La Russie se cherche une opposition

Russie • Vladimir Poutine vient une nouvelle fois de gagner les élections régionales avec son parti Russie unie. Membre du Parti communiste de la Fédération de Russie, Mikhail Kostrikov, revient sur la situation actuelle en Russie et sur la crise ukrainienne.

Mikhail Kostrilov, secrétaire du comité central du PCRF, était l’invité de la Fête des Peuples en juillet dernier. ©Carlos Serra

Invité d’honneur de la Fête des peuples du Parti du Travail, le Parti communiste de la Fédération de Russie était représenté à Genève par Mikhail Kostrikov, secrétaire du comité central de la formation. Aujourd’hui, le parti compte 92 sièges sur 450 à la Douma, ce qui en fait la deuxième force politique en Russie, principal opposant à la formation Russie Unie de Vladimir Poutine.

Quelle est la situation tant économique que politique en Russie sous le régime du «tsar» Poutine?
Mikhail Kostrikov Après la contre-révolution de 1991, la Russie a connu une restauration du capitalisme. Pour notre parti, cette situation se caractérise par un régime oligarchique, avec une bourgeoisie comprador (tirant sa richesse de sa position d’intermédiaire dans le commerce avec les impérialismes étrangers, ndlr). Sa puissance économique est basée avant tout sur l’exploitation du pétrole et du gaz et la vente à l’étranger des matières premières russes. Son intérêt économique se trouve à l’extérieur de la Russie. Pendant de longues années, la classe dirigeante russe lui a fait miroiter la possibilité de leur intégration dans l’oligarchie mondiale, ne serait-ce que comme partenaire mineur. Les événements comme la guerre en Géorgie en 2008 et la crise en Ukraine ont convaincu cette élite actuelle que l’oligarchie mondiale ne voulait pas l’accepter dans ses rangs et maintenant elle fait des tentatives frénétiques et désordonnées pour renforcer sa position en Russie même. D’une façon ou d’un autre, Poutine exprime les intérêts de ce segment de l’oligarchie russe, même s’il essaie de garder un certain équilibre entre les différentes composantes cette oligarchie, dont un autre segment est complètement anti-national. Dans le cadre de la crise actuelle, celui-ci est même prêt à sacrifier les intérêts du pays pour conserver ses capitaux et ses avantages à l’étranger. Il est représenté par l’opposition libérale de droite, dont les slogans sont uniquement personnels. Cette opposition se focalise sur Poutine et les oligarques proches de lui, même si elle soutient le système capitaliste oligarque actuelle. Parallèlement, le régime de Poutine a peur de s’appuyer sur les masses populaires et les travailleurs dans sa politique socio-économique intérieure, il mène un programme d’austérité et de coupes massives dans la santé ou l’éducation, au détriment de la population.

Qui sont plus précisément ses oligarques et quels sont leurs objectifs?
L’opposition de droite est déchirée par des querelles de personnes. Il y a toute une galaxie d’organisations avec chacune un leader aux grandes ambitions personnelles, mais elle n’arrive pas à créer une organisation un peu conséquente. Il y a déjà eu beaucoup de tentatives de créer une seule opposition libérale de droite, mais toutes les tentatives ont abouti à un échec. La dernière tentative était la création d’une plate-forme civile, financée par l’oligarque Mikhaïl Prokhorov, mais l’essai n’a pas été transformé du fait des rivalités. Alexei Navalny qui a construit son image sur la lutte contre corruption, a lui aussi échoué à fédérer l’opposition libérale de droite. Il s’est lui-même trouvé mêlé à des affaires de corruption et condamné à une peine avec sursis. Il a dénoncé certaines personnes, mais en évitant savamment de dire que la corruption était un élément structurel du système en place. Une grande majorité des businessmen et des fonctionnaires russes sont impliqués dans ce type d’affaires. L’opposition libérale de droite ne peut pas lutter contre ce système, car elle en fait elle-même partie. Elle se limite donc à vouloir dégager certaines personnes et les remplacer par d’autres, comme dans une démocratie bourgeoise.

Face à cette situation de blocage, quel est le rôle du PCFR et où sont ses ambitions?
Une des exigences du Parti, c’est que la Russie ratifie l’article 20 de la Convention de l’ONU contre la corruption qui oblige les fonctionnaires à déclarer non seulement leurs revenus, mais aussi leurs dépenses. Cela permettrait de lutter contre la corruption comme système et pas seulement contre des individus. Il y a une nette déconnexion entre les revenus de certains fonctionnaires et leurs dépenses colossales, comprenant aussi des biens immobiliers à l’étranger.

La justice est-elle libre ou à la solde du pouvoir comme on a pu le voir dans certains procès comme celui des Pussy Riot?
Elle n’est pas moins indépendante que dans d’autres Etats bourgeois, car elle est mise sous pression par l’administration ou par l’argent. Que ce soit pour le système politique ou la justice, il n’y a pas de différences essentielles entre la Russie ou certains pays occidentaux, car ce sont des Etats bourgeois où règne le capital.

Qu’en est-il des syndicats et quelle est la politique du Parti communiste russe envers eux?
Les syndicats officiels sont de facto dans la dépendance du parti au pouvoir, Russie Unie. Ils ne remplissent pas leur rôle de défense des travailleurs, étant donné qu’ils sont une courroie de transmission des idées libérales parmi les salariés. Il existe bien des syndicats indépendants et le parti essaie de travailler un maximum avec eux. Dans le cadre de l’ «Etat-major des actions de protestation», une structure créée par le parti, il coordonne des actions de mobilisation dans les rues. En octobre 2014, le plenum du comité central du parti s’est penché sur la question du mouvement ouvrier et a pris la décision que le parti lui-même fasse quelque chose pour créer des syndicats indépendants dans les entreprises. Cette tâche est rendue plus compliquée, par le fait que dans les villes-capitales, Moscou et Saint-Pétersbourg, il y a eu une vraie désindustrialisation dramatique. Récemment, le parti a collaboré avec le syndicat indépendant du personnel des lignes aériennes.

Quel est le but de la politique de prestige de Poutine, incarnée par l’organisation de grands événements sportifs mondiaux tels que les Jeux Olympiques de Sotchi ou la Coupe du monde de football?
Poutine agit comme un populiste assez expérimenté. Alors que ses programmes sociaux, y compris dans le sport, subissent des coupes, ces grands événements permettent d’accroître la plus value et le profit de la grande oligarchie. De plus, avec ces grandes messes ponctuelle et spectaculaire, le pouvoir peut faire forte impression sur la population grâce aux retransmissions par la télévision. Un des avantages pour le pouvoir, c’est que, du fait que ces événements sont très coûteux, ils permettent l’enrichissement des personnes bien en cour, notamment grâce à une corruption dont on ne connaît que la partie émergée.

Aujourd’hui, la Russie compte près de 23 millions de pauvres, est-ce que cette pauvreté est en croissance?
Ce chiffre est celui des statistiques officielles, passant sous silence les travailleurs immigrés clandestins qui sont plusieurs millions. Selon des calculs indépendants, ce taux est beaucoup plus élevé, comme le parti l’a constaté, en travaillant avec des organisations scientifiques qui s’occupent de ces questions. La mobilité sociale devient de plus en plus difficile. Ceux qui tombent dans la pauvreté n’ont quasiment plus de chances de remonter. Si les retraités bénéficient encore des quelques restes pas encore liquidés de l’héritage soviétique, les jeunes familles avec enfants, où un ou deux des parents travaillent, sont frappés de plein fouet par la pauvreté, du fait de l’exploitation élevée de leur force de travail. La naissance d’un deuxième enfant dans une famille double ce risque. Toute la politique familiale de qualité de l’URSS, qui comprenait des services gratuits, a été complètement supprimée.

La migration de travailleurs étrangers, notamment en provenance du Caucase, vers la Russie peut-elle conduire à l’émergence d’un parti nationaliste et xénophobe comme le FN en France?
Il y a beaucoup moins de travailleurs du Caucase que des ex-républiques d’Asie centrale. Pour le travail peu qualifié, le patronat russe fait appel à des ouvriers du Tadjikistan et d’Ouzbékistan, notamment dans les grosses entreprises de construction. Le nombre élevé de migrants dans certaines villes peut créer des conflits avec la population, mais ceux-ci sont très localisés. Globalement, comme la Russie est un pays multinational, les relations entre les gens sont tolérantes et amicales. La conscience de l’amitié entre les peuples subsiste. Il n’y a pas de puissante organisation d’extrême droite en Russie, même si certains oligarques, comme cela se passe en Ukraine, pourraient créer ce genre de partis avec leur argent. Un des problèmes liés à l’immigration réside dans la propagation de certaines vues islamistes radicales, extrêmement différentes de l’islam pratiqué par les populations musulmanes en Russie. Dans la République du Tatarstan, des responsables de madrassas traditionnelles ont ainsi été assassinés par des islamistes radicaux.

Quel regard avez-vous sur les événements qui se sont produits en Ukraine et qui ont presque conduit à une partition du pays?
Par certains aspects, le gouvernement oligarchique de Viktor Ianoukovytch ressemblait à celui de la Russie et a entraîné une contestation sociale légitime qui aurait pu déboucher sur une révolution sociale. Mais le putsch de Maïdan a coupé court à ces protestations, débouchant sur la mise en place d’un gouvernement beaucoup plus a droite que le précédent. Des mobilisations avec un caractère anti-oligarchique se sont produites à Donetsk, Lougansk. Odessa et Kharkov. Dans les deux dernières villes, la contestation a été sévèrement réprimée par le nouveau pouvoir et par des extrémistes de droite, alors que dans le Donbass, à Lougansk et Donetsk, où les communistes ont joué un rôle important, la résistance a continué. Du point de vue de notre parti, c’est la dimension anti-oligarchique, puis anti-fasciste de cette résistance qui fait que Moscou a une attitude aussi ambivalente avec ces républiques populaires insurrectionnelles, ayant une peur bleue que cette résistance contamine la Russie, alors qu’il a soutenu les aspirations des habitants de Crimée et d’Odessa, dont la contestation était nationaliste.