Orchestre de la Lucerne Festival Academy portaient un teeshirt blanc avec le nom et le portrait du compositeur!

La question de l’avenir du festival se posait cette année: Abbado est mort, Boulez ne dirige plus. Pour ouvrir le festival Bernard Haiting, puis Andris Nelsons ont dirigé le célèbre orchestre du festival fondé en 2004 par Abbado. A la Lucerne Festival Academy, sur invitation de Pierre Boulez, c’est Matthias Pintscher et Pablo Heras-Casado qui ont assuré la direction.

Riccardo Chailly après Abbado, Wolfgang Rihm après Boulez

La transition était ainsi assurée, mais restait à désigner les successeurs de ces deux piliers du festival qu’ont été, plus de dix ans durant, Abbado et Boulez. Riccardo Chailly, 62 ans, prend la relève à la tête de l’Orchestre du Festival. Le chef italien, nouveau directeur de la Scala de Milan, a été assistant d’Abbado et un ami de toujours. Et le compositeur Wolfgang Rihm, 63 ans, assurera la direction artistique de l’Académie en tandem avec Matthias Pintscher, compositeur et chef d’orchestre, qui remplira les fonctions de chef principal de l’orchestre de l’Académie. Disons-le d‘emblée, la connivence entre ces personnalités, qui se connaissent, ont travaillé ensemble, amis sinon disciples d’Abbado et de Boulez, partageant une même approche de la musique et liés de longue date au festival lucernois, garantit un avenir à la mesure de l’attente. Le festival vient de se terminer, vive le prochain festival.