Et si l’on parlait de sexualité ?

La chronique féministe • «Cachez ce sein que je ne saurais voir», faisait déjà dire Molière à l’hypocrite Tartuffe. Pour changer des horreurs qu’on nous déverse quotidiennement : le drame des réfugiés, les propos infâmes de politiciens français et suisses à leur égard, les scandales en tous genres, comme les corruptions de la FIFA et la tricherie de VW, parlons un peu de sexualité. Cela nous permettra également de dire adieu à l’été.

«Cachez ce sein que je ne saurais voir», faisait déjà dire Molière à l’hypocrite Tartuffe. Pour changer des horreurs qu’on nous déverse quotidiennement : le drame des réfugiés, les propos infâmes de politiciens français et suisses à leur égard, les scandales en tous genres, comme les corruptions de la FIFA et la tricherie de VW, parlons un peu de sexualité. Cela nous permettra également de dire adieu à l’été. A propos de VW, j’ai bien ri au détournement de la pub : « VW : DAS Autodesaster ».

Peut-être que cela vous aura échappé, si vous étiez en vacances à l’étranger ou n’habitez pas Genève, mais nous avons vécu un incident drôlatique par son absurdité et son anachronisme. Dans le courant de l’été, sous le pont Sous-Terre, quelques baigneuses genevoises topless se sont fait gourmander par des agents de police – le règlement tolère les seins nus à la plage mais pas dans l’eau ! Selon un règlement qui date de … 1929 ! On se dit que ces policiers avaient vraiment du temps à perdre, parce que les seins nus, revendication de libération après Mai 68, sont tolérés dans les lieux ouverts, comme aux bains des Pâquis et dans les piscines. Mais Genève n’est pas la seule à jouer les effarouchées. A Grandson, on pourchasse les naturistes, qui risquent une amende de 300 francs en cas de récidive.

Il est vrai qu’on assiste, depuis les années 2000, à un retour en arrière. D’après le sociologue français Jean-Claude Kaufmann, les signes se multiplient d’une légère régression de la place des femmes dans la société. Or, dans le même temps, elles tendent à être soumises à des vêtements plus couvrants.
Lors d’une vente aux enchères, le 11 mai 2015 chez Christie’s, à New York, un tableau de la série des Femmes d’Alger de Picasso, a été adjugé en onze minutes à 179,36 millions de dollars, ce qui fait de lui, pour l’heure, la toile la plus chère du monde. En relatant l’événement, Fox 5, l’antenne locale de la très conservatrice chaîne new-yorkaise, a décidé de flouter les poitrines des courtisanes, pourtant fort peu suggestives. Mamma mia ! Les seins nus feraient-ils peur ? Pourtant, ils ont servi à nourrir la majorité des bébés du monde. On ne me fera jamais croire qu’un enfant peut être « choqué » par la vue de poitrines nues.

Anouchka Kuhni, présidente de Osez le féminisme suisse, relève le rapport paradoxal qu’entretien la société actuelle avec les seins nus. Ils ne gênent personne dans la publicité, les films, la presse, partout où ils sont exploités à des fins commerciales. Il est donc hypocrite de les condamner dans l’espace public, quand les seins sont dénudés pour le plaisir de celles à qui ils appartiennent. Est-ce à dire que les femmes ne doivent montrer leurs seins que pour le plaisir des autres, des hommes donc, et pas pour le leur ? Il y a des villes où femmes et hommes sont sur un pied d’égalité à ce niveau-là avec des politiques locales de « port obligatoire du tee-shirt » pour tous ou, au contraire, comme à New York, une autorisation pour tous de se promener seins nus/torse nu. Hormis ces quelques exceptions, la plupart du temps, seuls les hommes peuvent se promener torse nu.

Les politiques des réseaux sociaux et des médias américains sur cette question sont consternantes: on peut publier librement des commentaires homophobes, sexistes et racistes sans être inquiété. En revanche, la censure s’abat aussitôt sur les tétons féminins. Les décolletés les plus plongeants et les maillots de bain les plus minuscules sont parfaitement tolérés, pour autant que les tétons ne soient pas visibles.

L’échelle de valeur de ce qui est obscène ou non évolue dans le temps et l’espace. Au cours des années 1980, les seins nus à la plage étaient beaucoup plus pratiqués. Dans certains pays, au Brésil par exemple, on peut se balader en string, mais gare aux tétons! Ce sont des logiques de contraintes et de contrôle du corps des femmes à géométrie variable, mais qui aboutissent toujours au même résultat: les femmes sont moins libres physiquement que les hommes, et le corps social exerce sur elles une pression de bienséance, de bonne conduite, de bonne morale. Ce retour de la pudibonderie est parallèle à une régression de la place des femmes dans la société. Face aux contraintes sociétales qui pèsent sur le corps des femmes, les seins nus constituent toujours un geste politique. Les Femen utilisent la nudité comme outil de revendication féministe. Ce mode d’action est intéressant, car il travaille à la désexualisation du corps des femmes, un élément qui permet la progression de l’égalité entre les sexes. Comme les hommes, les femmes doivent pouvoir être libres d’exposer leur poitrine sans que cela soit sexualisé ou considéré comme obscène et une invitation à les agresser.

Cet été encore, nous avons appris qu’on ne votera pas sur l’interdiction d’une éducation sexuelle à l’école. Rappelez-vous : un matériel pédagogique innovant appelé « sexbox » fut qualifié de pornographique par ses détracteurs. Ô scandale, on présentait les organes sexuels sous forme ludique! Or une éducation sexuelle de qualité permet l’apprentissage du droit à son intégrité physique et de la découverte de son corps. De toute manière, les enfants n’attendent pas 12 ans et s’informent sur Internet. Où, hélas, ils sont souvent confrontés à la pornographie, à des actes violents, à la domination masculine. Il vaut donc mieux initier les enfants très tôt à ce que devrait être la sexualité : une rencontre, un dialogue, une complicité dans la tendresse.
L’initiative avait été rejetée par 134 voix contre 36 au National et par 37 voix contre 1 aux Etats. Mais le comité d’initiative a obtenu ce qu’il voulait : retrait de la sexbox, fermeture du Centre de compétences pour l’éducation sexuelle à la Haute Ecole pédagogique de Lucerne, recul sur l’idée de sensibiliser les enfants dès leur plus jeune âge. Leur initiative devenait donc inutile. Dans ce domaine aussi, on assiste à un retour du puritanisme inquiétant.