Le tsunami RIEIII déferle sur Vaud

Fiscalité des entreprises • La réforme fiscale a été adoptée au pas de charge, en premier débat, par le Grand Conseil vaudois.

Sous la pression de l’OCDE et de l’Europe Unie, voire sous des menaces de rétorsion, la Suisse souhaite modifier son étiquette de «paradis fiscal pour les entreprises» et a mis en route une troisième modification de l’imposition fiscale des entreprises. Celle-ci vise à supprimer la fiscalisation «spéciale», particulièrement généreuse et injuste, offerte dans notre pays à des multinationales – souvent des holdings – et des sièges administratifs. Il est dès lors proposé une baisse fiscale générale mettant chacune des entreprises du pays au même niveau, dans l’idée qu’une baisse d’une telle ampleur va permettre à celles qui devront payer plus de rester quand même. Il y a en plus l’espoir que l’arrivée de nouveaux contribuables, attirés par ces taux, compensera largement la baisse et créera des emplois. Gagnant-gagnant comme on dit. Qui pourrait s’opposer à une telle régulation?

Or, rien n’est simple, au point d’ailleurs qu’un projet de référendum se construit déjà. Réguler certes, mais c’est aussi aiguiser encore la concurrence fiscale, comme celle qui est attisée entre cantons. Car ceux-ci sont impliqués dans ce vaste mouvement fiscal tellement bouleversé qu’il peut porter le nom de tsunami fiscal, voire de big bang fiscal, qui va du même coup réjouir le cœur des actionnaires. Avantages fiscaux signifient souvent hausse des dividendes. Car la révolution fiscale est aussi accompagnée de nouveaux «cadeaux» incitatifs . Il faut non seulement garantir la compétitivité mais aussi renforcer un certain dumping. Nous sommes prévenus, il faut «renforcer la quantité de sites d’entreprises en Suisse» . Et la 3ème réforme sera suivie d’une 4ème et même d’une 5ème.

Ainsi il sera fait obligation aux cantons de permettre des déductions fiscales sur le bénéfice des sociétés qui proviennent de patentes, de brevets et de droits analogues dont la définition reste vague. Voilà qui réjouit les pharmas ou le secteur alimentaire comme Nestlé. Des déductions allant jusqu’à 150% pourront aussi concerner les dépenses pour «la recherche et le développement». Le choix étant laissé aux cantons. Et voilà en plus qu’arrive la proposition de suppression du droit de timbre, vieille rengaine. Toutes ces déductions et ces baisses d’impôts pourraient atteindre au niveau fédéral, cantonal et communal cumulé une perte fiscale proche des 4 milliards et demi.

Vaud en tête de ligne

Sans attendre le débat aux Chambres, le Conseil d’Etat vaudois veut faire baisser le taux net des bénéfices, jusqu’à 60% de moins pour les entreprises du pays, et mettre toutes les entreprises au même niveau. Rien à redire sur le principe d’égalité. Mais quel est donc le taux assez aimanté pour faire rester les chouchous ? Vaud prétend qu’en cas de suppression des privilèges, 80% des entreprises touchées quitteraient la Suisse. Difficile à prouver mais les autorités fiscales qui les côtoient et les choient doivent les connaître. Des discussions, (ou est-ce des palabres?), ont eu lieu et les actuels privilégiés auraient laissé entendre qu’un taux de 13,79 dans le canton serait acceptable pour eux sans qu’ils prennent la poudre d’escampette ou partent dans un autre canton. Voilà donc comment il a été décidé du montant du taux pour tous . Ce taux avait déjà été baissé par le Parlement et devait être de 21,64 dès 2016.

Enthousiasme, de l’UDC jusqu’au PS

Le Conseil d’Etat vaudois a donc élaboré une «feuille de route» dans laquelle on trouve une série de projets compensatoires destinés à favoriser les ménages: amélioration de l’aide au paiement de l’assurance maladie, augmentation de l’argent versé par les entreprises et les villes pour l’accueil de la petite enfance – le canton accompagnant cette mesure en subventionnant le même % qu’aujourd’hui – (on se demande comment on peut associer une réforme fiscale au développement de l’accueil parascolaire inscrit dans la Constitution et sans discussion avec les communes), plus une augmentation des allocations familiales payées par les entreprises. Les villes disent perdre 200 millions de rentrées fiscales dans cette affaire. Le canton, dont la situation financière est bonne y perdra entre 200 et 450 millions.

A Grand Conseil, seul le groupe POP-solidaritéS s’est opposé au projet, par la voix de Jean-Michel Dolivo, qui a fustigé l’empressement du canton à faire adopter un projet avant même sa discussion aux Chambres. Il a relevé les pertes pour les communes – 60 millions pour Lausanne – et celles sans doute plus importantes que prévu pour le canton, les privilèges et les déductions qui seront autorisées concernant l’impôt sur le bénéfice et le peu de cohérence dans les compensations proposées aux ménages, même s’il n’est bien entendu pas question de s’y opposer. Les pertes des communes risquent d’entraîner des hausses d’impôts, les pertes du canton vont signifier des attaques ou l’endiguement des services publics et de leurs employés. Les vraies et heureuses bénéficiaires, les entreprises, n’ont pris aucun engagement concernant d’éventuelles hausses de salaires ou développements d’emplois. VaudLibre (Jerôme Christen) a emboîté le pas à ces critiques, critiques aussi émanant du groupe des Vertlib (Claire Richard), refus également d’une poignée de socialistes, dont Julien Eggenberger fut le seul porte-parole.

L’enthousiasme pour RIE III a gagné le reste du Parlement (projet équilibré, bienvenu, excellent compromis), de l’UDC au PS. Le président de la commission des finances, l’UDC Michaël Buffat, n’est d’ailleurs pas intervenu du tout dans le débat, pris d’une telle euphorie qu’elle l’a laissé coi. La présidente du Grand Conseil, entraînée par cette atmosphère, a fait voter sur ces décisions fiscales exceptionnelles simplement à mains levées, comme s’il s’agissait de la société de laiterie du village.

Les maigres mais fermes oppositions ont eu le don d’énerver le président du gouvernement Pierre-Yves Maillard. Il s’en est pris au groupe POP solidaritéS l’accusant de détenir dans ses gênes la volonté de dire non à tout. Après une violente algarade, le Conseiller d’Etat socialiste a quitté la salle, ne laissant réplique à personne. Il devait rencontrer une délégation cambodgienne, sans doute plus souple et souriante à ses yeux que les popistes.
Un referendum se prépare

Ceux qui ont assisté le samedi 12 septembre à Lausanne à un débat sur la réforme fiscale comprendront peut-être. Cela ressemblait plus à un meeting d’opposants farouches, avec plus d’invectives que d’arguments. Pierre-Yves Maillard y a passé un mauvais moment. Il a défendu fermement ce projet, dans lequel on reconnaît bien la patte du chef du département des finances et le symbole de la concordance Maillard-Broulis. Il y eut peu de véritable débat. Nous retiendrons quelques arguments gouvernementaux. Les entreprises bénéficieront d’avantages fiscaux? Cela permettra aux syndicats de négocier des hausses de salaires. Vous trouvez les compensations insuffisantes? Comment croyez-vous qu’avec un parlement de droite on pourrait obtenir autant d’avancées sans un tel compromis? Faites en autant !

La réflexion s’impose après une telle déclaration restée sans contradiction. Ce sera celle de la gauche, du POP et de solidaritéS et de la coalition comprenant plusieurs syndicats contre la réforme fiscale, qui annoncent un referendum contre la décision fiscale précipitée et dangereuse du canton de Vaud . Le deuxième débat aura lieu mardi 29 septembre à 14 heures.